Nous savions que des ménages pauvres ne touchent pas de minima sociaux : les familles où n'entrent que des revenus salariaux intermittents, ou à temps partiel, ou même un SMIC mais avec beaucoup d'enfants. Par contre, l'ampleur du phénomène nous a surpris, de même que le fait que cette moitié des allocataires à bas revenus qui ne bénéficient pas d'un minimum social a des revenus légèrement inférieurs à l'autre moitié. 12 % se situent même en dessous du montant normalement garanti par le revenu minimum d'insertion (RMI) ! Cette population apparaît très hétérogène : beaucoup de familles, souvent monoparentales, mais aussi beaucoup de jeunes (qui n'ont pas droit au RMI). Nos fichiers ne nous permettent pas d'aller plus loin dans l'étude car, par exemple, nous ne connaissons pas toujours l'activité des allocataires. Nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses sur la présence parmi eux de ces « travailleurs pauvres » détectés, par ailleurs, par les chercheurs. Nous avons aussi noté la présence d'un groupe particulier- presque exclusivement composé de familles, parfois nombreuses - qui présente la caractéristique a priori surprenante de ne pas percevoir de prestation logement. Sans doute des allocataires pauvres mais propriétaires, souvent en zone rurale. On peut aussi penser que certaines personnes n'ont pas accès aux minima à cause de la sophistication du système. Censée répondre à la complexité des situations, elle peut aussi devenir facteur d'exclusion.
La pauvreté reste à l'ordre du jour. On l'a vu même pendant la période d'embellie économique. Les CAF se situent en première ligne. Nous avons trouvé parmi la population couverte un taux de 12 % de personnes vivant en dessous du seuil de bas revenus, ce qui est cohérent avec l'estimation de l'INSEE qui établissait, en 1996, le taux de pauvreté à 8 % des ménages. Par définition, nous touchons plus les populations les plus pauvres. Jusqu'alors, les CAF n'avaient réalisé sur le sujet que des études locales. Cette fois, nous avons travaillé sur l'ensemble de la branche famille, soit 26 millions de personnes et près de la moitié de la population métropolitaine. C'est un matériau très riche. Nous avons eu, surtout, le souci de le faire avec une méthode standard, reproductible, et des indicateurs normalisés. Nous avons retenu la notion de revenu par unité de consommation, recommandée par les chercheurs, plutôt que notre habituel quotient familial, ainsi que le seuil de bas revenus déterminé par l'INSEE. C'est une contribution qui peut donc être rapprochée des autres études sur la pauvreté.
Pour beaucoup, elles en vivent ! Pour l'ensem- ble des allocataires, les prestations représentent 20 % des ressources, pour les allocataires à bas revenus, 60 %, mais dans certaines catégories comme les familles monoparentales, le taux atteint 80 % et même 90 %pour les titulaires des minima sociaux. C'est un phénomène connu. Il n'est pas difficile d'imaginer les effets de tout retard ou rupture des versements…
Bien que 40 % de nos allocataires soient désormais des ménages sans enfants (couples ou individus), l'action sociale des caisses ne s'adresse toujours qu'aux allocataires avec enfants à charge. Les critères sont tels qu'un quart des allocataires en sont potentiellement bénéficiaires. Parmi les allocataires à bas revenus, un sur deux seulement peut y avoir accès.
Nous préconisons de refaire cette étude au moins deux ans de suite. Beaucoup d'allocataires se situent à proximité du seuil de bas revenus. Nous supposons qu'il y a beaucoup de fluctuations parmi eux, sans avoir pu le vérifier. Cela permettrait aussi, éventuellement, de déterminer un noyau dur, stable, de la grande pauvreté. Chaque caisse peut, en attendant, refaire cette investigation au plan local pour mieux connaître ses allocataires et ajuster son action. Propos recueillis par Marie-Jo Maerel
(1) Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.