Des débuts encourageants mais encore de grandes marges de progrès. Ainsi pourrait-on résumer succinctement le résultat de l'évaluation externe du dispositif de formation par apprentissage au di- plôme d'Etat d'éducateur spécialisé et au certificat d'aptitude à la fonction de moniteur-éducateur mis en place en septembre 2000 et qui, depuis, dans 17 régions, a concerné 741 jeunes professionnels - 453 éducateurs et 288 moniteurs-éducateurs (1). Commandés par la commission paritaire nationale pour l'emploi de la branche associative sanitaire, sociale et médico- sociale à but non lucratif et réalisés par le cabinet de consultants Dubouchet- Berlioz, ces travaux devaient être communiqués officiellement le 4 mars, lors d'une réunion nationale, aux centres de formation ayant participé à la mise en œuvre de cette expérience.
Premier des points encourageants mis en avant par le rapport : la mobilisation des candidats. « Ils ont réagi très positivement à la nouvelle filière qui s'est ouverte, malgré les représentations négatives généralement liées au statut d'apprenti. Intéressés avant tout par le métier, ils n'ont pas hésité à aller démarcher les employeurs pour les convaincre de leur signer un contrat. » Et ne semblent pas le regretter puisque 54 % (2) jugent la formation conforme à leurs attentes et 42 % sont agréablement surpris par son contenu. Le sentiment d'être bien préparé aux diplômes prédomine aussi, partagé par 61 % des jeunes gens.
Les évaluateurs accordent aussi un satisfecit à l'introduction d'un nouvel acteur dans les formations en travail social : le maître d'apprentissage. « On voit poindre avec lui une nouvelle dynamique dans la transmission professionnelle », écrivent-ils, tout en regrettant que cette fonction soit trop souvent - dans un tiers des cas - cumulée avec celle de responsable hiérarchique. Le nombre d'heures de suivi qu'ils assurent est, par ailleurs, à géométrie variable... Au final, un apprenti sur deux déclare ne pas bénéficier des dix heures mensuelles prévues dans le dispositif et 7 % ont même évalué cet accompagnement à moins d'une heure. Ce qui, soulignent les consultants, nécessite un « ajustement pour la suite de l'expérimentation ». Les maîtres d'apprentissage, cependant, déclarent souvent un temps de suivi supérieur à celui estimé par les apprentis, incluant certainement des tâches de préparation invisibles pour ces derniers. Autre point délicat : dans environ un tiers des cas, le suivi s'interrompt lorsque l'élève part en stage long dans une autre structure. Or cette période de stage « peut s'apparenter à un processus de simple découverte plus que d'apprentissage s'il ne s'effectue pas dans une continuité de formation assurée par le maître d'apprentissage ».
A améliorer également : la formation de ces maîtres. Très suivie (93 %), elle est la cible de nombreuses critiques. On lui reproche notamment son « manque de construction a priori », les premières sessions ayant souvent servi à « la construction d'outils pour les promotions suivantes ». La structuration de ces modules paraît d'autant plus urgente que le turn- over est important : près d'un apprenti sur cinq a connu un changement de maître en cours de formation. Reste aussi à régler la question de leur validation : la formation de formateur de terrain (240 heures) est validée par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) alors que la reconnaissance de celle de maître d'apprentissage (120 heures) est renvoyée à la mise en place de la validation des acquis de l'expérience (VAE).
Du côté des instituts de formation, la mise en place de cette expérimentation aura eu le mérite de les faire « passer de la juxtaposition, souvent de la concurrence, à la coopération ». Un seul centre de formation des apprentis (CFA) pouvant être agréé au niveau régional, il devenait nécessaire pour eux de monter des projets en commun. Et ils l'ont fait avec d'autant plus de « détermination » et de « pugnacité » qu'ils ont vu dans l'apprentissage un moyen de répondre aux besoins de la branche en personnel éducatif et de contourner les quotas qu'ils étaient autorisés à former. Ils étaient aussi animés par des « préoccupations évidentes de développement de leurs structures ». C'était en outre l'occasion de nouer une « relation plus forte » avec les employeurs. Le lancement de l'apprentissage, en somme, représentait pour eux un enjeu stratégique « suffisamment important pour qu'ils y aient consacré des efforts surdimensionnés au regard du nombre d'apprentis concernés ». Mais ce n'est pas pour autant qu'ils ont bien intégré la culture de l'apprentissage, laquelle « ne se situe pas autant en continuité avec celle de l'alternance qu'ils le pensent ». Le rapport relève en effet le « paradoxe » qu'il y a eu à « tout faire reposer sur le centre de formation sans penser à le préparer spécifiquement » et sans ouvrir de débat sur la formation des formateurs permanents.
Autre lacune dans l'intervention des centres de formation :ils n'ont pas mis en place de système d'accueil et de renseignement permanent pour aider les apprentis, qui « se sont trouvé fréquemment désemparés dans la confrontation aux contraintes de l'apprentissage ». Or, insiste l'évaluation, il y a danger à délaisser ainsi l'information et l'accompagnement : « les candidats à la profession pourraient rechercher de nouvelles formes de validation qui, par la VAE, leur ouvriraient plus facilement la voie des licences professionnelles ». D'où la recommandation d'instituer un guichet national d'information sur l'apprentissage ainsi que des lieux ressources régionaux où pourraient s'adresser les employeurs et les apprentis potentiels.
Les relations des CFA avec les employeurs, en outre, même si elles se sont renforcées, sont cependant encore empreintes de méfiance. La « co-production » de la formation, qui devait être l'un des axes forts de l'apprentissage, n'est pas vraiment entrée dans les pratiques. Seuls 15 % des employeurs déclarent avoir mis en place des sessions dans le cadre de certaines unités de formation. Les centres de formation, « se considérant comme des détenteurs et des garants des normes de la profession, des référentiels de métiers, [...] se méfient de la volonté des employeurs d'organiser, avec l'apprentissage, des “formations maison” sans garantie de transversalité ».
Les employeurs semblent, quant à eux, prendre quelque distance par rapport à ce dispositif : « Après s'être beaucoup avancés, jusqu'à adopter parfois des positions militantes en faveur de l'apprentissage, l'évaluation les a trouvés dans l'expectative [...], même s'ils ne remettent pas leur engagement en jeu. » Plus d'un tiers (3) font même état d'une déception, du fait des difficultés liées à la gestion quotidienne : absences des apprentis pendant les cours au CFA ou pendant le stage long, absences des maîtres d'apprentissage pendant leurs heures de formation, manque d'information... En fait, il semble qu'ils aient « adopté, face à l'apprentissage, la même posture qu'ils avaient prise face à d'autres “mesures- emploi” et qui leur avait permis de bénéficier dans le passé de quelques “effets d'aubaine” ». Résultat : « Ils n'ont pas pris l'exacte mesure de leur engagement net des conséquences qu'il entraînait pour leur structure ». Quoi qu'il en soit, des améliorations et des assouplissements apparaissent indispensables. Sans quoi « le développement du dispositif risque de rester bloqué à un niveau assez bas par rapport aux besoins de la branche ». Déjà, la Picardie, l'Ile-de-France, la Bretagne peinent à trouver suffisamment d'employeurs pour remplir les promotions d'apprentis.
La mise en œuvre de l'apprentissage aura aussi révélé « les difficultés des entreprises d'un même champ conventionnel à se constituer en véritable “branche” », souligne l'évaluation, qui pointe les réticences des employeurs - même ceux appartenant à un même syndicat - à s'aligner sur une position commune relative, par exemple, à la rémunération du maître d'apprentissage ou au travail de l'apprenti le dimanche, et leur tendance à mettre en avant des choix associatifs. Plus globalement, les consultants dénoncent la « trop faible articulation » entre les services académiques de l'inspection de l'apprentissage, « qui ont la culture de l'apprentissage », les DRASS, « qui ont la culture travail social et la haute main sur les diplômes de l'éducation spécialisée », les conseils régionaux, « qui détiennent la légitimité pour valider le processus », et la branche professionnelle, « qui avance en ordre dispersé ». « C'est pourtant à elle qu'incombe la responsabilité de mettre en cohérence ces multiples acteurs autour de son objectif propre », ajoutent-ils. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce qu'en Rhône-Alpes, par exemple, les différents partenaires impliqués dans la mise en œuvre du dispositif aient préféré ne pas permettre l'entrée en formation de nouveaux apprentis en 2002, « pour pouvoir consolider l'existant »...
Les apprentis. A 70 %, ce sont des filles. La moyenne d'âge est de 23-24 ans. Les deux tiers sont titulaires du baccalauréat ou équivalent. 9 % ont des diplômes inférieurs (CAP ou BEP), mais près du quart ont un diplôme supérieur, pouvant aller jusqu'à la maîtrise. « Ces profils scolaires apparaissent assez semblables à ce qu'on peut connaître de leurs collègues de voie directe », notent les évaluateurs. Un peu plus de la moitié avaient travaillé sous un autre statut dans l'entreprise qui les accueille. Ils sont 84 % à assumer des responsabilités directes vis-à-vis des publics. Leurs rémunérations sont « très disparates », mais la moitié se situent entre 800 et 999 € mensuels.
Les employeurs. Ce sont en général des institutions anciennes, la moitié ayant été créées avant 1969. La plupart disposent d'un fort effectif : 57 % emploient plus de 50 personnes. Dans près de 45 % des cas, ce sont des maisons d'enfants à caractère social, des foyers de l'enfance, des foyers d'hébergement, des structures d'accueil d'urgence, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale… Deuxième catégorie d'employeurs : les IMP, IMPro, centres d'aide par le travail, maisons d'accueil spécialisées… dans 30 %des cas. Viennent ensuite les hôpitaux de jour, instituts de rééducation, dans environ 4 % des cas. La prévention spécialisée, quant à elle, n'accueille que 3,3 % des apprentis, à peine plus que l'action éducative en milieu ouvert, 2,5 %. « Cette situation est à relativiser au regard de la place de ces structures qui reste faible par rapport à l'ensemble des institutions du secteur. De plus, leur histoire et leur culture les ont historiquement portées à rechercher du personnel qualifié et expérimenté », commente le cabinet. Pour qui, cependant, cette situation révèle « une nouvelle cartographie des besoins et des initiatives institutionnelles qui bouleverse un peu les idées reçues, selon lesquelles le milieu ouvert serait plus réactif à l'innovation ».
Les maîtres d'apprentissage. Parmi eux, 55 % de femmes. 71 % sont titulaires d'un diplôme d'éducateur spécialisé et 7 % d'un diplôme de moniteur-éducateur. La moitié sont présents dans l'institution depuis plus de dix ans. « Mais plus que sur la base d'une carrière institutionnelle, ils semblent avoir été choisis sur la base d'une posture, d'un type de personnalité ou d'un engagement, quelle que soit leur ancienneté dans l'entreprise. » Ils sont 40 % à s'être portés volontaires et 44 % à déclarer avoir été désignés pour cette fonction. Une notion « à prendre avec circonspection. Souvent les responsables institutionnels “désignent” quelqu'un sur la base d'une appétence pressentie. Mais elle montre aussi un engagement dans l'apprentissage “par le haut”. »
Céline Gargoly
(1) Voir ASH n° 2248 du 1-02-02.
(2) 499 questionnaires ont été envoyés à des apprentis et 273 ont été exploités.
(3) 419 questionnaires ont été envoyés à des employeurs et 225 ont été exploités.