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« Alors il faut tenir... »

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Regrettant que la difficulté du métier de travailleur social soit trop souvent sous-estimée, Thierry Cazejust, pédopsychiatre à l'Association pour la protection de l'enfance et de l'adolescence (APEA) (1), entend apporter le témoignage d'un observateur extérieur à la profession.

« Ces 1 500 enfants suivis chaque année à l'APEA, ce ne sont pas les membres gais et épanouis d'une crèche géante du personnel, ni même des enfants malades en cours de traitement bénéficiant des meilleurs soins. Ce sont des enfants qui ont subi l'inceste, la maltraitance, l'abandon, enfants violés, battus, abandonnés, parfois les trois à la fois,  et qui malgré tout continuent à vivre et à témoigner de la noirceur de l'âme humaine. Ils sont le réceptacle de la misère humaine.

« Les travailleurs sociaux sont les témoins de cette misère, de cette noirceur, de cette “merde” morale, de cet enfer. Voilà :un “enfer” ! L'image d'un chaudron où brûleraient des enfants et des travailleurs sociaux autour, chargés de leur donner à boire.

« Et le temps pour écouter ces enfants souffrir, le temps pour les aider à vivre leur vie malgré leur enfer, le temps pour, malgré tout, les aider à trouver un sens à leur vie, un autre sens que celui d'être le réceptacle de la détresse des adultes... Ce temps qui diminue inexorablement. Ce temps de présence physique et morale auprès d'eux qui se réduit à une peau de chagrin (c'est le cas de le dire, non ?).

« Ce temps est absorbé, dissous, évaporé dans le colmatage des adultes qui sont au quotidien de ces enfants, dans la rédaction de cette détresse et des pis-aller mis en place, dans les RTT, les réunions... tout ça pourtant si essentiel pour tenir bon...

« L'image du chaudron de l'enfer avec les travailleurs sociaux autour... et des experts en tout genre qui viennent donner des conseils avisés : vous devriez planter quelques fleurs autour (“positivons”), vous devriez y installer votre ordinateur, vous devriez prendre un avocat, un syndicaliste, un médecin, faire un projet... mais qui repartent aussi vite qu'ils sont venus. Tout ça, cet enfer, n'est pas très beau à voir, très bon à sentir, n'est-ce pas ?

« Parlons d'autre chose, d'organisation, de plan pluriannuel, de sujets de plus en plus à distance de ces enfants. 1 500. Peut-on imaginer autant d'en- fants en souffrance ? Et qui résistent, s'agitent, veulent vivre ou mourir, mais toujours compliquent l'ordonnance des raisonnements d'adultes. Mais, ces enfants sont toujours là... Et les travailleurs sociaux sont toujours autour, les uns à souffrir, les autres à accompagner leurs souffrances.

« La tentation est grande de fuir. De fuir la présence auprès de ces enfants, de fuir ce rappel vivant de la noirceur humaine. Ce temps qui diminue y incite.

« Quel courage faut-il à ces travailleurs sociaux pour résister ! Résister à ces envies de fuite, à ces experts, sirènes aux chants si mélodieux, séduisants, mais éphémères, à ce découragement du quotidien toujours à reprendre avec le même enfant ou avec un autre, ce sera toujours ce regard quasi impuissant sur la misère humaine.

« Et personne à accuser ! Ça défoulerait pourtant ! Les parents ? Aussi souffrants que leurs enfants. Les experts ? Si aimables, si bons conseilleurs.

« Faire la révolution, se consolent certains ! Pourquoi pas, mais la découverte de l'inconscient ne nous permet plus d'y croire aussi fort !

« Alors il faut tenir. Tenir le fil rouge de la parole de l'enfant, en effet. Garder en repère ces temps si brefs, si grignotés, de présence auprès de l'enfant, à son écoute comme repère du sens du travail, comme ce verre d'eau tendu à ces enfants souffrant de l'enfer. Et venir vite en parler en équipe, pour ne pas fuir, ne pas “burn-outer”, ne pas devenir fou.

« L'an dernier, un de ces 1 500 enfants, grand garçon plein de vie, est mort noyé dans son bain, par sa mère délirante... »

Notes

(1)  L'APEA intervient notamment sur des mesures d'assistance éducative en milieu ouvert, d'investigation et d'orientation éducative, de tutelle aux prestations sociales. APEA : 69, avenue de Toulouse - 34070 Montpellier - Tél. 04 67 42 66 44.

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