Les conclusions des groupes de travail Hermange, de Panafieu et Clément
La prochaine conférence de la famille réunira, le 29 avril, pouvoirs publics, partenaires sociaux, représentants du mouvement familial et personnalités. Le gouvernement annoncera à cette occasion les mesures qu'il entend mettre en œuvre en faveur des familles, au mieux à partir de 2004. Des mesures qui n'auront pas été « arbitrées à la hâte et dans le secret » mais qui, au contraire, auront fait l'objet d'une large « concertation en amont », ont assuré Jean- François Mattei et Christian Jacob, en rendant publics, le 25 février, les rapports commandés en octobre dernier (1). Afin que la conférence ne se réduise « pas à une sorte de grand-messe, très formelle », le ministre délégué à la famille avait alors mis en place trois groupes de travail, composés des partenaires sociaux, des associations représentatives du mouvement familial, des administrations, d'élus locaux et nationaux et d'experts. Une procédure d'ailleurs saluée par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) comme par l'Union nationale des associations familiales (UNAF).
Le premier groupe, piloté par Marie-Thérèse Hermange, députée européenne (UMP), a réfléchi à la nouvelle « prestation d'accueil du jeune enfant » voulue par le président de la République. Ses conclusions étaient les plus attendues. Le deuxième, dirigé par Françoise de Panafieu, députée maire (UMP) du XVIIe arrondissement de Paris, avait pour thème « services à la famille et soutien à la parentalité ». Le dernier groupe de travail, « familles et entreprises », était mené par Martine Clément, membre du Medef (voir encadré).
De leurs multiples propositions, Christian Jacob a d'ores et déjà retenu plusieurs pistes. Mais pour l'heure, rien n'est arrêté. L'ensemble des partenaires continueront d'être associés à la « concertation » qui se poursuivra jusqu'au 29 avril, a-t-il promis. Avec une inconnue pour l'instant : quels seront les moyens budgétaires accordés par Bercy ?
La lettre de mission du ministre fixait trois objectifs à la nouvelle prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) :simplifier le dispositif actuel ; garantir le libre choix du comportement d'activité, la prestation devant être accordée au parent qui travaille ou ne travaille pas, tout en évitant une « désincitation au travail » ; garantir le libre choix du mode de garde en aidant les familles à financer le plus adapté à leurs besoins.
La lettre précisait un quatrième souhait : « tenir compte des contraintes pesant sur les finances publiques ». Bercy l'a presque transformé entre-temps en un impératif :réformer à coût constant.
A la lecture du rapport, on comprend que le groupe de travail a intégré, par souci « de réalisme et d'équité », une cinquième contrainte : ne pas trop toucher au système actuel de redistribution et surtout ne pas entraîner d' « anti-redistributions notoires ». Une simpli- fication radicale attribuant la même prestation à tous les enfants ne pourrait, en effet, s'effectuer qu'au détriment des personnes les plus défavorisées, actuellement plus aidées par les prestations délivrées sous plafond de ressources, et diminuer encore leurs facultés de choix déjà réduites. Le groupe de travail répond en cela au souci de « justice sociale » récemment exprimé par le Haut Conseil de la population et de la famille (2). Mais force est de constater qu'il ne veut pas non plus trop écorner la situation des familles les plus aisées qui bénéficient actuellement de déductions fiscales et d'exonérations de charges...
Les débats au sein du groupe de travail sont décrits comme « ouverts » et « constructifs », mais pas unanimes. « Des oppositions, parfois trop rapides, subsistent », écrit le rapporteur, entre accueil collectif ou individuel, mère au travail ou au foyer, prestation légale ou aide sociale, politique nationale ou locale... Le texte signale aussi les désaccords liés à l'imposition éventuelle de la nouvelle prestation qui, outre ses effets redistributifs, pose une importante « question de principe ».
S'il formule, dans son chapitre V, une cascade de propositions techniques, le rapport présente, dans ses premières parties, une intéressante collecte des données démographiques - avec la situation originale en Europe d'une France en état de population presque stationnaire - et sociologiques - avec un environnement familial de plus en plus complexe et une croissance du taux d'activité des femmes qui tous deux augmentent les besoins d'accueil. Il détaille surtout le « parcours d'obstacles » imposé durant la grossesse comme après la naissance. Et formule le « constat sans ambiguïté » d'un système opaque, mis en place et modifié au fil des ans sans logique d'ensemble et sans coordination entre les nombreux intervenants, menacé par les « trois syndromes » d'un excès de réglementation, d'une mauvaise évaluation et d'une déconnection par rapport au vécu des familles.
Le rapport - pourtant rédigé par Philippe Steck, directeur des prestations familiales à la CNAF et réputé l'un des meilleurs connaisseurs du système - insiste aussi sur l'incertitude qui demeure dans le chiffrage et l'évaluation des hypothèses qu'il formule. D'une part, à cause de la complexité de la situation actuelle et de la difficulté plus grande encore d'appréhender les bénéficiaires potentiellement éligibles. D'autre part, et surtout, à cause de l'impossibilité de prévoir l'impact des propositions sur les comportements, dont les facteurs d'évolution sont multiples et complexes. Y entrent aussi bien le désir d'enfant (toujours supérieur aux naissances effectives) que la disponibilité de logements, l'offre de garde autant que les prestations.
Parmi les scénarios avancés, le rapport indique clairement une préférence pour le deuxième, qui lui semble mieux correspondre aux objectifs visés et « constituer une armature solide pour faire avancer la réflexion ». Le ministre, Christian Jacob, s'est dit lui aussi « plutôt séduit » par « la simplicité et la souplesse » de cette proposition. Sans trancher encore parmi ses variantes possibles. Il estime également qu'elle prendra « tout son sens » si elle est couplée à une action sur l'offre de garde, notamment par la création de places de crèches et l'amélioration du statut des assistantes maternelles.
Le groupe de travail envisage donc trois scénarios qui s'éloignent de plus en plus des dispositifs actuels. Le premier crée une prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) qui cherche simplement à harmoniser les aides existantes quels que soient les modes d'accueil et de vie choisis. Le deuxième va plus loin dans la réforme en instituant une PAJE à caractère universel, avec un socle de base assorti de deux compléments, l'un pour l'accueil extérieur, l'autre pour la garde parentale. Le troisième réorganise l'ensemble du système, soit autour de la tranche d'âge des 0-3 ans, soit autour de la naissance. La simplification n'étant pas encore de mise à ce stade, chaque scénario s'accompagne de multiples sous-hypothèses, dont les effets ne sont pas toujours faciles à mesurer.
La première série d'hypothèses avancée ne bouleverse pas le système actuel mais tend à pallier certaines de ses faiblesses. Il ne présente pas de socle universel mais se veut plus neutre par rapport au mode de garde et « desserre les contraintes financières » pesant sur les choix des familles. Dans ce scénario, l'APJE est maintenue dans ses modalités actuelles. Par contre, les allocations liées à l'accueil de l'enfant sont repensées.
Une nouvelle allocation « mode d'accueil » pourrait revêtir deux formes : une prestation forfaitaire par enfant, indépendante du mode de garde choisi et du revenu, ou bien une prestation visant à la convergence du taux d'effort des familles, actuellement très inégal selon les modes de garde et les revenus.
L'allocation pour jeune enfant (APJE) peut être versée du 5e mois de grossesse jusqu'au mois précédant le 3e anniversaire de l'enfant. On distingue l'APJE « courte », attribuée du 5e mois de grossesse jusqu'aux 3 mois de l'enfant, de l'APJE « longue » versée ensuite. Toutes deux sont accordées sous condition de ressources (le plafond varie en fonction de la composition du ménage et du nombre d'enfants).
L'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) compense une partie (50 ou 75 %) des cotisations dues par une famille qui emploie une personne gardant un enfant de moins de 6 ans à domicile. Une condition minimale d'activité est requise des bénéficiaires. Le montant de l'aide est modulé en fonction du revenu des allocataires, de l'âge du dernier enfant et d'une éventuelle perception de l'APE (voir ci-dessous).
L'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (Afeama) consiste en une prise en charge des cotisations salariales et patronales dues pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée pour la garde d'un enfant de moins de 6 ans (versement direct des cotisations par les CAF à l'Urssaf). A cette aide de base s'ajoute un complément (« majoration d'Afeama » ) qui varie selon l'âge de l'enfant (inférieur à 3 ans ou de 3 à 6 ans). Depuis 2001, ce complément est également modulé en fonction des revenus de l'allocataire.
L'allocation parentale d'éducation (APE), versée sans condition de ressources, est destinée à compenser l'arrêt ou la réduction de l'activité professionnelle à l'occasion d'une naissance ou d'une adoption portant à 2 le nombre d'enfants à charge dans la famille. Elle est versée pour 3 ans au maximum. Pour les montants actuels des allocations et des plafonds de ressources, voir ASH n° 2292 du 3-01-03.
Dans le premier cas, celui du forfait, deux modalités sont encore possibles, l'une qui solvabilise le seul accueil extérieur individuel, l'autre l'ensemble des modes d'accueil extérieurs.
Le forfait ne concerne que l'accueil extérieur individuel
La prestation fusionne alors l'Afeama, l'AGED et les avantages fiscaux qui leur sont liés. Elle les remplace par une aide mensuelle d'un montant de 370 € pour les enfants de moins de 3 ans non scolarisés et de 185 € pour les enfants scolarisés jusqu'à 6 ans. 656 000 familles sont concernées et l'opération, qui redistribue 2,52 milliards d'euros, est financièrement blanche pour la collectivité. Elle a le mérite de la simplicité et d'un coût constant mais opère une redistribution « non négligeable voire substantielle » au détriment des familles aisées bénéficiaires de l'AGED et des familles modestes percevant le taux le plus élevé de l'Afeama.
Le forfait prend en compte l'ensemble des modes d'accueil extérieurs (y compris les crèches)
Dans ce cas de figure, la masse financière redistribuée, qui inclut les prestations de service des caisses des allocations familiales, atteint 3,06 milliards d'euros, mais pour 860 000 familles. Le forfait pourrait alors atteindre 330 € pour les moins de 3 ans non scolarisés et 165 € dès la scolarisation et jusqu'à 6 ans. Avantages :simplicité et coût constant. Inconvénients : la formule met en cause les modalités de financement des crèches et entraîne aussi des « redistributions non négligeables ».
Seconde hypothèse : la recherche d'un taux de convergence établi par rapport à un coût de référence, dit « taux d'effort » des familles, de l'ordre de 12 %. Ce dispositif se substitue à l'Afeama et à l'AGED, concerne 656 000 familles et englobe 2,23 milliards d'euros. La convergence peut être recherchée selon trois variantes :
un barème linéaire, que le rapport semble rejeter car il conduirait notamment à des « redistributions substantielles » au détriment des revenus aisés et à des changements de comportement difficiles à évaluer ;
un barème par tranches de revenus, avec des prestations allant décroissant à mesure que les ressources familiales s'élèvent. Cette formule, estime le rapport, rapproche sensiblement les taux d'effort, desserre les contraintes pour les revenus les plus modestes, limite les pertes pour les revenus les plus aisés et rend l'emploi familial plus accessible aux revenus médians ;
un barème qui tienne compte des revenus mais aussi des temps de garde.
Deux simplifications pourraient accompagner la nouvelle prestation.
Une exonération totale des cotisations sociales, pour le recours à une assistante maternelle agréée comme pour l'accueil à domicile, pourrait intervenir dans les hypothèses privilégiant la recherche d'un taux de convergence. La tâche des familles, qui n'auraient plus qu'à régler le salaire net, serait facilitée et elles n'auraient plus à faire d'avance d'argent. Cette mesure aurait un coût estimé à 120 millions d'euros, qui serait compensé, au moins pour partie, par des allégements de gestion, donc des économies pour les CAF (qui assurent actuellement le tiers payant pour une part des cotisations).
La prestation pourrait se concrétiser sous la forme d'un chèque-famille, lequel permettrait de rémunérer, au moins en partie, aussi bien les services d'une crèche, d'une assistante maternelle que d'un employé familial. Cette formule est plus simple à mettre en œuvre si la prestation est forfaitaire, précise le rapporteur.
Si l'un des parents interrompt temporairement son activité professionnelle, l'APE est maintenue à son niveau actuel (493 €). Mais, pour tenir compte à la fois du côté redistributif de cette prestation et du risque qu'elle constitue un « piège à inactivité de longue durée », le rapport suggère plusieurs hypothèses d'amélioration. La prestation pourrait, par exemple, être mieux articulée au congé parental ; elle pourrait aussi être modulée avec une APE de rang 1 versée jusqu'au premier anniversaire de l'enfant.
En cas de cessation de travail à temps partiel, le rapport propose une majoration de 10 ou 20 % de l'allocation (par rapport à son niveau actuel) et une possibilité de cumul avec la prestation mode d'accueil.
Poussant plus loin la réforme, le deuxième scénario s'ordonne autour d'une prestation à deux étages.
Le premier étage est construit autour de l'actuelle APJE (159 €). Elle serait versée aux familles ayant un enfant de 0 à 3 ans (et à mi-tarif en cas de scolarisation), solvabilisant ainsi tous les modes d'accueil. 1 519 000 familles (3 sur 4) en bénéficient actuellement, pour un montant de 2,87 milliards d'euros. Là encore, le rapport envisage « plusieurs combinatoires » possibles :
une prestation universelle levant toute condition de ressources. 450 000 familles de plus sont alors concernées, pour un coût supplémentaire de 860 millions d'euros. L'impact, financier et redistributif, de cette mesure pourrait être modulé par une soumission à l'impôt ;
une prestation restant sous condition de ressources mais attribuée à chaque enfant de moins de 3 ans. Ce n'est plus la famille mais l'enfant qui est bénéficiaire. Coût : 200 millions ;
une prestation modulée, mais de manière moins sélective que l'APJE actuelle :
- soit en fonction de la composition de la famille, avec majoration à partir de 3 enfants à charge ou en cas de handicap, - soit en fonction des revenus. Là encore, plusieurs variantes possibles, comme une levée de toute condition de ressources pour l'APJE longue (quitte à la soumettre à l'imposition), ou bien une modulation des ressources pour les couples bi-actifs qui diminuerait le nombre des exclusions ; ces mesures coûteraient respectivement 500 et 250 millions d'euros, - la condition de ressources pourrait aussi être levée pour l'APJE courte. Dans ce cas, la PAJE deviendrait une allocation universelle autour de la naissance, jusqu'aux 4 ou 6 mois de l'enfant. Coût : 190 ou 240 millions d'euros.
Une autre voie, « plus ambitieuse », porterait le socle de base à un montant beaucoup plus substantiel (493 €), par exemple sur une durée de un an, pour insister sur la naissance, « période clé du développement de l'enfant ».
Au socle de base viennent s'ajouter deux suppléments : l'un en cas d'accueil extérieur au foyer, l'autre en cas de cessation temporaire d'activité de l'un des parents. Ces deux allocations reprendraient les dispositions exposées dans le précédent scénario. Dans le cas de garde à domicile par l'un des parents, le montant total de la prestation resterait plafonné à 493 €, incluant la prestation universelle.
Les propositions de simplification (exonération des cotisations sociales et chèque-famille, voir p. 17) pourraient également s'appliquer dans ce deuxième scénario.
Les rapporteurs du groupe de travail « familles et entreprises », présidé par Martine Clément, membre du Medef, ont proposé 15 mesures pour mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Ils en ont retenu 4 comme « principales ». « Tout ce qui pourra être fait pour inciter les entreprises à réaliser des actions de politique familiale » paraît aller « dans le bon sens » , a souligné Christian Jacob.
L'ouverture aux entreprises du secteur de l'accueil des jeunes enfants et des services aux fami l les est préconisée par Martine Clément, « au même titre qu'il existe un secteur privé dans l'enseignement ou les hôpitaux » . Une recommandation sans surprise eu égard à son appartenance au Medef. Le rapport est ainsi favorable à l'émergence de crèches constituées sous forme d'entreprise (au moins à titre expérimental dans un premier temps), bénéficiaires de financements publics à condition de respecter un cahier des charges. Les communes qui gèrent des crèches pourraient passer une délégation de service public avec de telles structures privées. Par ailleurs, des entreprises pourraient employer des assistantes maternelles ou des gardes à domicile et intervenir soit en tant que prestataires de services - elles embaucheraient alors directement des assistantes maternelles ou des gardes à domicile à la place des parents - soit en tant que mandataires, ce qui est actuellement réservé aux associations. Sous réserve d'avoir fait l'objet d'un « agrément pointu » , elles pourraient bénéficier de financements publics. Les parents, pour leur part, conserveraient le droit au bénéfice de l'allocation de garde d'enfant à domicile ou de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (Afeama).
Le financement croisé public/privé est également recommandé par le groupe de travail. Les entreprises pourraient ainsi financer, aux côtés des caisses d'allocations familiales et des communes, les « contrats enfance » (financement de crèches) et les « contrats temps libre » (financement de structures pour les jeunes et les adolescents). Ces dépenses seraient éligibles au « crédit d'impôt familles ».
Un « crédit d'impôt familles » pourrait prendre en compte la moitié de l'effort des entreprises consenti pour les familles. Les entreprises pourraient ainsi déduire de leur impôt les frais engagés pour le financement (3) de structures d'accueil des enfants, des jeunes et des adolescents (réservation de places en centres de vacances ou en centres aérés, contrats « temps libre » ). Et plus largement, toutes les dépenses facilitant la gestion des horaires (temps partiel choisi, travail à domicile partiel) ou les congés parentaux (maintien de la rémunération des cadres en congé de paternité, congés pour enfants malades...).
Un « chèque-famille », nouvel outil de paiement , permettrait aux familles de régler certaines prestations à caractère familial, en particulier celles concernant la garde d'enfant, l'accueil et l'animation des jeunes et des adolescents. Il pourrait venir en complément de la prestation d'accueil du jeune enfant. La participation de l'entreprise au financement de ce nouveau titre de paiement serait déductible de son impôt au titre du « crédit impôt familles ».
Autres propositions : la relance des commissions départementales d'accueil de la petite enfance, mises en place au printemps dernier (4) , l'aménagement du congé parental en offrant au parent la possibilité d'en prendre une partie, 6 mois par exemple, au-delà des 3 ans de l'enfant (jusqu'à ses 7 ou 8 ans) et de bénéficier, la dernière année, d'une formation professionnelle...
Catherine Sebbah
Le troisième scénario - développé brièvement et pour rendre compte des débats plus que comme une véritable hypothèse du groupe de travail -ambitionne de réorganiser plus en profondeur le dispositif actuel. Avec encore - rien n'est simple ! - deux variantes sensiblement différentes.
Une nouvelle allocation parentale d'éducation vraiment universelle pourrait être versée - hors congé maternité - à chaque famille ayant un ou plusieurs enfants de moins de 3 ans jusqu'à la scolarisation. Et cela, quel que soit le mode de garde de l'enfant. Elle remplacerait l'Afeama, l'AGED, l'APE, l'APJE plus toutes les exonérations de charges et réductions fiscales, ainsi que les prestations de services aux crèches. La somme ainsi redistribuée atteindrait les 8,19 milliards d'euros pour 2 100 000 familles. Selon les promoteurs de ce scénario - notamment Familles rurales (5) -, le montant devrait être au moins égal à l'actuelle APE, soit 493 €, passer à 500 € au 1er janvier 2004 et s'établir aux environs d'un demi-SMIC. Autant de chiffres qui nécessiteraient « une expertise plus approfondie », souligne le rapport.
Cette prestation n'étant pas soumise à condition de ressources ni à condition d'activité antérieure, elle peut être considérée comme un revenu de remplacement et soumise à l'impôt sur le revenu et à la CRDS, avance prudemment le groupe de travail.
Avantages de la formule : simplicité et unification maximales. Inconvénient : elle risque de pousser un certain nombre de femmes à se retirer du marché du travail. De plus, le coût n'est pas nul, car le financement des cotisations vieillesse (des personnes qui arrêtent de travailler) serait reporté de la branche famille vers les caisses de retraite.
Son effet sur la redistribution serait fort, notamment pour les familles modestes non bénéficiaires de l'APE et ne percevant que l'APJE, ou pour celles bénéficiant de l'Afeama ou encore pour les ménages au-dessus du plafond de l'APJE. La fiscalisation entraînerait évidemment une redistribution plus « conséquente ». Enfin, plus encore que dans les autres hypothèses, il est difficile de mesurer l'impact que ce changement pourrait avoir sur les comportements, donc sur les coûts qui pourraient en résulter.
Autre hypothèse : une prestation universelle concentrée autour des premiers mois de la vie. Peu éloignée de celle évoquée à la fin du scénario 2, elle en diffère en distinguant plus nettement entre les petits de moins de 1 an et les enfants de 1 à 3 ans :
une prestation universelle d'accueil du jeune enfant serait versée après le congé maternité en cas d'activité, sinon dès la naissance, jusqu'au premier anniversaire de l'enfant, pour un montant voisin de l'APE ( 500 € en 2004). Une prime serait servie avant la naissance pour remplacer l'actuelle APJE prénatale ;
de 1 à 3 ans, trois allocations, plus modestes, pourraient prendre le relais :soit le complément d'accueil extérieur, soit le complément pour la garde par l'un des parents cessant de travailler tels que déjà évoqués plus haut ; soit encore une allocation qui irait au parent inactif de longue durée. 2 100 000 familles seraient concernées et le coût mobiliserait « une part non négligeable de l'excédent de la branche famille ».
Ce scénario, « encore à expertiser » lui aussi , modifie la proportion de l'aide publique sur les trois premières années en mettant l'accent sur la naissance et « la nécessité d'un accueil sans contrainte dès l'arrivée au monde de l'enfant ». La première année, la prestation est neutre par rapport au mode de garde et solvabilise à hauteur d'un demi-SMIC la garde par l'un des parents. Elle « faciliterait » la période post-natale pour les mères... en poussant sans doute un plus grand nombre d'entre elles à prolonger leur arrêt de travail sur un an.
Toujours pour faciliter le choix des parents et leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et familiale, le groupe de travail suggère des mesures d'accompagnement de la prestation avec notamment :
une « réflexion autour de l'allongement de la durée de congé maternité », qui pourrait passer de 16 à 18 semaines ;
le lancement d'un plan crèche pluriannuel, qui pourrait, pour un coût de 65 millions d'euros, déboucher sur la création de 6 000 places ;
la généralisation de nouveaux types de structures comme les crèches en appartement ou les crèches évolutives (adaptées aux divers âges de l'enfant) ;
l'amélioration de l'aide publique en présence d'un handicap ;
la relance de l'action sociale des caisses d'allocations familiales pour réduire le coût laissé à la charge des gestionnaires d'équipements ;
l'élaboration d'un plan pour les métiers de la petite enfance, notamment pour anticiper sur les besoins de recrutement et de formation, et moderniser l'accueil individuel (la crèche pouvant jouer un rôle de formation auprès des assistantes maternelles). Au passage, le groupe de travail suggère une autre piste, sans doute moins consensuelle : que ces dernières puissent accueillir, « notamment en milieu rural », plus de 3 enfants.
Pour moderniser la gestion, le rapport préconise également de transformer les relais assistantes maternelles en maisons d'accueil du jeune enfant, afin d'en faire « un pivot d'accès à l'accueil disponible ». Il propose de modifier le carnet de maternité afin qu'il devienne un outil d'information sur les droits et les possibilités de choix des familles. Il souhaite compléter le contrôle des examens médicaux pré et postnataux (actuellement non suivi d'effets) par une procédure de signalement des grossesses à risque à la protection maternelle et infantile. Il demande enfin l'harmonisation des bases de ressources prises en compte pour les différentes prestations familiales autour de la notion de revenu imposable.
Comment faciliter l'accès à l'information sur les services qui permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale et sur les structures de soutien à la parentalité, et comment améliorer la répartition de l'offre en la matière sur l'ensemble du territoire ? En assurant plus de lisibilité et plus de cohérence, conclut le groupe de travail de Françoise de Panafieu, dont le rapporteur était Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales.
Première préconisation : devant la complexité du secteur, avec ses nombreuses actions -réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), accompagnement à la scolarité, médiation familiale, aide aux familles à domicile, parrainage, espaces rencontre pour le maintien des relations enfants-parents, lieux d'accueil parents-enfants, groupes de parole, maisons de parents... - et ses innombrables opérateurs, il est urgent de développer des « points info famille ». Ces lieux pourraient offrir aux familles « une documentation complète et actualisée sur les services auxquels elles peuvent avoir accès » et les orienter vers les dispositifs les plus adaptés à leurs besoins. Ils pourraient aussi proposer directement certains services : aide à la recherche d'un mode de garde adapté, médiation familiale, permanences de personnels de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la Mutualité sociale agricole, du centre communal d'action sociale (CCAS), de travailleurs sociaux... Certes, des structures remplissent déjà certaines de ces missions, comme les maisons des services publics ou les maisons de la justice et du droit. Mais elles sont inégalement réparties sur le territoire. D'où la proposition du groupe d' « impulser et de soutenir, par un appel à projets financé par un fonds de soutien », l'émergence de ces « points info famille » dans les communes ou les intercommunalités candidates. Ce fonds apporterait une aide à l'investissement initial, financerait des actions de formation ou du matériel, afin de favoriser le démarrage de l'action. Il soutiendrait aussi des projets déjà développés localement. Une charte viendrait encadrer le contenu des « points info », lesquels seraient labellisés et repérables grâce à un logo national.
Deuxième axe de recommandations : la « consolidation » des différents « services », au sens large, et particulièrement de ceux qui sont apparus ces dernières années. Ainsi le groupe plaide-t-il pour la reconnaissance et la professionnalisation des médiateurs familiaux, tout en rappelant que les textes relatifs à cette formation et au nouveau diplôme qui va venir la sanctionner sont attendus pour le premier semestre de cette année. Il préconise également de « valoriser et encadrer le développement du parrainage », une modalité de soutien à la parentalité « mal connue et sous-utilisée, freinée en particulier par un manque de connaissance, de reconnaissance et de cadre qui ne facilite pas l'engagement des professionnels ». Et reprend à son compte certaines des propositions du groupe de travail présidé par Marie-Dominique Vergez qui, en 2002, suggérait notamment la mise en place d'un cadre national autour d'une charte d'éthique et la diffusion d'un guide pratique du parrainage (6). Les « espaces rencontre pour le maintien des relations enfants-parents », anciens « lieux d'accueil pour l'exercice du droit de visite », pourraient, quant à eux, voir leur fonctionnement sécurisé par une formalisation légale ou administrative et par une pérennisation de leurs financements, actuellement précaires. L'intervention des associations d'aide aux familles à domicile, enfin, doit faire l'objet d'une attention particulière, étant donné les difficultés de recrutement de professionnels qu'elles rencontrent, notamment de techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), et des « modes de financement horaire ne tenant pas compte du travail d'équipe et partenarial nécessaire à un accompagnement de qualité des familles ». Le groupe demande donc que ces modes de financement soient revus. Et que soit mis en place le dispositif de validation des acquis de l'expérience pour l'obtention du diplôme de TISF. Les actions d'aide aux familles autour de la périnatalité, particulièrement au moment de la naissance du premier enfant, devraient aussi être développées.
Le rapport insiste, d'autre part, sur la nécessité de « mieux réguler la création, le développement et l'implantation des services au niveau local ». Dans cette optique, des « comités départementaux partenariaux d'animation des services aux familles » devraient assurer leur pilotage. Ces instances regrouperaient les divers comités de pilotage existant déjà au niveau départemental - celui des REAAP, celui de l'accompagnement à la scolarité, le conseil départemental de la famille, de l'enfance et de l'adolescence... - et rassembleraient l'ensemble des partenaires institutionnels et associatifs. Parmi leurs principales missions, un diagnostic territorialisé des attentes et des besoins des familles, s'appuyant lui-même sur la mise en commun des diagnostics des CAF, des CCAS, des schémas directeurs des grands organismes et des collectivités ; la réalisation et l'actualisation d'une base de données départementale recensant les divers services aux familles ; le lancement d'appels à projets pour soutenir la création de services faisant défaut ou à l'inverse la mise en contact de porteurs de projets similaires ; l'accompagnement des actions mises en œuvre... Ces comités d'animation pourraient également comporter un comité des financeurs centralisant l'ensemble des demandes de subventions grâce à la mise en place d'un dossier unique. Ce qui simplifierait énormément les démarches des associations et rendrait plus transparents et plus cohérents les critères d'attribution des fonds. Serait aussi dévolue à ce comité des financeurs la responsabilité de l'évaluation des actions, qui pourrait être déléguée par ses soins « à des organismes privés ou associatifs ayant développé des compétences dans ce domaine ».
Enfin, le groupe de travail recommande chaudement le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication au service des familles. Un fonds de soutien pourrait, par exemple, soutenir l'extension des téléservices ou téléprocédures à leur intention. La création d'un fonds d'information commun aux différents acteurs de la politique familiale faciliterait l'accès à des données harmonisées sur l'ensemble des sites du champ de la famille. Un portail « services aux familles » partenarial, regroupant un site national, des sites départementaux et des liens vers l'ensemble des sites nationaux ou locaux, garantirait « un égal accès aux informations et services, en dehors de tout objectif commercial ».
Céline Gargoly - Marie-Jo Maerel
(1) Voir ASH n° 2282 du 25-10-02. Les textes sont consultables sur Internet :
(2) Voir ASH n° 2297 du 7-02-03.
(3) Financement le cas échéant croisé avec les caisses d'allocations familiales et les communes.
(4) Voir ASH n° 2262-2263 du 17-05-03.
(5) Voir ASH n° 2298 du 14-02-03.
(6) Voir ASH n° 2247 du 25-01-02.