Avec son grand jardin bordé de longues bâtisses ocre, son terrain de football et son mur d'escalade, ou encore sa rue intérieure mêlant pierre de taille, métal et bois sous une verrière high-tech, l'Ecole de la deuxième chance (E2C) de Marseille affiche des ambitions et des moyens dignes d'une école de com-merce (1).
Installé depuis septem- bre 2001 dans les pavillons des anciens abattoirs de la ville, l'établissement est pourtant destiné à accueillir de jeunes de 18 à 25 ans, sortis du système scolaire depuis plus d'un an sans aucune formation ni qualification, afin de leur proposer un nouvel enseignement professionnel. « Il est très valorisant pour ces jeunes en grande difficulté de voir les moyens mis à leur disposition. De fait, depuis que nous sommes arrivés ici, les locaux n'ont subi aucune dégradation », assure le directeur de l'école, Lionel Urdy. La rue intérieure, sorte de forum donnant accès à tous les modules de l'établissement, a été conçue comme un lieu d'échanges et de rencontres permettant de recréer du lien social entre les différents intervenants.
Inaugurée fin 1997 dans des locaux temporaires et fréquentée en 1998 par une première session de 24 jeunes, l'Ecole de la deuxième chance est progressivement montée en puissance pour offrir, aujourd'hui, une capacité d'accueil d'environ 300 places à Saint-Louis, au cœur des quartiers nord de Marseille, où elle recrute l'essentiel de ses étudiants (dont 60 % de garçons). Près de 1 000 élèves ont bénéficié de ce dispositif depuis sa création.
Les candidats sont en principe identifiés par la mission locale de la ville, « la seule structure au niveau régional à avoir la compétence globale de l'orientation des jeunes de 16 à 25 ans », précise Lionel Urdy. « Mais une majorité d'entre eux viennent nous voir spontanément, par le bouche à oreille », nuance-t-il. Une information collective leur est alors dispensée avant qu'ils ne soient renvoyés sur la mission locale qui constituera leur dossier.
La spécificité de cette école réside dans le suivi complet qu'elle assure pour chaque stagiaire. « On doit prendre en compte leurs conditions de vie sociales et/ou familiales souvent difficiles », souligne son directeur. Un accompagnement santé des étudiants est organisé par les médiateurs du pôle « vie collective » avec, entre autres, leur immatriculation auprès de la caisse primaire d'assurance maladie, leur adhésion à une mutuelle partenaire avec prise en charge partielle du montant des cotisations par l'école, l'encouragement à fréquenter des centres de soins, la gestion des bilans de santé réalisés.
Ce rôle de conseil s'exerce aussi dans la prise en compte d'autres problèmes périphériques (de logement, judiciaires, financiers, familiaux, etc.) grâce à une orientation des jeunes vers les structures spécialisées (planning familial, assistants sociaux, caisse d'allocations familiales). Et ce, pendant toute la durée de la formation qui s'étale sur neuf mois.
A son arrivée, l'élève passe par une phase d'intégration progressive de sept semaines, durant laquelle il est évalué en français, anglais, mathématiques, informatique et sport, au sein d'un groupe d'une quinzaine de personnes. En principe échelonnées sur toute l'année, les rentrées ont, en fait, lieu à deux périodes privilégiées : en septembre et en octobre pour près de 90 % des étudiants et en mars-avril pour les autres. L'école fonctionne toute l'année, hormis une semaine de vacances à Noël et trois semaines en août. Le nouveau stagiaire fait la connaissance de ses camarades, (ré) apprend les règles de vie en communauté et se familiarise avec le système de tutorat de l'école. Chaque stagiaire est en effet suivi par un « référent » qui l'épaule dans sa démarche. « A l'issue de cette période, seuls un ou deux par groupe ont abandonné », constate Monique Teral, formatrice en français. « La dimension de dialogue et d'écoute est fondamentale dans la relation avec des jeunes qui ont souvent souffert de son insuffisance dans le système scolaire classique. »
L'expérience ayant par ailleurs montré que les outils d'évaluation courants étaient inadaptés à cette population en échec scolaire, la vingtaine de formateurs, venus d'horizons divers et tous polyvalents, a élaboré sa propre batterie de tests et déterminé les sept niveaux auxquels ils correspondent, exprimés en termes de « ceintures » - blanche, verte, marron... - en référence au judo. « Une ceinture orange correspond à peu près au niveau 5 e -4 e, précise Monique Teral, la marron, la plus haute, au niveau BEP ou CAP. » Et d'insister : « les évaluations ne donnent jamais lieu à une notation ou à une sanction, mais servent à monter notre plan de formation individualisée ».
C'est l'une des clés de la réussite de l'école de la deuxième chance : ne pas dispenser un savoir généralisé mais l'adapter à la remise à niveau et au projet professionnel de chaque stagiaire. « C'est parfois compliqué à mettre en œuvre, mais c'est tout l'intérêt de cette structure », concède la formatrice.
A leur entrée, 60 % des stagiaires passés par ce système en 2000/2001 avaient interrompu leur scolarité sans aucun diplôme soit en fin de 3e (28 %), soit en fin de scolarité obligatoire (32 %) ; 34 % des autres avaient un niveau BEP ou CAP, les 6 % restants avaient le niveau bac, brevet professionnel ou de technicien.
« Nous sommes face à des jeunes qui ont autant de potentialités que les autres. Mais pour les exprimer, le panel de propositions doit être beaucoup plus large », ajoute Monique Teral. Au cours de sa formation professionnelle, chaque élève effectue cinq à sept stages de 15 jours en entreprise, un rythme qui a montré ses limites. « Nous allons passer à des stages moins nombreux mais plus longs pour laisser le temps aux stagiaires de s'installer dans les conditions de travail de chaque entreprise », explique Lionel Urdy.
La direction Entreprise de l'école assure la collaboration avec la chambre de commerce et d'industrie de Marseille- Provence et les différentes chambres de métiers, ainsi qu'avec les 800 entreprises (de l'artisan à la grande distribution en passant par la restauration) qui ouvrent leurs portes aux stagiaires. Le jeune signe un contrat avec l'école et l'entreprise. Les étudiants perçoivent pendant leur séjour à l'Ecole de la deuxième chance une rémunération de 305 € par mois pour un célibataire (majorée selon la situation familiale) versée par le conseil régional.
A la sortie, la formation ne donne lieu à aucun diplôme mais débouche sur une embauche immédiate ou une réorientation dans le système éducatif normal - « pour prendre sa revanche » comme le disent bon nombre de jeunes. Les élèves sont suivis pendant un an après leur passage dans l'établissement. Le taux de « réussite » s'établit à 60 % ; les « échecs » sont constitués par les sans-emploi (18 %), les abandons (15 %) et les exclusions (7 %) pour des problèmes de comportement (absentéisme, manque de respect, violence verbale).
Les principes qui fondent l'action de l'Ecole de la deuxième chance s'inscrivent dans un projet européen de lutte contre l'exclusion, défini en 1995 par la Commission dans son livre blanc Enseigner et apprendre :vers la société cognitive. Les Etats et les villes intéressés gardaient toutefois la latitude d'intégrer ce dispositif à leur système éducatif ou de créer des structures indépendantes et innovantes, comme c'est le cas en France.
La ville de Marseille a été rapidement retenue pour l'organisation de la première Ecole de la deuxième chance (d'autres ont suivi, voir encadré), car elle répondait aux principaux impératifs du projet, comme l'implantation dans des zones défavorisées. « La population à Marseille est d'un niveau social très mixte, qui peut descendre très bas dans les quartiers Nord, tout en bénéficiant d'un climat de paix sociale qui permettait de lancer ce genre d'expérience », estime Elske Palmieri, conseillère municipale en charge du dossier, et représentante de Marseille à l'Association européenne des villes des écoles de la deuxième chance. Les stagiaires de l'école reflètent assez fidèlement les origines géographiques des habitants de ces quartiers. Neuf sur dix sont de nationalité française, en majorité issus de familles d'immigrés. Au-delà, quatre autres nationalités émergent : algérienne, marocaine, tunisienne et comorienne.
La mise en place de cette structure exigeait en outre un engagement, surtout financier, de la municipalité. Les installations de Saint-Louis ont ainsi coûté près de 14 millions d'euros, financés à 45 % par l'Union européenne, 35 % par Marseille, le reste à égalité par le conseil régional de PACA et le conseil général des Bouches-du-Rhône. « Les fonds européens nous ont permis à la fois de nous doter des infrastructures nécessaires pour ce projet tout en valorisant notre patrimoine architectural », se félicite Elske Palmieri. Propriétaire des lieux (environ 10 000 m2 de bâtiments), la ville les met gracieusement à la disposition de l'école. Elle assume aussi avec la région une part importante du budget de fonctionnement (respectivement 34 % et 30 % prévus en 2002). Le financement de l'Ecole de la deuxième chance, de statut associatif, est entièrement public.
De nombreuses perspectives de développement s'ouvrent encore à l'Ecole de la deuxième chance, qui projette de créer des filières spécialisées (sport, informatique, ouverture d'un restaurant pédagogique), de céder une partie de ses locaux à des antennes de la caisse nationale de l'assurance maladie et du centre national d'enseignement à distance, de recruter des stagiaires plus éloignés géographiquement, logés en internat. « La trentaine de chambres de l'école peut aussi nous permettre de faire face à certaines situations d'urgence, pour héberger des stagiaires en rupture familiale par exemple », ajoute Lionel Urdy. Lequel insiste sur le caractère souvent précaire des liens sociaux et familiaux entretenus par les jeunes accueillis à l'école.
La direction de l'Ecole de la deuxième chance tient aussi à s'ouvrir davantage sur son environnement urbain, en mettant notamment ses infrastructures (150 postes informatiques, le Centre de ressources et de documentation, l'auditorium ou le gymnase) à la disposition d'entreprises partenaires et d'autres associations et/ou centres de formation (aide aux personnes illettrées par exemple). Une autre façon de prolonger sa mission de lutte contre l'exclusion.
Anne Simonot
L'Association européenne des villes des écoles de la deuxième chance est un organisme international fondé en 1999, qui vise à organiser des échanges et des transferts d'expérience entre les villes et les collectivités territoriales ayant mis en place ou participé à la mise en place d'une Ecole de la deuxième chance, ainsi qu'à assister les villes et les collectivités qui souhaitent s'en doter, et enfin à promouvoir ce concept. Renseignements sur
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(1) Ecole de la deuxième chance : 12, place des Abattoirs - 13015 Marseille - Tél. 04 96 15 80 40 - Fax. 04 96 15 80 41 -