« Un logement parfaitement confortable peut devenir impossible à vivre pour une personne âgée qui perd ses capacités de vision, sa mobilité, en un mot son autonomie. Notre rôle est alors non plus, comme il y a 20 ou 30 ans, de moderniser les logements, d'y apporter un confort minimal, mais de les adapter au handicap. Avec l'allongement de la durée de vie, de nouveaux besoins se sont dessinés. » C'est à partir de ces réflexions que Jocelyne Wrobel, sous-directrice personnes âgées et personnes handicapées au conseil général de la Côte-d'Or, et l'ensemble de ses partenaires ont construit le projet APH 21. Il visait une mutualisation des moyens pour « éviter le mille-feuille » des aides qui se juxtaposent sans cohésion, sans coordination, au détriment des bénéficiaires. Ce projet a été retenu comme CLIC habitat expérimental (1). Un centre local d'information et de coordination un peu particulier donc puisqu'il est axé sur l'adaptation du logement, construit avec les différentes caisses de retraite (2) autour d'un dispositif coordonné.
Grâce à ce partenariat, l'usager est pris en charge de façon globale. Pour plus de lisibilité et pour simplifier les démarches, un guichet unique a été mis en place. S'il n'est pas visible actuellement, puisqu'il s'agit d'un bureau du conseil général, les demandeurs y obtiennent toutes les informations voulues. Une seule personne centralise toutes les demandes d'adaptation du logement. « Auparavant, note Nicole Guyot, assistante de service social au conseil général, obtenir une aide à l'amélioration de l'habitat relevait du parcours du combattant. Ces aides sont multiples et pour y accéder il fallait entamer de nombreuses démarches administratives, sans savoir toujours où s'adresser. » Les décideurs et les financeurs d'APH 21 ont donc - non sans quelques difficultés - choisi d'harmoniser les critères de ressources, mais aussi les dossiers et les nomenclatures de travaux à effectuer, jusqu'à présent différents d'un organisme à l'autre. Ils ont adopté un barème commun de prise en charge avec un plafond de ressources aligné sur le dispositif le plus avantageux.
Convaincus que pour une réelle politique de maintien à domicile, l'adaptation du logement est nécessaire, ils se sont donné deux types d'objectifs. Le premier consiste, pour l'ensemble du public concerné (des personnes âgées dépendantes de plus de 60 ans rési- dant dans la Côte-d'Or), à apporter des conseils personnalisés gratuits sur les adaptations au logement grâce à une équipe pluridisciplinaire (ergothérapeutes, assistants de service social, médecins...).
Pour une partie du public, celle qui répond aux conditions de ressources, le second objectif est d'offrir des moyens de compensation fonctionnelle sous la forme d'aides financières. Elles servent à réaliser des travaux ou à acquérir des aides techniques qui permettent de conserver un niveau d'autonomie satisfaisant :aménagement de sanitaires, d'une salle de bains, d'un élévateur, achat d'un fauteuil roulant, d'un lève-malade, de rampes et de barres d'appui, ou d'un télégrossisseur, qui permet aux personnes âgées qui voient mal de pouvoir lire ou regarder des photographies.
Selon le premier bilan d'activité d'APH 21, au 31 décembre 2002, 482 dossiers de demande d'adaptation de l'habitat ont été traités. Environ 10 % de ces demandes ont été rejetées, 182 ont porté uniquement sur le premier volet du dispositif (conseils personnalisés gratuits). Parmi les autres demandes examinées ou en cours d'examen, 70 % concernent exclusivement des travaux, notamment des aménagements de salle de bains ou des adaptations de sanitaires. 21 % relèvent des aides techniques, là encore essentiellement pour les sanitaires, mais il s'agit également très souvent d'aides aux transferts et déplacements (fauteuils, rampes et barres d'appui, etc.). Sur 87 dossiers examinés en commission technique habitat au 31 décembre 2002,70 ont fait l'objet d'un financement APH 21. Pour les dossiers de travaux d'aménagement, ne restaient alors à la charge du bénéficiaire que 2 % du total en moyenne. Pour bénéficier d'APH 21, il faut être âgé de plus de 60 ans, résider dans la Côte-d'Or et formuler une demande d'adaptation du logement liée à une dépendance. Les aides financières sont attribuées sous condition de ressources, le plafond étant fixé à 1 204 € par mois pour une personne seule, et à 1 837 € pour un couple.
Des travailleurs sociaux, des médecins, un fonctionnaire du conseil général, responsable du guichet unique, et des personnes ressources - ergothérapeutes du centre d'information et de coordination des aides techniques (CICAT) (3) ou du CHU pour la basse vision, médecin, etc. - composent l'équipe médico- sociale au service de ce dispositif. Dans un premier temps, une assistante sociale de l'équipe examine la recevabilité de la demande. Si elle l'est, une visite à domicile conjointe d'un ergothérapeute et d'un assistant de service social est programmée. Cette équipe pluridisciplinaire évalue de façon globale la situation de la personne. Si celle-ci ne répond pas aux critères financiers, elle aura toutefois bénéficié de conseils individualisés et gratuits. Pour les autres, à la suite du diagnostic et de l'avis technique des membres de l'équipe, le dossier passe en commission des financeurs. Ceux-ci déterminent le montant de l'aide accor- dée, le conseil général jouant le rôle de variable d'ajustement pour permettre à tous de bénéficier des mêmes aides, quelle que soit la caisse de retraite partenaire dont ils dépendent. Ce principe d'équité est l'une des originalités du dispositif, avec le guichet unique. « L'avantage de ce système de compensation, c'est d'éviter les effets d'aubaine, ou de disparité géographique », estime Isabelle Bitouzet, responsable régionale adjointe du service social à la caisse régionale d'assurance maladie Bourgogne- Franche-Comté.
Les ergothérapeutes sont salariés du centre d'information et de coordination des aides techniques. Cette structure associative adossée au centre de rééducation fonctionnelle de Dijon existe depuis une dizaine d'années. Elle s'est donné pour mission l'évaluation du handicap et des conditions d'hébergement. Dans le cadre d'APH 21, les ergothérapeutes du CICAT interviennent donc à domicile aux côtés des assistants de service social. Ils établissent un bilan fonctionnel, notent les difficultés rencontrées du fait de l'architecture du logement. Si une aide technique est nécessaire, le CICAT prête systématiquement celle qui va être utilisée par la suite, pour que la personne âgée puisse l'essayer. L'équipe pluridisciplinaire dispose en outre de l'appui technique de personnes ressources en cas de besoin. Ainsi, les médecins du conseil général ou du CICAT peuvent aider à l'évaluation sur un dossier particulier, par exemple lorsque la personne est atteinte d'une maladie évolutive.
L'assistante sociale, quant à elle, se charge d'une évaluation en termes de ressources, mais aussi d'environnement (aides humaines, entourage...). « Nous sommes particulièrement attentifs aux questions de coût, insiste Nicole Guyot. On n'endette pas des gens qui n'auraient pas les moyens de s'offrir l'aide technique nécessaire. On se pose toujours la question :quel est le besoin de la personne par rapport aux frais qu'il lui est possible d'engager ? » Faire le lien avec l'entourage - famille, voisins, équipes d'aide à domicile -, parfois épuisé faute d'une aide technique adaptée, fait partie de l'accompagnement. « On aide aussi toute une collectivité autour de la personne, explique Nicole Guyot. On essaie le plus possible de prendre contact avec les personnels médico-sociaux. On voit avec l'infirmière ou l'aide-soignante ce qui va être le plus pratique en matière de travaux ou d'aides techniques. C'est d'autant plus important que, dans certains cas, le logement est tellement précaire que les équipes de soins à domicile refusent de travailler dans ces conditions. »
D'un point de vue social, le dispositif offre un autre intérêt : « Il s'agit aussi d'accompagner la personne dans sa motivation par rapport à son projet, qu'il faut sans cesse soutenir, observe Isabelle Bitouzet. Il est difficile, pour une personne âgée dépendante, de changer son environnement, ses habitudes. Cela signifie également qu'il lui faut accepter son handicap. Les personnes âgées ont souvent beaucoup de mal à accepter l'idée de transmettre une maison dans laquelle leur handicap s'est inscrit. On bouleverse des habitudes de vie, et c'est encore accélérer le vieillissement. » Ces considérations ont été l'occasion d'une prise de conscience. « Désormais, c'est vraiment une évaluation systématique de notre part, explique Nicole Guyot. Lorsque j'arrive chez quelqu'un, je compte les marches en entrant : je me mets en situation. C'est justement le fait de pouvoir être dans le milieu de la personne, dans sa quotidienneté qui permet d'adapter au mieux. Et on réussit, parfois avec de petites sommes, à rendre aux bénéficiaires une certaine autonomie. Permettre à une personne à nouveau de manger seule, grâce à des couverts ergonomiques, quelle dignité retrouvée ! » Dans certains cas, l'aidant naturel peut reprendre sa place, l'équipe de soins à domicile peut même parfois cesser d'intervenir.
Si le dispositif semble satisfaire les bénéficiaires comme les professionnels qui l'animent, ceux-ci lui reconnaissent toutefois une faiblesse : la question des délais. « Lorsque le dispositif a été mis en place, nous ne pensions pas dépasser 70 demandes dans l'année, reconnaît Barbara Gomez. Or nous en avons reçu 50 le premier mois ! » Aujourd'hui, il faut compter environ un mois entre le dépôt du dossier et la visite à domicile. Et, entre cette dernière et le montage du dossier unique, environ 40 jours s'écoulent. A cela s'ajoute l'examen du dossier devant la commission de financement qui peut prendre de cinq à six mois.
Des délais supérieurs à ceux envisagés au départ. Même si « ce n'est pas si mal, estime Nicole Guyot. La personne a le temps de bien voir l'évolution des choses. Nous avançons lentement, à son rythme. Et finalement, le bouleversement est sans doute moindre. »
Sandrine Pageau
Permettre à des personnes âgées dépendantes d'accéder à des moyens de compensation de leurs incapacités, telle est la vocation d'APH 21. Parallèlement, un second dispositif offrira courant 2003 aux personnes handicapées, quel que soit leur âge, les mêmes prestations (4) . Le conseil général est chargé de sa mise en place, et recherche actuellement une articulation entre les deux dispositifs. « Pour nous, ajoute Jocelyne Wrobel, l'objectif est bien d'aboutir progressivement à un service grâce auquel chacun, quels que soient son âge ou son handicap, dans une conception globale, doit trouver une aide à l'autonomie. Avec, nous le souhaitons, un guichet unique ayant pour mission de recevoir toutes les demandes, qui orienterait ensuite vers des partenaires particuliers selon la problématique. » Un rapprochement que certains partenaires du département appellent de leurs vœux. Ainsi, André Procacci, responsable du centre d'information et de coordination des aides techniques, estime que les deux dispositifs « s'adressent aux mêmes personnes, font intervenir les mêmes professionnels et offrent les mêmes réponses. Quel est, dès lors, l'intérêt de conserver deux systèmes parallèles qui vont s'adresser de façon ségrégationniste à des handicaps différents ? »
(1) Conseil général de la Côte-d'Or - CLIC départemental : Cité administrative Henry-Berger - 1, rue Joseph- Tissot - BP 1601 - 21035 Dijon - Tél. 03 80 63 62 86.
(2) Les conventions associent le département, la CRAM Bourgogne Franche-Comté, la CMSA de la Côte-d'Or, la caisse Organic de Bourgogne, le CCAS de Dijon, le CICAS, le centre départemental d'amélioration de l'habitat PACT et le centre de rééducation fonctionnelle de DIVIO à Dijon.
(3) CICAT 21 : 5, Montée de Guise - 21000 Dijon - Tél. 03 80 45 93 60.
(4) Dans le cadre de la mise en place dans la Côte-d'Or du dispositif pour la vie autonome.