Les parlementaires ont donné, le 13 février, leur feu vert à la loi pour la sécurité intérieure (dite « loi Sarkozy » ), emblématique de la politique conduite par le gouvernement pour lutter contre la délinquance. Un texte qui aura fait couler beaucoup d'encre, notamment en raison du nombre important de nouveaux délits qu'il institue (1). Les objectifs affichés sont multiples : rétablir « la tranquillité et la sécurité publiques », lutter contre les réseaux criminels et en protéger les victimes, mais aussi moderniser les instruments au service de l'enquête policière et renforcer les moyens des forces de l'ordre.
Présentation des principales dispositions de la loi, sous réserve de l'avis du Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition sur une quinzaine d'articles.
La distinction entre racolage actif et racolage passif est supprimée, tous deux étant désormais indifféremment passibles de deux mois d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 €. Par ailleurs, les prostitué (e) s sans-papiers qui dénoncent leur proxénète pourront obtenir une autorisation provisoire de séjour, voire, en cas de condamnation définitive de l'intéressé, une carte de résident (2). Un décret déterminera les modalités de protection, d'accueil et d'hébergement de l'étranger qui aura témoigné ou porté plainte. Signalons au passage que les étrangers qui commettent des infractions comme le proxénétisme, le racolage ou encore, plus largement, l'exploitation de la mendicité d'autrui ou la demande de fonds sous contrainte, s'exposent à présent à un retrait de leur titre de séjour (carte de séjour temporaire ou visa de court séjour).
Pour marquer leur volonté de considérer les prostitués d'abord comme des victimes et nuancer ainsi le caractère répressif de ces mesures, les parlementaires ont ajouté au texte original que « toute personne victime de l'exploitation de la prostitution doit bénéficier d'un système de protection et d'assistance, assuré et coordonné par l'administration en collaboration active avec les divers services d'interventions sociales ». Il est, par ailleurs, prévu qu'à partir de l'année prochaine, le gouvernement déposera chaque année, sur les bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, un rapport faisant état de l'évolution de la situation démographique, sanitaire et sociale des personnes prostituées ainsi que des moyens dont disposent les associations et les organismes qui leur viennent en aide.
La question de la pénalisation des clients a longuement été débattue aux cours de l'examen du texte, pour être finalement écartée. Les peines déjà infligées aux clients de prostitués mineurs - trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende - sont toutefois étendues aux clients de prostitués présentant une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de l'intéressé, due à une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse.
La nouvelle loi crée l'incrimination d'exploitation de la mendicité, punie de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 45 000 €.
Autre cas de figure envisagé : la mendicité agressive ou « demande de fonds sous contrainte ». « Le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien » est ainsi puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende.
En outre, la loi considère désormais comme une privation de soins « le fait de maintenir un enfant de moins de 6 ans sur la voie publique ou dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants ». Une infraction sanctionnée par sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende.
Nouvelle incrimination également, celle de la « traite des êtres humains ». Il s'agit du fait, en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage (ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage), de « recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ». La traite des êtres humains constitue ainsi l'infraction préalable à la commission ultérieure d'autres crimes ou délits. Elle est punissable de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende. Une peine aggravée selon la nature de la victime ou les circonstances ayant entouré la commission de l'infraction. Quant aux victimes de cette infraction, « des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale [leur] sont ouvertes [...] dans des conditions sécurisantes ».
Autre nouveau délit, visant cette fois-ci les « marchands de sommeil » : la mise à disposition d'un tiers d'un bien immobilier appartenant à autrui est passible de un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Le ministre de l'Intérieur envisageait, à l'origine, de sanctionner directement les mal-logés contraints de squatter des immeubles pour avoir un toit.
La loi vient sanctionner « le fait de s'installer en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain » appartenant à une commune qui s'est conformée aux obligations relatives à l'accueil des gens du voyage (3) ou à un propriétaire privé, « sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d'usage du terrain ». Une nouvelle infraction qui vise donc clairement les nomades et qui est punie de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. Les personnes condamnées s'exposent, en outre, à une suspension de permis de conduire pour une durée de trois ans, ainsi qu'à une confiscation du ou des véhicules automobiles ayant servi à l'installation illicite.
Le gouvernement précédent s'était déjà attaqué, avec la loi sur la sécurité quotidienne (4), aux « phénomènes d'envahissement des cages d'escaliers » en prévoyant l'intervention possible des forces de l'ordre, mais sans toutefois y associer de sanction. La loi pour la sécurité intérieure va donc plus loin et rend passibles de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende « les voies de fait ou la menace de commettre des violences contre une personne, ou l'entrave apportée, de manière délibérée, à l'accès et à la libre circulation des personnes ou au bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté », lorsqu'elles sont « commises en réunion de plusieurs auteurs ou complices, dans les entrées, cages d'escaliers ou autres parties communes des immeubles collectifs d'habitation ».
Les critères sur le fondement desquels les forces de l'ordre peuvent procéder à des contrôles d'identité sont modifiés ; la notion de « raisons plausibles de soupçonner » qu'une personne a commis ou va commettre une infraction se substitue ainsi à celle d'indices. Le texte allonge, par ailleurs, la liste des professions protégées contre les menaces et actes d'intimidation. Il contient également des mesures spécifiques pour lutter contre l'immigration clandestine en outre-mer ou encore pour faciliter les enquêtes judiciaires (possibilité de « ficher » des personnes mises en cause...). De plus, sur le modèle de la récente loi aggravant les peines punissant les infractions à caractère raciste (5), la loi pour la sécurité intérieure prévoit que commettre des crimes ou délits pour des motifs homophobes constitue dorénavant une circonstance aggravante. Elle institue encore un dépistage (obligatoire si la victime le demande) des maladies sexuellement transmissibles sur les personnes accusées de viol (6).
Enfin, les professionnels de la santé ou de l'action sociale sont désormais autorisés à transgresser le secret professionnel s'il s'agit d'informer les autorités préfectorales du caractère dangereux des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une (7).
(1) Sur les dernières réactions, voir ASH n° 2294 du 17-01-03.
(2) Le même dispositif est prévu pour les victimes des réseaux d'exploitation de la mendicité ou s'adonnant à la traite des êtres humains.
(3) Les petites communes qui ne sont pas soumises à l'obligation de prévoir une aire d'accueil entrent également dans le champ d'application de la mesure.
(4) Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.
(5) Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.
(6) Voir ASH n° 2295 du 22-01-03.
(7) Lors de la présentation du projet de loi, le président de l'Association nationale des assistants de service social s'était opposé à cette disposition - Voir ASH n° 2280 du 11-10-02.