I ci, quand la Cotorep me demandait de remplir mon dossier, je n'étais qu'une suite de “peut pas”. Ne peut pas se laver seule, ne peut pas aller seule aux toilettes... Quand je suis arrivée en Suède, le dossier à remplir posait des questions sur mon projet de vie et mes besoins d'aide. Un point de vue positif qui change tout ! » Ainsi parle Gisèle Caumont, orthophoniste et paraplégique de naissance, qui a carrément choisi d'émigrer à l'âge de la retraite. « Presque gênée » d'évoquer « la liberté » qu'elle connaît désormais dans un pays où l'accessibilité est un principe respecté - et où elle bénéficie de 116 heures d'aide personnelle financées par semaine au lieu des 24 qu'elle avait en France -, elle a néanmoins envie de témoigner « qu'une autre vie est possible ».
Rondement mené par des professionnels de la communication, le colloque inaugural de l'année européenne des personnes handicapées en France (1), organisé à Rennes le 3 février, a ainsi juxtaposé quelques exemples personnels percutants (parfois difficiles à généraliser) et des discours ministériels plus convenus. La secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Marie-Thérèse Boisseau, avait pourtant réussi à attirer dans son département d'Ille-et-Vilaine pas moins de quatre ministres, alignés comme un seul homme sur la grande priorité nationale décrétée par le président de la République. Mais si Luc Ferry a pu rappeler le plan pluriannuel pour l'intégration scolaire lancé deux semaines plus tôt (2), il n'y eut pas beaucoup d'autres annonces concrètes. Sinon la confirmation, par Marie-Thérèse Boisseau, qu'elle envisage sérieusement de lever le quota de 6 % d'embauche de salariés handicapés fixé aux entreprises, « parce qu'il vaut mieux convaincre que contraindre » et que « les encouragements sont plus efficaces » que la sanction.
« Grandir, travailler, vivre ensemble » : trois tables rondes ont débattu de ces thèmes, avec pour maître mot l'intégration. De manière souvent convaincante, expériences à l'appui, s'agissant par exemple du logement de personnes handicapées motrices, même gravement atteintes, comme dans l'ensemble « Gate-Argent » à Angers ; ou bien des loisirs communs à de jeunes enfants handicapés et non handicapés, comme à la Fédération Loisirs pluriels à Rennes. Parfois de manière moins réaliste, comme lorsque l'exemple italien d'intégration scolaire systématique - de tous les enfants handicapés, dans toutes les écoles, à tous âges -, sans doute fort intéressant, a été par trop présenté comme un modèle unique et idyllique, à l'étonnement des parents et des professionnels en charge des enfants les plus gravement déficiants.
Une meilleure implication du monde associatif - dont Marie-Thérèse Boisseau n'a pourtant pas manqué de souligner le « rôle éminent » - aurait peut-être évité ce genre de simplisme. Le collectif départemental regroupant 24 associations, tous handicaps confondus, a « regretté de ne pas avoir été associé à l'organisation de l'événement » et a « même eu l'impression d'en avoir été écarté ». S'exprimant au plan national pour plusieurs associations, Brigitte Idziak, présidente du Groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques, a aussi fait « le constat amer » qu'elles étaient « invitées à assister, pas à participer ». Beaucoup attendent également de voir comment les excellentes intentions proclamées seront effectivement traduites sur le terrain.
Une telle manifestation peut-elle, du moins, contribuer à « changer le regard » de la société, comme le demandent tous les intéressés ? Peut-elle aider à la « mobilisation générale » souhaitée par Jacques Chirac ? Peut-elle provoquer « l'électrochoc » espéré par Jean-Luc Simon, président du comité national de l'année européenne, qui ferait que « l'on ne se demande plus combien les personnes handicapées coûtent à la collectivité mais combien elles lui apportent » ? Sans doute. Mais l'auditoire d'invités présents étant déjà convaincu, l'effet passe par les médias. Dommage, alors, que le gouvernement ait programmé le même jour une intervention du Premier ministre sur les retraites...
M.-J.M.
(1) Sur les autres manifestations prévues, voir ASH n° 2295 du 24-01-03.
(2) Voir ASH n° 2295 du 24-01-03.