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La politique dite d' « inclusion » sociale avance à petits pas

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Depuis le traité d'Amsterdam, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale est l'un des objectifs de l'Union européenne. La politique européenne dite d' « inclusion » sociale, peu lisible en France, est mal perçue du terrain et reste trop souvent l'apanage d'un lobby associatif vigilant, seul à en comprendre les arcanes. Alors que l'élargissement de l'Union et l'élaboration de la future Convention pour l'Europe représentent des enjeux majeurs.

Quelle est l'ambition sociale de l'Union européenne dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ? Quelle forme concrète une telle politique, si elle existe, peut-elle prendre au quotidien ? A cette question, peu de professionnels de terrain sont sans doute à même de répondre. Faute de lisibilité, faute d'information, faute de pouvoir mesurer des avancées, incontestables, mais essentiellement politiques, depuis la signature du trai- té d'Amsterdam en 1997 (entré en vigueur le 1er mai 1999). Ainsi, en juillet pro- chain, le gouvernement français va devoir, comme ses voisins, remettre à la Commission européenne, son second programme pour l'inclusion sociale, version communautaire de la lutte contre l'exclusion (1). Mais l'application concrète des décisions communautaires prend du temps, beaucoup de temps. Même si les organisations non gouvernementales tentent de se mobiliser, en amont de la décision politique.

En réalité, la prise en compte de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté est récente. Si trois programmes communautaires se sont succédé jusqu'à la fin des années 80, le véritable coup d'envoi au processus d'in- clusion date de la révision du traité de Maastricht, à Amsterdam en 1997. « Les articles 136 et 137 ont donné, pour la première fois, une base légale à l'Union pour qu'elle agisse dans ce domaine », explique Hugh Frazer, expert auprès de la Commission européenne à Bruxelles. Il est vrai que 60 millions de citoyens de l'Union, soit 18 %, ont un revenu inférieur à 60 %du revenu moyen national équivalent. Il était donc grand temps que les Etats membres reconnaissent, malgré leurs divergences d'approche, que la pauvreté ne serait pas jugulée par le seul biais des politiques de l'emploi.

Ce qui a conduit les chefs d'Etat réunis à Lisbonne en mars 2000 à franchir une étape supplémentaire, en convenant « d'éradiquer la pauvreté et de faire de la lutte contre l'exclusion un élément central de modernisation du modèle social européen », se souvient Hugues Feltesse, président fondateur du Réseau européen de lutte contre la pauvreté et l'exclusion EAPN  (European Anti Poverty Network). Pour la première fois, les Etats ont décidé d'objectifs et d'une méthode de travail en commun, la « méthode ouverte de coordination »   (MOC)   (2), combinant des plans d'actions nationaux et un programme d'action présenté par la Commission pour encourager la coopération. Ces objectifs ont ensuite été détaillés au Conseil européen de Nice en décembre 2000.

Pas simple pourtant d'en arriver là. D'abord parce que la lutte contre la pauvreté et l'exclusion prend des visages différents selon les valeurs qui ont fondé les systèmes de protection sociale des pays (3). En Europe du Sud, la pauvreté est surtout monétaire ; l'importance de la famille, des réseaux de solidarité et l'économie informelle limitent le processus de désinsertion sociale que l'on observe en France ou au Royaume-Uni. Dans les pays scandinaves, en Allemagne ou en Autriche, le phénomène semble toucher une frange réduite de la population qui bénéficie dans nombre de ces pays d'une protection sociale sans grande faille. Marginale, mais néanmoins stigmatisée, la pauvreté ne fait pas l'objet d'un débat de société. Contrairement à la France, au Royaume-Uni, aux Pays- Bas ou à la Belgique qui ont conçu, ces dernières années, des stratégies nationales de lutte contre ces phénomènes, selon des logiques qui font appel soit aux mécanismes de la solidarité nationale, soit à la responsabilité individuelle. Un aspect qui rejoint d'ailleurs les ancestrales oppositions entre pays anglo-saxons et latins sur le volet social de la construction européenne. Lequel a toujours été le parent pauvre de la politique des Etats membres, plus préoccupés d'afficher des objectifs économiques que sociaux. Il aura donc fallu aussi la vigilance et l'activisme d'organisations non gouvernementales  (ONG) spécialisées, telles que l'EAPN, née en 1990, à la demande de la Commission qui souhaitait avoir un interlocuteur sur ce dossier, pour aboutir aux acquis de Lisbonne. « Grâce à un travail actif auprès des instances communautaires, l'EAPN a présenté, en 1999, une bonne partie des propositions reprises à Lisbonne. Et a réitéré à Nice, lorsqu'elle est intervenue sur le contenu des objectifs appropriés »   (4), confie Jean-Pierre Bultez, directeur des Petits frères des pauvres, et du réseau EAPN-France.

Après une série de réunions avec l'EAPN et auxquelles ont parfois été invitées des ONG, les Etats membres ont soumis leurs plans d'action nationaux pour l'inclusion sociale en 2001. Et la Commission a osé une synthèse - une première là aussi -qui, sans palmarès, fait le point sur des plans jugés globalement trop descriptifs, peu quantitatifs et encore moins qualitatifs. Bref, « nombreux sont ceux qui se sont contentés de faire un état des lieux sans prospective », reconnaît Hugh Frazer. Avec sa loi de lutte contre l'exclusion, la France était à l'avant-garde. Une deuxième génération de plans devrait cette fois-ci, espère-t-on à la Commission, aboutir à ce que les Etats présentent des objectifs quantifiés et les moyens ad hoc. Et puissent s'inspirer les uns des autres en s'appuyant justement sur les réseaux associatifs. D'où l'inquiétude d'EAPN-France et du collectif Alerte (5) devant le nouveau programme français qu'ils estiment très décevant au regard des ambitions soulevées par le renforcement attendu de la loi contre les exclusions et des exigences européennes.

Dans l'intervalle, il a fallu attaquer le chantier, apparemment plus technique, de la construction d'indicateurs communs « pour savoir de quoi l'on parle en matière de lutte contre l'exclusion dans chacun des pays », souligne Andrew Fielding, porte-parole de la Commission. « Le Comité de protection sociale de l'Union a effectué un travail considérable pour les définir de façon à ce que l'on puisse évaluer l'impact de la stratégie des Etats et à terme une politique communautaire. » En juin 2001, l'EAPN, fort des réflexions des groupes de travail nationaux et de multiples séminaires, a proposé une liste de cinq indicateurs : pauvreté, emploi, éducation et formation, santé et logement, parmi les 18 à l'étude. « On commence à entrevoir une approche cohérente et globale à travers une méthode de travail, des bonnes pratiques et un référentiel commun qui se dessinent », observe avec satisfaction Jean-Pierre Bultez.

Politique oblige

Mais le dossier n'est pas seulement technique. Lorsque la Commission propose en mars 2002, au Conseil européen de Barcelone, de chiffrer des objectifs communs à atteindre pour 2010, les chefs d'Etat ne suivent pas. Certains, parce qu'ils savent leur pays en dessous du seuil de pauvreté. Mais en majorité, pour des raisons politiques, ce domaine reste largement de compétence nationale et chaque Etat s'accroche manifestement au principe de subsidiarité européen. Alors même que les politiques sociales ne peuvent faire bande à part tant elles sont liées au processus économique européen et même international, constate pourtant Hugues Feltesse.

Après négociations entre le Parlement et le Conseil, le programme communautaire d'action sur l'inclusion sociale, pilier de la méthode ouverte de coordination, a pu être finalisé pour la période 2002-2006, moyennant un budget de 75 millions d'euros. « Le résultat ne correspond pas complètement à nos attentes, souligne Jean-Pierre Bultez, mais de nombreuses propositions émanant des réseaux ont été quand même prises en compte par le Parlement. »

Malgré les efforts de la Commission qui espère, grâce à la méthode ouverte de coordination, vaincre peu à peu les résistances, le social continue d'être négligé au bénéfice de l'économique. La Commission s'en est d'ailleurs inquié- tée à plusieurs reprises (6). La présidence grecque de l'Union qui, depuis janvier, a fait de ce dossier une priorité, la mise en place d'un groupe de travail spécifique au sein de la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, dont la création a été l'objet d'un lobbying actif de la part des ONG, permettait néanmoins d'espérer. En réalité, les conclusions récentes de ce groupe de travail confirment le manque d'ambition sociale de la Convention (7).

LES PLANS NATIONAUX VUS PAR L'EAPN

Selon la déclaration faite à Aarhus, au Danemark, les 17 et 18 octobre dernier, « [...] les plans nationaux ne mettent guère l'accent sur les droits fondamen-taux, tels que le droit à un revenu minimum, à un logement décent, aux soins de santé et à la participation culturelle [...], la dimension hommes- femmes, les droits des minorités sont très peu pris en considération, les personnes concernées et les organisations qui les représentent ont été peu impliquées [...]. » L'organisation s'est dite déçue du manque de visibilité d'une stratégie aussi importante pour l'Union européenne.

LES PRINCIPAUX RÉSEAUX EUROPÉENS

  La plate-forme européenne des ONG du secteur social regroupe, depuis 1995, plus de 30 réseaux nationaux dans des domaines très larges : femmes, personnes âgées, handicapés, chômeurs, etc., dont European Anti Poverty Network et European Social Action Network. Elle fonctionne comme une instance de concertation avec la Commission. Contact : 17, rue de Londres - B-1050 Bruxelles -Tél. 00 32 2 511 37 14 -www.socialplatform.org.

  EAPN (European Anti Poverty Network) rassemble depuis 1990 des réseaux engagés dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Il est constitué de 15 réseaux nationaux regroupant eux-mêmes des réseaux nationaux et locaux et 25 organisations européennes (parmi lesquelles l'Armée du Salut, la Croix-Rouge, ATD quart monde, la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri...). Force de proposition et de représentation, lieu d'échanges et d'informations, il est un interlocuteur privilégié de la Commission. Président :Ludo Horemans (Belgique). Contact : 37/41, rue du Congrès - Bte 2 - B-1000 Bruxelles -Tél. 00 32 2 230 44 55 -www.eapn.org. EAPN-France : Jean-Pierre Bultez -Tél. 01 49 23 13 00.

  ESAN (European Social Action Network)  : créé en 1991, il regroupe environ 80 associations de terrain et des fondations européennes dans le secteur social. Objectif :encourager une politique européenne fondée sur le respect des droits de l'homme et développer la coopération et les échanges d'expériences entre ses membres. Président : Léon Dujardin - Contact : 60, rue Sainte-Catherine -59800 Lille -Tél. 03 20 55 10 99 -E-mail : esan@nordnet.fr - www.esan.org.

 Une base de données sur les initiatives locales de lutte contre l'exclusion sociale (LOCIN), créée par la direction générale de la recherche de la Communauté européenne - http://locin.jrc.it.

 Une base de données interactive sur l'inclusion sociale - e@si (European Action for Social Inclusion)  - a été lancée le 6 février. Soutenue par le programme de l'Union européenne « Mesures préparatoires de lutte contre l'exclusion sociale », elle permet aux porteurs de projets de les diffuser sur le web et d'échanger. Les projets les plus intéressants seront présentés lors d'une conférence internationale à Rome, le 23 mai - www.socialinclusion.info.Nous publierons dans un prochain numéro une liste plus complète des réseaux.

Lointaine Europe

Malgré la diffusion d'informations et la mise en place, en France, de sessions de sensibilisation par les grands réseaux associatifs (membres du collectif Alerte pour l'essentiel), la réalité européenne semble pourtant lointaine aux professionnels de terrain. Comme elle le reste encore pour les citoyens. Parfois liée à des échanges de pratiques avec des équipes étrangères, grâce à un réseau comme le réseau européen d'action sociale ESAN (European Social Action Network), par exemple, qui intervient sur le champ de l'action sociale, la politique européenne demeure essentiellement synonyme, pour le travailleur social « lambda », de manne financière. « On a du mal à se projeter, on manque de vision globale. On a l'impression d'une immense machine technocratique qui se meut difficilement et se fait phagocyter en interne par ses propres membres. A part, les subsides du Fonds social européen dont on entend parler sans savoir comment en bénéficier, c'est difficile de se sentir impliqué », résume un professionnel d'une association de réinsertion.

Une vision réaliste que l'association Aipies (Association insertion partenariat international économique et social), en Seine-Maritime, tente de battre en brèche depuis des années en permettant à des petites associations d'accéder à des fonds européens tout en bâtissant des projets d'échanges autour de l'insertion (voir encadré ci-contre). L'association a, dès le départ, refusé de fonctionner en consommatrice de crédits européens « en faisant rentrer des publics dans des cases. Nous avons des projets pour des populations (personnes handicapées, jeunes en difficulté, etc.). Ensuite, on utilise les dispositifs européens comme leviers, et non l'inverse. Mais avant d'en arriver là, le parcours est d'une complexité inouïe », explique Jean-François Samson, le directeur, et l'un des vice-présidents d'EAPN. « Il faut une veille permanente pour avoir accès aux programmes européens à temps, les décoder, monter les dossiers, rechercher les financements complémentaires, etc. » Et disposer d'une trésorerie extrêmement solide, lorsque l'on doit attendre une subvention 18 mois. Cela déboute évidemment les petites structures. De surcroît, les Etats nationaux, en particulier la France, complexifient encore la procédure d'agrément des dossiers. « On nous avertit trois mois avant la fin d'un programme que les crédits sont disponibles. Il faut se précipiter ; seules les structures les plus importantes peuvent alors être candidates. La France est tout de même le seul pays européen qui ne consomme pas tous les fonds attribués par l'Union ! », s'exclame le responsable d'Aipies. La situation devrait s'améliorer : dans l'objectif III (période 2000-2006, mesure 10B), des organismes à but non lucratif tels que les Uriopss - et non plus seulement les services du Trésor public - peuvent désormais être mandatés pour trois ans par les services de l'Etat, en l'occurrence la direction régionale du travail et de l'emploi, pour allouer aux petits porteurs de projets les financements européens et nationaux auxquels ils peuvent prétendre si leur action touche, bien sûr, des publics en difficulté. Dans la Haute-Normandie, cela concernait environ 50 projets par an.

A petits pas, des acteurs locaux prennent le pouls de l'Europe sociale. Eviter la spirale de la logique financière et amorcer une réflexion sur les pratiques européennes autour de l'insertion, c'est ainsi qu'a travaillé depuis dix ans,  un collectif associatif situé à Alès et animé par Andrew Snitselaar, directeur de l'association La Clède (8). Egalement administrateur d'EAPN, cet Européen convaincu, et prédestiné (élevé en Belgi- que et en France par une mère écossaise et un père hollandais), a lancé l'idée, il y a plus de huit ans, de rencontres entre professionnels européens pour s'inspirer des « bonnes idées et des savoir-faire des uns et des autres ». Montés sans recourir aux financements européens « pour ne pas valider l'idée que l'Europe est un jackpot », des échanges ont eu lieu avec des organisations de six pays. « Plus que les moyens ou la culture, le plus difficile, c'est d'avancer tous au même rythme. » Un résultat ? Selon lui, le fruit de ces échanges a permis récemment la création au Portugal d'entreprises d'insertion sur le modèle français.

L'ASSOCIATION AIPIES FAIT VIVRE L'EUROPE SUR LE TERRAIN

Agréée par le conseil général de la Seine-Maritime et la direction départementale de la jeunesse et des sports, Aipies a notamment pour but de promouvoir la citoyenneté européenne en aidant des projets associatifs à accéder aux fonds européens et à faire des échanges avec d'autres pays. Elle a ainsi permis à une association locale s'occupant de jeunes en grande difficulté dans le cadre de chantiers d'insertion de construire, à l'aide de fonds européens (programme « Jeunesse pour l'Europe » ) un bateau viking. Dans d'autres pays- Suède, Danemark, Finlande... - des jeunes dans une situation similaire ont fait de même. Plusieurs équipages français ont ainsi fait le tour de l'Europe en naviguant et rencontré leurs homologues dans les autres pays. Une ouverture européenne, au service du développement local en France, qui s'est poursuivie pendant plusieurs années. Dans le cadre de l'ex-programme européen PIC, Aipies a également appuyé depuis 1996 des échanges entre chantiers d'insertion en Europe. Les bénéficiaires, souvent titulaires du revenu minimum d'insertion, ont élaboré leur projet sur deux mois. Le fait d'aller à la découverte d'autres personnes en situation d'échec et de fragilité psychologique,  les a obligés à travailler sur eux-mêmes et à positiver leur propre image. Aipies : 4bis, place Félix-Faure -BP 76 - 76210 Bolbec -Tél. 02 35 31 86 19 -www.ecosolidaire.org.

Les sans-abri oubliés ?

On est loin encore d'une participation et d'un engagement des acteurs de terrain mais au sein des réseaux européens, « nous arrivons à faire remonter des messages à la Commission. Les parlementaires aussi sont preneurs d'informations car ils ne connaissent pas le terrain. Il y a un dialogue », estime Andrew Snitselaar. Au niveau des réseaux certes, beaucoup le reconnaissent : le courant passe et l'information circule. Mais au moins deux aspects laissent à désirer.

Tout d'abord, la participation réelle des acteurs dans les différents pays à l'élaboration d'une politique concertée de lutte contre l'exclusion. Lors d'une table ronde organisée en octobre dernier, au Danemark, à l'instigation de la présidence danoise et soutenue par la Commission, les ONG européennes, ont notamment insisté pour qu'un travail de concertation soit réalisé en amont, lors de la préparation des seconds plans nationaux pour l'inclusion. Tout dépend, pourtant, la cause que l'on cible. « Sur le plan stratégique et grâce à la MOC, l'Europe a véritablement un rôle à jouer dans la lutte contre la pauvreté. Mais concernant les sans-abri, les plans nationaux sont inutiles. Ils sont de mauvaise qualité et demandent à être repensés. Rien ne concerne les sans-abri », commente Freek Spinnewijn, directeur de la Fédération européenne d'associations nationales travaillant avec les sans-abri. « Comment voulez-vous, dans ces conditions, parler de participation, mobiliser les adhérents ? On est certes consulté et écouté sur d'autres aspects, mais les sans- abri ne sont pas des consommateurs ; ils n'intéressent pas les politiques. En 2003, nous allons continuer à faire des propositions à la Commission. A défaut de décider, elle peut au moins proposer des lignes directrices au Conseil. »

Deuxièmement, au niveau local, les relais manquent ou sont défaillants. « Tant que l'Europe restera un “truc” économique, les gens ne pourront pas se sentir concernés. Pourtant, l'Europe agit mais les gens ne le savent pas. Avec un marché de 60 millions de personnes, la lutte contre l'exclusion devrait être un des premiers objectifs de l'Union européenne ! », ironise Jean-François Samson. « La Commission est consciente de ses lourdeurs, elle essaie de faire avancer le volet social progressivement dans les traités mais les freins sont politiques. » Certains observateurs s'interrogent à cet égard sur les conséquences de la réforme de la décentralisation en France qui, en donnant plus de pouvoirs aux régions - notamment en matière de gestion des fonds structurels européens - pourrait peut-être rapprocher le citoyen d'une Europe trop désincarnée.

Déficit enfin de participation, celles des personnes concernées, c'est-à- dire en situation d'exclusion. « Elles doivent être associées à tout ce processus mais la mise en œuvre est compliquée », reconnaît Jean-Pierre Bultez. Une tentative - première du genre - au sein de l'Union a été menée par le réseau ESAN « pour parvenir à une plus large participation citoyenne », insiste Léon Dujardin, son président. Pendant deux ans, des organisations non gouvernementales de terrain de 14 pays ont recueilli l'expression de 400 000 personnes exclues sur leur vie et leurs aspirations dans des cahiers, appelés Le dire pour agir. Cet outil a donné lieu à des partenariats qui ont réuni travailleurs sociaux, bénévoles, salariés, élus locaux, etc., dans tous les pays et a été présenté dans le cadre d'un forum à Bruxelles en novembre 2001. « Nous avons identifié des moyens pour mieux prendre en compte la parole des exclus, encourager l'expression citoyenne et une écoute approfondie des personnes », assure-t-il. Une initiative peu ordinaire qui confirme que « nous n'avons pas l'habitude ni le savoir-faire pour construire en tenant compte dela parole des usagers. Tout ce qui est fait se fonde sur le droit. Or, les personnes en situation de pauvreté sont ou se vivent hors du droit. Nous avons à inventer pour les associer et leur permettre de participer. Tous les Etats ont leur révolution à opérer. »

Faut-il alors s'alarmer de l'élargissement de l'Union à des pays dont le niveau de vie moyen de la moitié de la population est inférieur de 50 % à la moyenne européenne ? Ne paraît-il pas inconsidéré de vouloir renforcer un modèle social européen qui apparaît presque, compte tenu de tels écarts, comme un luxe et fige encore davantage le décalage extrême existant ? « C'est en effet un véritable challenge », n'hésite pas à dire Hugues Feltesse, pas seulement politique et économique mais clairement social. L'Agenda social adopté à Nice l'évoquait d'ailleurs en ces termes. « Nous allons être confrontés à l'ouverture des frontières, à la grande pauvreté, surtout en milieu rural... Il va falloir accompagner le développement de ces régions et l'intégration des populations. On se pose déjà la question d'un futur dumping social qui risque de frapper la main-d'œuvre des pays les plus avancés... On ne peut imaginer que développements économique et social soient séparés... »

Les organisations non gouvernementales tentent de préparer le terrain depuis plusieurs années : « Certains des pays qui vont intégrer l'Union participent aux assemblées d'EAPN, indique Andrew Snitselaar, qui tente de développer des réseaux de lutte contre la pauvreté dans ces Etats, mais il faut bien dire que cela freine notre élan. Je pense qu'il faudra revoir nos ambitions... » Dit autrement, les dirigeants d'EAPN ont déclaré au Danemark, en octobre dernier, que l'intégration des nouveaux venus ne serait réussie « que si [...] les Etats membres reconnaissaient l'exclusion sociale comme une priorité [...]du processus d'intégration, [...] dans tous les aspects des négociations et pas seulement dans le domaine social ». Ce qui ne préjuge pas de questions qui restent sur la sellette telles que la « garantie de l'acquis communautaire et l'indispensable solidarité financière, au-delà des engagements pris, y compris en augmentant le plafond du budget de l'Union », relevait le Conseil économique et social dans un avis rendu en octobre dernier (9). Pour les aider sur un parcours aussi tortueux, nombreux sont les acteurs qui plaident pour que la charte européenne des droits fondamentaux, signée à Nice malgré ses imperfections, soit intégrée dans une future Constitution européenne.

Dominique Lallemand

Notes

(1)  La Commission utilise le terme d'inclusion sociale pour rendre positif un processus qui doit à la fois prendre en compte les facteurs d'exclusion et ceux qui facilitent l'intégration, le préventif et le curatif, la réparation et l'anticipation.

(2)  Voir ce numéro.

(3)  Sur les stratégies de lutte contre l'exclusion menées par les Etats membres, un ouvrage de référence : Exclusion sociale et pauvreté en Europe - Uniopss, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, Commission européenne - La Documentation française, 2001.

(4)  Au nombre de quatre : promouvoir la participation à l'emploi et l'accès de tous aux biens et aux services, prévenir les risques d'exclusion, agir pour les plus vulnérables, mobiliser l'ensemble des acteurs.

(5)  Voir ASH n° 2295 du 24-01-03.

(6)  Et encore récemment dans son rapport sur la politique sociale européenne. Voir ce numéro.

(7)  Voir ce numéro.

(8)  La Clède : 17, rue Montbounoux - 30100 Alès - Tél. 04 66 86 52 67.

(9)   « Quelles compétences sociales, quels acteurs dans une Union européenne élargie ? »  - Notes d'Iéna n°116 du 21-10-02.

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