Echec scolaire, délits, violence, anorexie, tentatives de suicide... Autant de manifestations qui peuvent révéler le mal-être, la souffrance psychique d'enfants et d'adolescents souvent incapables de l'exprimer autrement. Depuis 30 ans, un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) dépendant de l'Association vers la vie pour l'éducation des jeunes (AVVEJ) (1) propose, à Paris, une écoute et des réponses pour aider ces jeunes qui connaissent un grand désordre intérieur.
« Le Sessad a été créé en 1973 pour traiter les problématiques liées aux troubles du comportement et de la personnalité de jeunes ne présentant pas de déficience intellectuelle », résume son directeur, Alain Guichet. Ce service - le seul de ce type à Paris -n'a donc pas vocation à s'occuper de jeunes handicapés, à la différence des autres Sessad de la capitale spécialisés dans la prise en charge de déficiences reconnues (déficits visuels ou auditifs, troubles moteurs, autisme, etc.). Intervenant dans le milieu naturel des enfants et adolescents, il se présente comme une alternative au placement en établissement spécialisé.
Naguère divisé en deux unités indépendantes géographiquement et historiquement (l'une dans le XIIe arrondissement de Paris, l'autre dans le XIVe), le Sessad vient de regrouper ses bureaux dans un local unique, « dans un souci d'efficacité, pour mettre en synergie les compétences des deux équipes ». Financé par la sécurité sociale, le service a profité de cette réorganisation pour faire passer sa capacité d'accueil de 80 à 90 places, tout en abaissant l'âge minimum d'admission de 11 à 6 ans (jusqu'à 20 ans) pour répondre à une plus large demande.
Après avoir été repérés par des professionnels du secteur social, médico-social, judiciaire (aide sociale à l'enfance, établissements scolaires ou hospitaliers, services sociaux, juges des enfants) ou à la suite d'une demande des familles, les jeunes sont adressés sur notification de la décision d'orientation de la commission départementale de l'éducation spéciale (CDES), compétente pour l'orientation des moins de 20 ans. En tenant compte des sorties et admissions en cours d'année, 111 jeunes de 9 à 23 ans sont passés dans le service l'an dernier, dont une majorité de garçons (73 % des cas) (2).
Ouvert sur l'extérieur par définition, habilité à agir hors les murs, ce service offre une cohérence dans les soins, qui évite l'éparpillement. En outre, il peut adapter facilement sa réponse aux besoins et aux demandes d'une population instable, en mal de repères, qui échappe aux cadres quels qu'ils soient. Et dont les manifestations de désordre psychique prennent des formes très diverses, nécessitant des ajustements constants « au cas par cas », comme l'explique Alain Guichet.
Cette souplesse d'action s'accorde bien avec la volonté des intervenants (une équipe de 24 salariés dont 11 éducateurs, 2 psychiatres, 4 psychologues et une assistante sociale) de ne pas se limiter au traitement d'un problème comportemental donné, « d'un symptôme parmi d'autres », mais d'apporter une réponse aux difficultés existentielles de l'enfant ou de l'adolescent concerné.
Présente essentiellement en Ile-de-France mais aussi en Haute-Savoie, l'Association vers la vie pour l'éducation des jeunes (AVVEJ) existe depuis 1952. Elle anime une vingtaine d'établissements : services d'accueil d'urgence, instituts de rééducation et foyers pour adolescents, services d'aide aux enfants dans leur famille (AEMO-Sessad), foyers pour les jeunes mères en difficulté et leurs enfants, lieux d'hébergement et d'aide à la réinsertion pour les familles, centre de formation d'apprentis et structures scolaires spécialisées et un service « Ressources ». Direction générale de l'AVVEJ : 5, rue de Port-Royal - 78470 Saint-Lambert-des-Bois -Tél. 01 30 43 26 00 -Fax : 01 30 43 98 25 -E-mail :
A la demande pressante de l'Education nationale et des familles, soucieuses de voir disparaître le problème, le Sessad oppose donc la logique d'un travail dans la durée et sur la globalité du sujet. « Nous n'avons pas pour mission de traiter l'échec scolaire », affirme Alain Guichet, mais d'apporter un soutien à une personne en situation d'errance psychique. Pas question donc, pour le Sessad, « espace de soins » relevant du secteur médico-social, de se substituer à l'institution scolaire. Par contre, il s'efforce d'établir des liens avec elle pour travailler ensemble au mieux-être du jeune.
Cet objectif passe par la mise en œuvre d'une pluralité de moyens, à la fois éducatifs et thérapeutiques, afin de constituer un « fil conducteur » dans la vie de l'enfant ou de l'adolescent, de faire émerger un « trajet personnel » dans un parcours, jusque-là perçu comme une suite de ruptures et d'échecs (famille éclatée, alcoolisme, situation économique précaire, problèmes scolaires...). Des situations qui, selon Alain Guichet, témoignent très souvent d'un « ratage de la transmission », qu'il s'agisse, de la transmission d'un modèle familial, de racines culturelles ou de valeurs sociales.
Au moment de son admission, l'adolescent fait la connaissance de son (de ses deux) éducateur (s), référent (s) ainsi que du psychologue ou psychiatre qui le suivra également.
L'objectif de l'équipe éducative est d'amener l'enfant ou l'adolescent à « verbaliser une véritable demande » afin qu'il puisse élaborer un projet personnel.
Parallèlement, l'intervention thérapeutique doit permettre au sujet d'identifier sa souffrance, ses causes et les moyens d'y remédier, en écartant la tentation du passage à l'acte. Pour obtenir des résultats, cette démarche - d'orientation analytique - implique une réelle adhésion du jeune ainsi qu'un travail de longue haleine. « La moyenne de la prise en charge est d'environ deux ans », précise le directeur. « Mais parfois, le transfert ne s'opère pas. Au bout de deux-trois mois, le jeune ne vient plus. D'autres au contraire sont là depuis quatre ou cinq ans . »
C'est dire l'importance d'un bon aiguillage des dossiers. Le Sessad a examiné, en 2002, trois fois plus de demandes qu'il y a eu d'admissions. Car les refus peuvent venir des familles, exerçant leur droit (sauf dans le cas d'une décision de justice), mais aussi du service « parce que l'orientation envisagée ne nous apparaît pas la meilleure indication », explique Alain Guichet. Lequel souhaiterait améliorer la collaboration avec les partenaires pour que le Sessad soit choisi comme la réponse adéquate et non pas en guise de roue de secours ou par manque de places dans une autre structure.
« La principale difficulté, c'est que ces jeunes ont beaucoup de mal à se livrer », estime Delphine Brouillet, éducatrice. « Beaucoup d'entre eux ont déjà vu plusieurs éducateurs ou psychiatres avant d'arriver là et ils n'ont plus envie de parler. » Certains ont d'ailleurs déjà fait des séjours en unités psychiatriques, le Sessad travaillant en collaboration, notamment, avec l'hôpital psychiatrique Sainte- Anne et la Pitié-Salpêtrière. Educateurs spécialisés et thérapeutes veillent alors à ne pas forcer le jeune à parler, mais à prendre du temps et de la distance pour le mettre en confiance.
Chaque situation est examinée dans des « points cliniques » qui, réunissant, une fois par semaine, les membres du Sessad et les professionnels extérieurs intéressés (médecin, assistante sociale...), permettent de réévaluer régulièrement les besoins.
Partie prenante au projet, l'entourage est naturellement associé au dispositif. « Notre démarche nécessite un accompagnement des familles, qui s'effectue essentiellement par des entretiens, par souci de préserver leur intimité », assure Alain Guichet. Les interventions peuvent avoir lieu au service comme chez le jeune ou dans tout autre lieu de son cadre de vie habituel ; la notion de « domicile » est prise au sens large (famille, internat, lieu de vie, hôpital, prison). « Le travail des éducateurs peut consister à faire le lien avec un établissement scolaire, mais aussi à aller au cinéma avec un adolescent, l'accompagner à un entretien d'embauche ou organiser des ateliers (contes, peinture, jeux de société, etc.) pour favoriser la parole et l'échange », précise le directeur.
Créer un cadre à même de libérer la parole est d'autant plus important que le Sessad reçoit beaucoup de jeunes en situation d'isolement. La plupart d'entre eux ont été exclus de l'école ou du collège à cause de leur comportement. Si leur première demande - ou celle de leurs parents - est de réintégrer le milieu scolaire, ce n'est pas toujours possible, ni même souhaitable, dans l'immédiat tant que leurs difficultés ne sont pas aplanies.
En attendant, le service leur permet, entre autres, de participer à des activités en groupe pour les aider à sortir d'eux-mêmes et réapprendre à nouer des relations sociales. « Une fois déscolarisés, ils n'ont plus de réseau. Ici, ils sont séduits par la possibilité de rencontrer d'autres jeunes de leur âge », défend l'éducatrice.
Avec un adolescent plus âgé ou un jeune adulte, les actions seront plus volontiers orientées vers une insertion professionnelle. « On va faire le point de ses envies, de ses capacités, et l'accompagner dans ses démarches auprès de la mission locale, du centre départemental et d'information jeunesse, du centre d'information et d'orientation, d'une école professionnelle ou d'un lycée technique », explique Delphine Brouillet.
Rodé à l'accompagnement d'adolescents (les 13-18 ans représentaient plus de 78 % des situations suivies en 2002), le Sessad s'interroge aujourd'hui sur les modalités qu'il faudra mettre en place pour accueillir de jeunes enfants de 6 ou 7 ans. « Il y a une demande très importante, en particulier de la part d'établissements scolaires, pour l'accompagnement d'enfants de plus en plus jeunes », explique Alain Guichet, qui constate que « la violence s'exprime de plus en plus tôt, notamment en institution scolaire. »
« L'idée de la traiter préventivement nous paraît plus pertinente que d'arriver à une déscolarisation partielle et totale des enfants ou à une chronicisation des troubles », ajoute-t-il, tout en reconnaissant que cet accompagnement ne saurait s'improviser. Il réclame au contraire un investissement, des aménagements spécifiques (salles de jeux, par exemple), des moyens qui restent à évaluer, au cours d'une réflexion commune que le Sessad aimerait mener avec ses partenaires. Anne Simonot
(1) Sessad de l'AVVEJ : 16/16 bis, avenue Parmentier - 75011 Paris - Tél. 01 40 09 60 23 - Fax : 01 43 67 08 87 - E-mail :
(2) Plus de la moitié des jeunes reçus en 2002 étaient originaires de Paris, les autres venaient des Hauts-de-Seine, de l'Essonne, du Val-de-Marne, du Val-d'Oise et des Yvelines.