« S'il est une profession qui, jusqu'à présent, n'a pas beaucoup fait parler d'elle, c'est bien celle d'aide médico-psychologique (AMP).
Les AMP exercent surtout dans le secteur médico-social auprès des personnes handicapées, dans les maisons d'accueil spécialisées, foyers de vie et quelques instituts médico-éducatifs. Ils ne font pas beaucoup de bruit, accomplissant un travail peu spectaculaire fait de toilettes, de repas, de coucher, de promenades... dans une proximité corporelle souvent éprouvante.
Mais depuis quelque temps, on parle à nouveau des AMP, et si l'on en parle, c'est surtout parce qu'ils investissent des champs professionnels nouveaux. C'est un phénomène important, notamment dans les établissements pour personnes âgées. La perspective des nouvelles conventions incluant les AMP dans les personnels est certainement à l'origine de ce mouvement.
Qui sont les aides médico-psychologiques, quelle place peuvent-ils tenir dans les nouveaux paysages sanitaires et médico-sociaux qui se des- sinent ?
Il est donc peut-être utile de tenter de cerner un peu mieux cette profession d'AMP.
Au-delà des “référentiels” qui insistent surtout sur le “faire”, il me semble qu'une profession sociale peut aussi se définir à partir d'autres critères.
Tout d'abord à partir de son histoire. Les aides médico-psychologiques ont pour origine ces marges du travail social où la souillure, la folie et la mort se côtoient... Dans ces lieux généralement relégués loin des autres humains dits plus “normaux”, avec ces personnes très lourdement handicapées qui souvent n'intéressaient pas ceux qui étaient censés guérir ou éduquer, les AMP ont toujours su tenir une position humanisante dans le concret de la quotidienneté la plus banale. Cette expérience dans ces lieux extrêmes du travail social reste à mes yeux fondamentale de nos jours où des formes, certes plus douces et plus modernes, de déshumanisation restent toujours possibles vis-à-vis de ceux qui, trop vieux ou trop handicapés, risquent encore d'être rejetés au sein même d'un travail social lui-même producteur de normativité.
Cette histoire des aides médico-psychologiques trouve ses racines également dans un mouvement qui a marqué la transformation des institutions psychiatriques dont François Tosquelles, à l'origine de la profession, fut une des figures emblématiques. Ceux qui revenaient des camps après la guerre avaient montré la tragique analogie entre leur pro- pre expérience et celle des aliénés. Cette filiation explique un aspect de la culture professionnelle des AMP certainement très influencée par le mouvement de la psychothérapie institutionnelle.
Ce modèle vient fréquemment en contradiction avec un autre modèle dans lequel les aides médico-psychologiques ne se reconnaissent pas : le modèle hospitalier, fortement hiérarchisé (directement hérité des institutions militaires). C'est le cas de nombreux aides médico-psychologiques qui interviennent dans les établissements pour personnes âgées qui fonctionnent selon ces schémas très hospitaliers.
Si les professions médicales et para-médicales sont organisées selon ces principes hiérarchiques, les professions éducatives auxquelles se rattachent culturellement les AMP sont plutôt coutumières de relations professionnelles plus horizontales qui n'excluent pas pour autant les hiérarchies exercées par les directeurs ou autres cadres. L'ambiguïté reste toutefois totale si l'on considère que les aides médico-psychologiques, dans la fonction publique hospitalière, sont assimilés à des aides-soignants et donc relèvent des mêmes sujétions hiérarchiques que ces derniers. Ces dispositions sont d'ailleurs renforcées par les derniers textes fixant les compétences des infirmiers. On assiste là à un choc des cultures professionnelles et les AMP sont pris en tenaille entre des pratiques où ils sont sollicités pour s'exprimer, réfléchir, poser des questions... et des pratiques où ils sont souvent considérés comme des exécutants.
A trop vouloir intégrer les aides médico-psychologiques dans une culture qui n'est pas la leur, on risque de les repousser.
Cela supposerait que les établissement pour personnes âgées intègrent dans leurs pratiques institutionnelles des temps de réunions, ce qui n'est pas souvent le cas car ce n'est pas dans la culture hospitalière classique, mais aussi par manque de moyens en personnels et donc de temps.
Dans les établissements psychiatriques les AMP sont certainement assez proches, sur ce plan, des infirmiers de secteur psychiatrique, profession en voie de disparition. Ils peuvent peut-être, non pas les remplacer, mais perpétuer cette approche professionnelle où la relation et la dimension institutionnelle restent les ressorts fondamentaux du soin.
En ce qui concerne les usagers auprès desquels interviennent les aides médico-psychologiques, au-delà des catégorisations de plus en plus cloisonnées de populations auxquelles on assiste dans le secteur médical et médico-social, il me semble qu'il y a une profonde unité de ces personnes. Quel que soit leur âge, elles présentent toutes des états de dépendance limitant, parfois à l'extrême, leur autonomie et elles manifestent toutes des états plus ou moins accentués de souffrances psychiques quelle qu'en soit l'étiologie.
La question du sens à donner à l'accompagnement de ces personnes en souffrance ne peut se suffire d'un seul point de vue médical, fut-il très performant sur le plan technique. Trop souvent, c'est le modèle bio-médical qui prédomine alors que d'autres approches, mieux étayées sur le plan psychopathologique et soutenues par un travail relationnel plus suivi seraient plus pertinentes. L'accompagnement ne peut se réduire non plus aux seules actions d'animation à qui l'on assigne trop fréquemment la mission de “faire oublier” à ces personnes leurs difficultés, ce qui échoue dans bien des cas.
Dans les établissements pour “personnes âgées”, il est fréquent que l'on identifie les AMP à l'un ou l'autre de ces modèles, soit en les considérant comme des aides-soignants, soit comme des animateurs. Les aides médico-psychologiques ont peut-être une place originale à penser et à tenir dans l'accompagnement de ces personnes dites “dépendantes”, sachant que cet accompagnement ne pourra jamais se réduire à de simples gestes “matériels” (la toilette, le repas, le coucher) et que derrière ces gestes ordinaires et quotidiens, leur vrai travail consiste à instaurer avec l'usager une relation qui l'inscrive, avec et au-delà de ses souffrances, dans la communauté humaine.
C'est par la formation que cette histoire, que cette culture professionnelle et que cette approche singulière des usagers élaborée par les aides médico- psychologiques a pu et peut encore perdurer. Au- delà des enseignements théoriques, la formation d'AMP repose essentiellement sur la “clinique”.
L'observation clinique suppose un abord du réel un peu déblayé de ces représentations toutes faites pour tenter de saisir ce qui fait la singularité d'un sujet dans son expression et tenter de l'accompagner au plus près de ses difficultés. Mais il faut du temps, car cela se découvre au fur et à mesure d'un chemin de formation où il faut remettre en question ce que l'on croyait savoir de l'autre, de ce qui était “bon” pour lui, et accepter aussi de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas réussir. A l'heure où il est question de “toiletter” l'arrêté de 1992 on peut se demander si cette dimension clinique sera encore possible dans ces nouveaux modèles de formations “modulaires” où il est surtout question d'acquérir des savoirs et des savoir-faire empilés les uns sur les autres de manière hétéroclite. La nouvelle formation au diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale est en ce sens exemplaire ! Face à ces usagers lourdement handicapés auprès desquels les professionnels “s'usent” on ne peut se satisfaire de “recettes” apprises en quelques mois.
Pourra-t-on encore trouver, dans ces nouveaux modèles de formation en travail social, un fil conducteur clinique qui s'ancre dans une pratique de terrain suivie dans un temps suffisamment long et impliqué et qui permette ce patient travail d'élaboration d'une fonction professionnelle qui pense tout autant qu'elle agit ? On peut se demander, dans cette perspective, ce que la validation des acquis de l'expérience (VAE) va entraîner. Si la formation consiste d'abord à déconstruire ce que l'on croit savoir et qui n'est bien souvent que représentations, savoirs tout prêts, imitations plus ou moins fidèles d'attitudes de collègues plus anciens, systèmes défensifs face aux difficultés rencontrées avec les usagers, routines bien installées... devra-t-on, dans la VAE valider ces expériences en l'état, sans qu'elles soient à aucun moment remise en question et en chantier de reconstruction sur d'autres bases, d'autres analyses, d'autres manières de voir, d'autres savoirs, d'autres façons de se comporter, d'autres connaissances sur soi ?
A moins que la formation d'aide médico-psychologique ne devienne une formation au “faire” et ne soit plus une formation à “penser”. C'est une question de choix !
Il est paradoxal que cette profession, qui existe maintenant depuis 30 ans, reste encore partiellement méconnue, certainement parce qu'il est difficile d'enfermer les AMP dans une case bien définie du travail social (sont-ils des soignants ? des éducateurs ?). Il faut peut-être préserver le caractère “transitionnel” de leur fonction, qui fait lien entre le corps et le psychique, entre le thérapeutique et l'éducatif, entre la vie quotidienne et les activités d'animation, entre le lieu de vie et le lieu de soins... A l'heure où l'on assiste à des tentatives de “découpage” de plus en plus strictes et cloisonnées des différentes fonctions dans le travail social, il n'est peut-être pas vain qu'une telle profession résiste et préserve cette singularité. Mais pour combien de temps ? »
Philippe Chavaroche Responsable de formation AMP - Centre de formation professionnelle sanitaire et sociale en cours d'emploi - Fondation John-Bost : Place du Marché-Couvert - 24104 Bergerac cedex -Tél. 05 53 22 23 00.