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« Chômage : normalisation ou exclusion ? »

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L es professionnels de l'insertion se voient aujourd'hui transformés en agents de contrôle social, dénonce la psychologue Josiane Guillot.

« Acteurs de la formation et de l'insertion, nous sommes confrontés aux aléas et mises en place successives des dispositifs d'Etat. Mais voilà que depuis ces derniers temps, nous voyons poindre une déferlante de mesures et consignes chaque fois un peu plus indifférentes aux entités individuelles, aux parcours personnels, aux difficultés ponctuelles ou chroniques sans que cela ne paraisse déranger le moins du monde les acteurs d'aide à l'emploi.

De grands espoirs suscités par les travaux de Bertrand Schwartz, de l'espérance individuelle por- tée par l'accès à la connaissance et au savoir rendus possibles par le crédit formation individualisé, au souffle propulsé par les procédures de validation des acquis enfin “officialisées”, il ne reste plus rien ou si peu de l'objectif de promotion individuelle (1).

Les outils élaborés par les universitaires, les chercheurs en pédagogie, des centaines de formateurs impliqués dans cette démarche sont mis aujourd'hui au service d'une normalisation de la personne. Celle-ci, demandeur d'emploi, bénéficiaire du revenu minimum d'insertion se doit d'entrer dans le rang, d'être en mesure de s'adapter à un poste de travail identifié dans un répertoire de métiers, sans avoir à objecter son ressenti personnel et son désir d'exister peut-être autrement.

Conflit d'intérêts

Le dernier dispositif mis en place dans le cadre du plan d'aide au retour à l'emploi par les pouvoirs publics au prix d'âpres négociations révèle ce grand écart entre souci du formateur, de l'éducateur, du psychologue, de favoriser le bien-être et la réussite personnelle au sein de l'environnement social, économique et les objectifs du gestionnaire centré sur la statistique où ce qui est hors norme ne relève pas de ses préoccupations.

Surgit alors le concept de “casable” ou d'“incasable” dans une entreprise où problèmes de santé, de choix de vie, de parcours atypique interrogent et font l'objet d'enregistrement dans une banque de données à laquelle sont rivés les acteurs du service public de l'emploi, informatiser pour mieux organiser, exclure, réprimer. Concrètement, cela signifie imposer un parcours d'insertion, radier, menacer de refus de deniers publics...

Quelle attitude reste-t-il alors à l'accompagnateur emploi, à l'agent d'insertion, au psychologue ?

Une administration chargée de proposer des emplois, transformée en agent de contrôle, exige de ses partenaires de transmettre des données qui nous paraissent enfreindre la liberté individuelle et le choix de vie de chacun.

En cette période où contrôle social, véritable masque de la réalité de l'exclusion, est à l'ordre du jour, les acteurs de l'insertion, les structures d'accueil se voient transformés en œuvre de contrôle social faisant l'objet d'enregistrement dans un fichier national, dont on ne sait quelle utilisation pourrait en être faite.

Notre position, comme professionnels de l'insertion et de la formation, est de ne pas désigner, divulguer, dénoncer les personnes qui nous confient des bribes de leur histoire. Ces éléments, notre déontologie l'exige, n'ont pas à être divulgués au non-professionnel. Comment pouvons-nous ne pas entendre la détresse qui nous est livrée même si nous sommes centrés en priorité sur l'insertion professionnelle ? Les informations transmises aux structures de soins, aux services sociaux ont-elles à être enregistrées dans un fichier recherche d'emploi ?Certains ont choisi de ne pas entendre, de ne pas voir.

L'accompagnateur, le psychologue peuvent-ils accepter de donner des renseignements d'ordre personnel afin qu'ils soient consultés par des non- professionnels du social et de l'éducatif ?

Suggérer une visite médicale, une réorientation vers des structures adaptées protège-t-il de l'exclusion ? Est-ce un mieux pour la personne ou pour les statistiques du chômage ?

Certaines données d'histoire de vie n'ont, à notre sens, pas à être transmises, certes elles peuvent freiner l'opérationnalité de la recherche d'emploi, mais licenciement, perte de travail, ne renvoient-ils pas à d'autres brisures, à d'autres défaites, à d'autres combats ?

Le travail réalisé par des professionnels dignes de ce nom a-t-il à émerger sur la scène de l'éco- nomique ?

Où commence l'exclusion ? Où se cachent ses nouvelles formes ? Qui sont les nouveaux exclus en devenir ? On n'en parle pas. Tout va bien. »

Josiane Guillot Psychologue, responsable formation, administrateur de chantiers d'insertion FAR : 54, rue des Docteurs-Dumas - 63300 Thiers Tél. 04 73 80 76 47.

Notes

(1)  Inscrit dans la loi de 1971 régissant la formation continue  (se former tout au long de la vie).

TRIBUNE LIBRE

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