La réinsertion sociale des personnes atteintes de troubles psychiques est particulièrement difficile, car elle suppose une structure médico-sociale spécifique et une équipe formée à ce type de pathologie (1). En France, il n'existe que deux unités de pré-orientation spécialisée, situées en Ile-de-France. Le centre Alexandre-Dumas, à Gentilly dans le Val-de-Marne, a été créé il y a 30 ans, par le réseau associatif Vivre. Plus récente, l'unité Robert-Buron, dans le XIe arrondissement de Paris, a ouvert ses portes, en février 1999, afin de désengorger le centre Alexandre- Dumas de son flux de stagiaires. « Notre unité a vocation à être une étape de transition entre une période de soins et le moment où les personnes atteintes d'une maladie mentale se sentent prêtes à se réinsérer dans le monde du travail », explique François Velay, directeur du centre de pré-orientation spécialisée Alexandre-Dumas.
Les personnes, qui doivent être reconnues comme travailleurs handicapés, sont orientées vers l'une des deux structures franciliennes par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep).
Le centre Alexandre-Dumas dispose de 30 places et propose des stages de six mois non rémunérés. Quant à Robert- Buron, il accueille 14 personnes pour un stage de trois mois rémunéré. Si le fonctionnement des deux centres est quelque peu différent, c'est en grande partie pour des raisons législatives, le centre Alexandre-Dumas ayant été créé avant la loi d'orientation de 1975 qui fixe les modalités et la rémunération de ce type de stage.
Néanmoins les deux unités travaillent sur les mêmes principes. Plusieurs activités sont réalisées en ateliers dans l'objectif d'aider les stagiaires à reprendre des activités intellectuelles, manuelles ou sociales. « Il faut avant tout qu'ils retrouvent un rythme de travail compatible avec des activités sociales d'insertion », justifie Martine Delaplace, psychologue au centre Robert-Buron.
Parallèlement, il s'agit de réfléchir à un projet personnalisé d'insertion sociale ou professionnelle et de prendre en compte l'ensemble des facteurs pour que le projet soit réaliste et réalisable. « Souvent le plus difficile pour ces personnes est d'accepter leur maladie et surtout d'accepter de devoir vivre avec. Cela signifie qu'elles doivent renoncer à leur ancien métier ou à leurs anciens projets », insiste Philip Ichou, psychiatre dans les deux centres.
En effet, les personnes qui ont accès à ces stages sont atteintes de pathologies mentales (psychoses, névroses et états limites) qui, entre autres conséquences, entraînent une déconnection par rapport à la réalité. Dans le cas des psychoses, indique François Velay, il s'agit « d'une désorganisation de la personnalité avec comme élément essentiel un trouble de l'identité, c'est-à-dire une perturbation de la prise de conscience de soi ». Les personnes s'enferment dans leur propre réalité. « Elles possèdent des capacités intellectuelles performantes, mais ont décompensé à un moment de leur vie », poursuit-il. Ces maladies révèlent « une structure psychique fragile qui pourra se reconstruire. Mais cela prendra plus ou moins de temps avec toujours un risque de rechute ».
Lorsqu'une personne est acceptée en stage de pré-orientation spécialisée, elle doit être « stabilisée ». On peut alors envisager avec elle un parcours d'insertion malgré la maladie. Mais elle aura besoin en permanence du soutien de l'équipe de formateurs spécialisés, du psychologue et du psychiatre. « Nous devons être très attentifs à une éventuelle rechute. Nous sommes là aussi pour calmer les angoisses dues à la confrontation avec le réel et avec les autres, répondre aux interrogations, travailler sur l'autonomie du stagiaire, sur sa prise d'initiatives », souligne Martine Delaplace.
En 2001, le centre Alexandre-Dumas a reçu 92 candidatures. Parmi elles, 76 ont été retenues. La grande majorité des stagiaires (92 %) habitaient Paris et sa banlieue. 67 % étaient des hommes et la plupart étaient célibataires (95 %). 12 %d'entre eux avaient un diplôme supérieur au bac et 45 % une expérience professionnelle de plus de un an. Sur 53 stagiaires ayant commencé leur stage en 2001,6 ont dû l'arrêter pour des raisons médicales ou ont abandonné. Sur les 44 stagiaires ayant intégralement effectué leur stage de pré-orientation spécialisée, 22 ont été orientés vers une formation professionnelle, 9 vers un centre d'aide par le travail, 3 vers un atelier thérapeutique, 7 vers une structure intermédiaire et 3 sont retournés vers des soins.
Le contenu des ateliers - qu'il concerne la remise à niveau en mathématiques ou français, ou la création manuelle - intègre l'ensemble de ces facteurs. Le dispositif permet au stagiaire d'effectuer un travail individuel et collectif.
Dans les ateliers de remise à niveau, il s'agit de réactualiser les connaissances et de ré-apprendre les règles de la vie sociale ; d'autres sont des espaces d'expression libre où les stagiaires peuvent parler de leur expérience et de leur vécu. « Ils sont des supports au processus de réadaptation à la vie ordinaire », explique Philip Ichou. En dehors des ateliers, le centre Alexandre- Dumas propose des sorties culturelles, des groupes de parole et la rédaction d'un journal.
Si les intervenants appliquent les méthodes de pré-orientation classique, l'ensemble du personnel est formé à la pathologie mentale et doit être capable de décrypter le langage spécifique des stagiaires . « Il faut tenir compte de leur fragilité, être à l'écoute de leurs angoisses et de leur souffrance », raconte Hector Ravanal, chargé d'insertion au centre Robert-Buron. « En même temps, nous les aidons à reprendre confiance en eux pour pouvoir élaborer un projet ». Le cadre doit être, à la fois, souple et structurant pour préparer les stagiaires à recréer progressivement du lien social. « La réussite d'un stage, ce n'est pas forcément l'employabilité mais d'avoir remis son bénéficiaire dans la réalité », précise Philip Ichou. A la fin du parcours, le centre remet un compte rendu de stage à la Cotorep qui propose alors diverses orientations.
Depuis avril 2000, le centre Alexandre-Dumas expérimente, à la demande de l'Agefiph, une « évaluation approfondie spécialisée », afin de faire évoluer le dipositif pour qu'il soit en phase avec l'évolution du profil des stagiaires et de l'environnement social et économique ; et plus particulièrement des exigences du milieu ordinaire de travail, du milieu protégé et des centres de formation. Le rapport d'activité 2001 d'Alexandre-Dumas relève, entre autres, deux points faibles : un manque de repères dans le rythme des activités et un manque de suivi après le stage.
Actuellement, peu de choses rythment les mois des stages :la phase d'accueil, la première semaine, et l'éventuelle participation à l'atelier-projet qui n'intervient qu'en fin de stage. Or, il est important de fixer et de marquer les différentes étapes du parcours. Ces balises dans le temps pourraient permettre d'individualiser les activités suivant le choix des personnes et rendre plus dynamique le déroulement de cette période, lit-on, en substance, dans le rapport.
La question du suivi est très rapidement apparue comme cruciale, reconnaît François Velay, qui avoue qu'un certain nombre de personnes « replongeaient » à la sortie, faute de soutien et d'accompagnement. « Ce suivi répond à un besoin primordial dans le parcours des personnes que nous recevons. [...] Sans lui nous avions constaté que beaucoup retombaient dans des problématiques paralysantes et leur projet échouait », est-il écrit dans le rapport d'activité 2001 du centre Alexandre-Dumas. C'est d'ailleurs dans le cadre du projet ENVOL, financé par le Fonds social européen, qu'une expérimentation a été mise en place : elle permet d'accompagner les personnes jusqu'à la concrétisation de leur projet élaboré lors du stage. Un formateur a été embauché à mi-temps en mai 2002 pour créer ce nouveau service.
Malheureusement, « nous avons un outil qui a fait ses preuves, financé par la sécurité sociale, qui répond à des besoins sans cesse croissants- l'accompagnement vers l'insertion de personnes handicapées par des troubles psychiques graves -et il est sous-employé », conclut François Velay dans le rapport d'activité. En effet, ce qui aurait pu apparaître comme une victoire - la fin des listes d'attente pour obtenir un stage de pré-orientation spécialisée - est en réalité la conséquence d'un dysfonctionnement apparu en 2000.
A ses débuts, en 1942, l'association Vivre avait pour vocation de venir en aide aux tuberculeux pour qu'ils retrouvent un travail. Ce bureau d'entraide mettait en relation les malades rétablis avec des chefs d'entreprise. Après la guerre, l'association a poursuivi son action d'insertion par le travail en l'étendant à toutes les personnes atteintes de maladie grave, qu'elle soit physique ou psychique. Dès les années 50, l'association a accueilli des personnes souffrant de maladies mentales et elle s'est très vite inscrite dans le cadre du mouvement de la psychiatrie sociale. Au cours des années 60 et 70, six établissements ont été créés ainsi qu'une direction générale des projets européens. Parmi ces six structures, le centre Alexandre-Dumas a ouvert ses portes en 1972. La pré-orientation spécialisée est donc un maillon d'une chaîne reliant plusieurs établissements qui, chacun à un niveau différent, s'occupent de la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de maladie psychique. Le centre Denise-Croissant s'est spécialisé dans les soins de réadaptation, le centre de rééducation professionnelle Vivre dans la formation de réadaptation professionnelle, Erik-Satie se concentre sur l'insertion par l'hébergement et l'accompagnement social, le centre d'aide par le travail Vivre à l'insertion par le travail adapté et la structure Emergence à tout ce qui touche à l'insertion en entreprise. En 2001, l'association Vivre a redéfini sa mission : « C'est une place de citoyen actif, responsable, intégré à la cité (notamment par son activité professionnelle) que nous cherchons à favoriser par un accompagnement social. »
De fait, la baisse du nombre de dossiers de stagiaires perçue fin 2000 s'est confirmée en 2001. L'une des causes est la suppression, le 31 décembre 2000, de l'équipe de reclassement (sept psychologues) du centre André-Léveillé chargé au sein de la sécurité sociale d'orienter les personnes atteintes de troubles psychiques vers la Cotorep de Paris. D'où la diminution du nombre des personnes atteintes de troubles psychiques qui sont repérées et orientées. Or s'il est moins visible que d'autres, ce type de handicap est tout aussi invalidant et entraîne souvent une réaction de peur dans la société.
Elisabeth Kulakowska
(1) Les troubles mentaux sont la première cause d'invalidité reconnue par la sécurité sociale (plus de 13 000 pensions d'invalidité ont été nouvellement attribuée en 1998, soit 26,7 % de l'ensemble) - Source CNAM reprise dans le rapport de Michel Charzat « Pour mieux identifier les difficultés des personnes en situation de handicap - du fait de troubles psychiques - et les moyens d'améliorer leur vie et celle de leurs proches » - Mars 2002.