Cinq millions de personnes en France connaîtraient des problèmes médicaux et des difficultés psychologiques ou sociales liées à la consommation d'alcool. Les pertes de revenus et de production consécutives à la maladie ou au décès prématuré imputables à celle-ci représenteraient 10 milliards d'euros chaque année en France, un coût quatre fois supérieur aux dépenses de santé. A la demande de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, de l'Institut national de prévention et d'éducation de la santé, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a analysé les conséquences pour la société de l'abus d'alcool. Dans « l'expertise collective » (1) réalisée à partir du croisement des données de l'épidémiologie, des sciences humaines et sociales, de la psychiatrie et de la biologie, l'institut révèle l'ampleur du problème de santé publique - longtemps sous-estimé.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la prise d'alcool est impliquée dans 10 à 20 % des accidents du travail déclarés. Et elle est responsable de 2 700 décès par an en raison des accidents de la route qu'elle provoque. Son abus est souvent associé aux agressions, rixes, violences conjugales... D'après l'enquête nationale de victimation, réalisée en 2000 auprès de 7 000 femmes de 20 à 59 ans, les auteurs d'agression ont bu dans plus de 30 % des cas de violences physiques graves.
Même si on ne dispose pas d'enquêtes précises à ce jour, on estime en France à plus de 2 millions les personnes alcoolo-dépendantes ; de plus, près de 40 % d'entre elles présentent un autre trouble mental (troubles anxio-dépressifs, bipolaires, personnalité antisociale, schizophrénie…). D'après certaines études, les ménages ayant une consommation excessive d'alcool ont un niveau de revenus en diminution de 30 % par rapport aux autres et 73 % des hommes alcoolo-dépendants de 30 à 44 ans occupent un emploi à temps plein contre 88 % de ceux non dépendants. Des données qui soulignent l'intérêt, selon l'Inserm, « de poursuivre des recherches sur les effets indirects d'une consommation excessive d'alcool qui touchent non seulement le niveau des études, la formation, le type d'emploi mais aussi le choix du conjoint et d'amis, le niveau et la qualité de l'expérience dans le monde du travail et d'autres composantes du capital humain ».
A partir de ces constats, les experts formulent une série de recommandations. Elles concernent la mise en œuvre de programmes de prévention adaptés aux différents groupes d'âge, aux garçons et aux filles, au milieu du travail, aux conditions de la conduite de véhicule, mais aussi la formation des médecins et le dépistage. Considérant que moins de 20 % des personnes alcoolo-dépendantes sont traitées, le groupe d'experts n'hésite pas à réclamer la prise en charge à 100 % des malades pour faciliter leur accès aux soins.
Il attire également l'attention sur certaines populations plus vulnérables qui méritent un suivi particulier : les personnes atteintes d'un trouble mental, les enfants de parents alcoolo-dépendants suivis en milieu spécialisé et ceux ayant été exposés à l'alcool durant la vie intra-utérine... Par ailleurs, les jeunes présentant certains traits comme la recherche de sensations ou l'impulsivité seraient plus exposés aux risques d'ivresses répétées et de dépendance. Les experts recommandent aux médecins scolaires, à ceux du travail et aux travailleurs sociaux de leur porter une attention particulière.
(1) « Alcool. Dommages sociaux, abus et dépendance » - Ed. Inserm - 45 €.