Seuls 21 détenus ont bénéficié, en un an, d'une suspension de peine. « Ce qui est insuffisant au regard de l'état de santé précaire et de l'âge de certains détenus », ne pouvait que reconnaître, le 5 mars, le ministère de la Justice. Certes, comme le souligne François Bès, permanent de l'Observatoire international des prisons (OIP), « on ne dispose pas de chiffres officiels nationaux sur les personnes potentiellement concernées ». Mais certains indices laissent penser que l'on peut aller bien plus loin dans l'application de la mesure. Environ 120 personnes meurent chaque année en prison, hors suicides. Et le nombre des détenus âgés ne cesse d'augmenter : les longues peines se sont multipliées depuis l'abolition de la peine de mort, et le recul de la prescription des infractions sexuelles entraîne la condamnation souvent tardive des auteurs. L'administration pénitentiaire recensait ainsi, au 1er septembre 2002, 1 683 détenus de plus de 60 ans, 369 de plus de 70 ans, 39 de plus de 80 ans et 2 de plus de 90 ans.
Parmi ces derniers, Maurice Papon, 92 ans. On se souvient qu'en septem- bre, la libération, en application de la loi du 4 mars 2002, de celui qui avait été condamné en 1996 à dix ans de réclusion pour complicité de crime contre l'humanité avait suscité un grand émoi. Mais les associations et les détenus, tout en regrettant souvent que ce soit cet homme qui ait été le premier bénéficiaire « médiatisé » de la suspension de peine pour raisons médicales, avaient saisi l'occasion pour demander que le traitement qui lui était réservé soit étendu à l'ensemble des personnes dont l'état l'exige (2). La décision de la cour d'appel de Paris a été confirmée le 14 février dernier par la Cour de cassation, laquelle s'est d'ailleurs montrée fort claire sur les éléments devant entrer en compte dans la décision des juges : pronostic vital et compatibilité de l'état de santé avec la détention. Tout le reste, nature des infractions, durée du reliquat de peine, existence d'un risque de trouble à l'ordre public, possibilité de réinsertion..., est à négliger.
Le socle juridique est donc désormais solide. Mais les travailleurs sociaux en milieu pénitentiaire - auxquels le ministre de la Justice, comme il l'a rappelé la semaine dernière, a demandé, par circulaire, le 25 novembre dernier, de rencontrer systématiquement les bénéficiaires potentiels et, si nécessaire, particulièrement s'ils sont isolés, sans famille ni avocat, de les accompagner dans la saisine du juge de l'application des peines - divergent sur l'appréciation de l'avenir de la mesure. « On attend toujours l'effet Papon... Je n'ai pas l'impression que les magistrats soient plus enclins à prononcer ce genre de mesures », explique Michel Flauder, secrétaire général du Snepap- FSU. « Ça peut débloquer les mentalités », espère, de son côté, Bernard Grollier, chargé de mission sur la pénitentiaire à la CFDT-Interco, qui sent actuellement, parmi les magistrats, un « courant d'opinion plus favorable » après des années de faible réceptivité aux aménagements de peine pour raisons de santé. L'OIP se dit quant à lui « assez pessimiste » et rappelle qu'en novem- bre, on annonçait place Vendôme la création en France de 150 cellules médicalisées. « D'un côté, on se préoccupe des malades dont l'état est incompatible avec la prison. De l'autre, on crée des chambres d'hôpital dans les prisons pour rendre la prison compatible avec la maladie… Cela pose des questions », explique François Bès. Et pourtant, comme le souligne Michel Pouponnot, secrétaire national de l'UGSP-CGT, la suspension de peine apparaît bien comme une réponse « aux manques flagrants de possibilités de soins dans les prisons qui, quels que soient les moyens obtenus, ne seront jamais de “bons hôpitaux” ».
Céline Gargoly
(1) Voir ASH n° 2264 du 24-05-02.
(2) Voir ASH n° 2278 du 27-09-02.