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« Un groupe pour tous »

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H ervé Rigo, travailleur social, est convaincu que « l'avenir du travail social passe par la pratique des groupes, tout simplement parce que ce sont celles du corps et de la démocratie ».

« Le lien social ne peut être autre que celui d'un groupe. Il ne peut être question de traiter ce problème sans traiter la question du groupe. Il s'agit bel et bien, de permettre la constitution de groupes pour permettre la reconstitution du lien social. C'est pourquoi Carl Rogers a pu dire : “Le groupe est l'invention sociale la plus puissante de ce siècle”  (1).

Dynamique des groupes

Le groupe est toujours, ipso facto, au centre de multiples influences et représentations qui déterminent sa nature et son mode de fonctionnement. Traversé, habité et déterminé par des facteurs extérieurs à sa “propre” dynamique, le groupe est un formidable moyen pour comprendre les mécanismes normatifs et les enjeux du pouvoir auquel il est soumis... Cette donnée s'applique tout autant au petit club de quartier qu'aux groupes Balint de l'Education nationale en passant par ceux, infiniment nombreux, du marché de l'insertion et de la prévention. De fait, il est éminemment politique. C'est sans doute la raison pour laquelle, contre toute logique, la pédagogie des groupes d'actions collectives mise en œuvre par les politiques publiques, ne fait l'objet d'aucune étude spécifique. Ce qui est étudié ce sont les dispositifs dans lesquels des individus s'inscrivent, et non pas la spécificité dynamique des groupes institués par les dispositifs. Par conséquent, la massification des actions collectives, associée à l'absence d'analyse des groupes insécures, font de la pédagogie de groupe une discipline véritablement en retard sur son temps.

Le groupe dont nous voulons être les promoteurs émerge aux portes d'une dynamique inter- partenariale, à la marge et dans les interstices de nombreux dispositifs qui touchent à leurs limites. De ce fait il reste toujours suspect d'un manque de lisibilité qui le rend improbable. De plus, la pratique des groupes, telle que la conçoivent le plus souvent les enseignants, infirmiers, assistantes sociales, gardiens de prisons, éducateurs, animateurs... se résume, soit à quelques règles d'animation de base, soit à quelques consignes brutales de management (pseudo-participatif) édictées sans la moindre nuance et qui, dans la plupart des cas, ne font qu'ensemencer chez les participants les germes d'un ressentiment collectif et tenace. De toute évidence il reste à faire un travail sérieux sur la vie des groupes dans le cadre des dispositifs d'insertion.

Au sein même des pratiques professionnelles, le groupe constitue un potentiel si mal exploité et si maltraité que nous pouvons nous demander de quelle volonté procède sa non-existence dans le service public ? En fait, il ne s'agit pas seulement de résistance à un type de travail, mais aussi d'un empêchement lié aux partages de compétences et de prise en charge d'un espace improbable, flou, incertain, situé entre les champs du sanitaire et du social. En définitive, peu de personnes sont formées à l'accompagnement d'un groupe, et moins encore d'un groupe sujet, médiateur et acteur de son propre changement. La tendance reste à la résistance.

La prise en compte de la globalité des personnes du groupe (2) se traduit par l'émergence d'une meilleure disponibilité psychoaffective et physique de ses membres, et donc une plus grande tolérance aux tensions que génère le changement. La disponibilité détermine une meilleure capacité de verbalisation et d'écoute, une expression des intentions et des sentiments plus nuancée, mais aussi une conscience mieux établie de sa propre dignité morale et corporelle.

Imprévisibilité et irrationalité du groupe

Le travail conscient, rationnel d'un groupe est profondément influencé par les sentiments inconscients et les émotions de ses participants. Lorsque ce fait est reconnu, accepté, les potentialités du groupe peuvent se développer (3). La difficulté tient au fait que pour développer les potentialités du groupe il est nécessaire que l'animateur aussi, reconnaisse et accepte d'être engagé émotionnellement, inconsciemment et professionnellement dans la vie du groupe. Sa pratique, sa sécurité et son professionnalisme tiennent à cette capacité d'allées et venues, de feed-back. A la fois membre d'un organisme vivant (4), mais aussi capable de s'en extraire, de prendre la distance nécessaire vis-à-vis du groupe, pour analyser les mécanismes têtus, la dynamique et l'économie co-produits par tous. Combien cela est difficile, nous le savons cruellement ! Et pourtant n'est-ce pas l'avenir qui toujours est ainsi ?

Ce qui rend le groupe opérant c'est qu'il est un champ social à l'intérieur duquel se rejouent les mécanismes d'adaptation, de soumission et d'élaboration propres à chacun. En favorisant la découverte d'attitudes sociales différentes, le groupe indique la possibilité d'un élargissement du registre comportemental. En ce sens, chacun peut être investi, malgré lui, du rôle d'agent de socialisation, dans la mesure où il stimule ce qui sommeille encore, et rassure ce qui s'agite en vain... chez l'autre. Le groupe suscite la confrontation, parfois difficile, entre l'image que chacun a de soi et celle que les autres lui renvoient. Ainsi s'opèrent les réajustements nécessaires vers une meilleure adaptation relationnelle. Le travail social avec les groupes permet aussi aux usagers de se prêter au jeu du changement, il permet d'explorer la “viabilité”, le confort ou l'inconfort d'autres modèles de présence au monde.

De par la multiplicité des perceptions et des échanges à propos d'une “même” situation, il apprend et renforce la capacité de chacun à assumer une perception nouvelle, plus fine et plus complexe de la réalité. Il développe le sens du réel tout en dégageant un nouvel espace de liberté et de pouvoir personnel. La tâche du formateur est de restituer au groupe artificiel, la vocation naturelle qu'il n'a pas eue dans l'histoire du sujet. Il faut donc des hommes mûrs et pondérés pour prendre en charge un travail social avec les groupes. Des hommes et des femmes qui sachent précisément que la difficulté du changement trouve sa cause dans l'intense angoisse que suscite son approche... Le changement avant d'être celui de l'environnement est le signe d'une relation nouvelle à l'envi- ronnement.

Multiplication des lieux d'échange

L'adaptation au monde nécessite avant tout la capacité d'analyser son rapport au monde, c'est-à-dire une réelle qualification relationnelle avec son environnement. Et cela ne va pas de soi. Cette qualification préfigure pourtant toutes les formes d'apprentissages. Communiquer, c'est parvenir à soutenir soi-même le processus de l'adaptation. C'est permettre au simple d'évoluer vers le complexe. Sans compétences dans ce domaine que pouvons-nous être de plus que l'ombre épaisse et menaçante de nous-mêmes ?Ecouter, s'exprimer, se relaxer, se concentrer, accueillir, c'est cela communiquer et rien de durable ne peut s'acquérir sans ces capacités, ni amour, ni connaissance, ni travail.

Les organismes sociaux et médico-sociaux doivent promouvoir au sein de leur structure l'usage du groupe et plus encore de la parole. La sécurité sociale s'en porterait mieux. N'est-il pas concevable de s'attacher à favoriser l'émergence des capacités fondatrices d'adaptation au monde ? N'est-il pas concevable de s'attacher à promouvoir un dispositif d'énonciation ? D'aider un sujet à sortir de la posture d'une bête de somme soumis à l'injonction permanente de ceux qui possèdent un discours, c'est-à-dire une forme de pouvoir ? Pour soigner le “langage blessé” (5) l'action sociale peut, elle aussi, proposer de “multiples techniques de démutisation”. Educateur, travailleur social, formateur, autant que le corps médical et paramédical, sont en mesure d'atténuer les effets d'une société centrifugeuse en lestant du poids de la parole, de l'écoute et du savoir, ceux que la grande machine menace d'expulser à la périphérie du monde social. L'art majeur de la parole, de l'écoute et du groupe ne doit pas être du domaine réservé.

Parler c'est faire l'acquisition des outils nécessaires pour faire et pour défaire. Il y a dans l'échange, une puissance thérapeutique que n'importe quelle mère, n'importe quel éducateur expérimente au quotidien. Ecouter, faciliter l'expression des personnes et des groupes doit devenir l'une des tâches majeures du secteur sanitaire et social. Il ne s'agit plus seulement de libérer la parole, mais de soutenir son usage. »

Hervé Rigo Responsable du développement social de la régie de quartier d'Arles 55, rue de l'Aqueduc - 30900 Nîmes Tél./Fax 04 66 04 02 82.

Notes

(1)  Carl Rogers - Les Groupes de rencontre - Ed. Dunod, 1973.

(2)  Analysée par le concept de dimension bio-psychosociale du groupe utilisé par Edgar Morin.

(3)  Philippe Bernoux - La sociologie des organisations - Ed. Seuil, Coll. Points, 1985.

(4)  Le courant dynamiste, ou Lewinien, considère le groupe comme un organisme vivant.

(5)  Philippe Van Eeckhout - Le langage blessé - Ed. Albin Michel, 2001.

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