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Un réseau pour une prise en charge cohérente de l'usager

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Pour tenter de mener une politique plus efficace de prévention et de prise en charge des personnes toxicomanes ou en conduite addictive, des professionnels du champ sanitaire et social de la région Champagne-Ardenne ont créé le réseau Addica. Il mise sur les formations et l'information pour dépasser les clivages institutionnels, et développe des outils pour améliorer le suivi des publics concernés.

Face à l'augmentation des différentes conduites addictives, de la polytoxicomanie et de la précarité des conditions de vie de certains patients, comment développer une prise en char- ge efficace ? C'est pour essayer de répondre à cette question que des médecins de la région Champagne-Ardenne ont lancé Addica (1), en septembre 2001. Ce réseau régional rassemble 90 professionnels issus des secteurs médicaux, paramédicaux et sociaux (médecins généralistes, spécialistes libéraux et hospitaliers, institutions de soins pour toxicomanes, équipes des intersecteurs alcoologiques et des secteurs hospitaliers concernés, pharmaciens et travailleurs sociaux) dans les départements de la Marne et des Ardennes.

Dépasser les clivages interinstitutionnels

L'idée d'un travail partenarial pour améliorer la qualité des soins envers les usagers (le principal financeur d'Addica est l'Union régionale des caisses d'assurance maladie) naît au cours des années 90, à la suite de l'instauration d'un réseau Ville-Hôpital dans le département de la Marne. « Mais ce dernier n'a jamais réussi à fonctionner pleinement. Ce type de réseau a beaucoup de mal à être opérationnel dans la mesure où ce sont souvent quelques personnes qui décrètent sa création de façon “verticale” », expli-que Dominique Depinoy, médecin et coordinateur d'Addica.

D'où la création d'un nouveau réseau qui vise justement à dépasser les clivages interinstitutionnels et à favoriser des prises en charge mieux coordonnées et cohérentes. « Le travail médico-social est le fait d'institutions qui, souvent soucieuses de défendre leur territoire ou bien tellement prises par le travail quotidien, ne peuvent développer un partenariat solide et permanent », observe Nicole Lamoureux-Maillet, formatrice à l'Institut régional du travail social de Champagne- Ardenne.

L'action menée au sein d'Addica est d'autant plus importante que la situation complexe des publics, où s'entremêlent souvent difficultés sociales, psychologiques et médicales, implique une démarche globale et plurielle. « Dans certains cas, on assiste à la politique de la “patate chaude” :les professionnels se débarrassent des personnes parce qu'ils ne savent pas trop quoi en faire. L'absence de coordination peut aussi amener les usagers, qui y trouvent parfois leur compte au départ, à se promener dans le système et à y prendre ce qu'ils peuvent. Cela retarde la sortie des conduites addictives des personnes déjà engagées dans des parcours longs et chaotiques », regrette Dominique Depinoy.

Pour tenter d'apporter une réponse concertée, Addica organise des rencontres pluriprofessionnelles régulières afin de mieux faire comprendre les pratiques du réseau, d'initier les partenaires aux nouveaux outils mis en place en son sein et de développer des thématiques médicales ou sociales (« traitements de substitution », « repérages des conduites d'alcoolisation avant la dépendance », etc.). Le volet formation porte, quant à lui, sur les différents types d'addictions et leur prise en charge.

Le but n'est pas, commentent les responsables, « d'attirer un grand nombre de patients vers un petit nombre de professionnels spécialisés, mais de faire comprendre que chaque acteur de la santé s'occupera encore mieux d'un patient alcoolique, toxicomane ou en situation d'exclusion, grâce à une pratique en réseau formalisé ». Un des outils essentiels, et novateur dans le domaine des conduites addictives et de la précarité, réside dans le partage d'informations concernant l'usager.

Le patient reconnu comme acteur

Depuis mars 2002,70 patients ont rejoint le réseau, ce qui a permis de développer une prise en charge collective fondée notamment sur la pratique du « dossier patient partagé ». Une évolution importante, estime Dominique Depinoy : « Les patients intégrés ne sont pas encore très nombreux mais cette démarche volontaire les rend acteurs et constitue déjà un acte thérapeutique. Le patient signe un contrat et décide, dans un but de confidentialité, quels sont les professionnels médicaux et les travailleurs sociaux qui vont se partager les informations le concernant. Cet outil était surtout utilisé dans des pathologies médicales, comme le diabète, les soins palliatifs, etc., mais pratiquement pas dans les domaines des conduites addictives et de la précarité pour lesquelles la nosologie est moins établie. » Grâce au « dossier patient partagé », la situation de l'usager peut être consultée, avec son accord, aussi bien par des intervenants médicaux du réseau que par des partenaires issus du secteur social.

Les responsables d'Addica ont, en outre, inauguré un système sophistiqué de télé-expertise permettant aux médecins d'exposer sur le site Internet certaines problématiques médicales et d'obtenir en 24 ou 48 heures l'avis d'autres professionnels. Cette technologie rend possible la mise en commun des ressources pour améliorer les prises en charge, telles que le traitement de l'hépatite C, les difficultés du sevrage tabagique ou encore la dépendance alcoolique. Les initiateurs du réseau cherchent à ouvrir ce système de télé-expertise, axé sur les questions médicales, aux partenaires sociaux afin qu'ils puissent à leur tour échanger sur les difficultés sociales rencontrées. « Aujourd'hui, si un éducateur ou un assistant social du réseau veut exposer une situation sur le site d'Addica, parce qu'il suit une personne consommant de la drogue ou qui prend mal ses produits de substitution, précise Dominique Depinoy, il peut expliquer les problèmes qu'il rencontre via la télé-expertise pour qu'un médecin lui réponde ». En respectant bien sûr les règles de confidentialité des informations.

Améliorer la collaboration entre le social et le sanitaire

Pour élargir encore leur champ d'action, les responsables du réseau ont signé, cette année, une convention avec un autre réseau intervenant dans le domaine du soin et de la précarité sur l'agglomération rémoise. Créé en mai 2001 à l'initiative de l'Armée du Salut, le réseau Santé-Précarité rassemble 120 partenaires (représentant une quarantaine d'institutions et associations de l'agglomération rémoise) afin de conjuguer accès aux soins et accompagnement social des populations en difficulté (2).

Dans un premier temps, la convention passée entre les deux réseaux - organisés autour de la même idée d'une prise en charge « souple, solidaire et cohérente des malades »  -prévoit de mettre en place des actions d'information et des formations dans le domaine du soin et de l'accompagnement médico-social spé- cialisé.

Ce rapprochement vise à accroître la connaissance des intervenants et leur collaboration. Les travailleurs sociaux y voient l'occasion de rencontrer des médecins libéraux jugés peu accessibles, tandis que les acteurs médicaux « peuvent se familiariser avec certains modes de fonctionnement et certains dispositifs du champ social, à l'instar d'un centre communal d'action sociale, lors de journées organisées sur le thème de la précarité », explique Dominique Depinoy.

Reste qu'à la différence d'Addica, axé directement sur la prise en charge de l'usager (via en particulier le « dossier patient partagé » et la télé-expertise), Santé-Précarité cherche essentiellement à améliorer les pratiques des professionnels du réseau. « Notre action consiste à diffuser de l'information, à organiser des groupes de travail avec l'aide d'un psychologue systémicien de façon à acquérir une culture commune afin de faire disparaître les incompréhensions et améliorer la coordination entre les divers professionnels du secteur social, médical ou encore psychiatrique appartenant au réseau », déclare Carine Léon, coordinatrice du réseau.

La mise à disposition de la télé- expertise et du « dossier patient partagé », dans le respect des règles établies, devrait permettre par la suite aux membres du réseau Santé-Précarité d'approfondir un travail davantage centré sur les patients. « Ils sont aujourd'hui dans une étape nécessaire de “debriefing” de leurs pratiques, estime Dominique Depinoy. Mais ensuite, Addica devrait permettre, par exemple, à un groupe composé du patient, d'un représentant de l'Union départementale des associations familiales, d'un médecin et d'une équipe psychiatrique issus de leur réseau, d'utiliser les outils de partage d'information et d'expertise au profit du patient. »

Pourtant, cette volonté de mobiliser les acteurs locaux autour d'une action globale et concertée de prévention, de traitement et de suivi des publics en conduite addictive n'a pas encore éliminé, loin s'en faut, les incompréhensions entre certains professionnels, ni les dysfonctionnements qui en découlent.

La coordination entre l'action des travailleurs sociaux et le secteur psychiatrique doit être améliorée, observent par exemple les responsables des deux réseaux. « Il subsiste en particulier une incompréhension sur la notion d'urgence psychiatrique perçue différemment par les travailleurs sociaux et les urgentistes », distingue Carine Léon.

UNE ÉVALUATION DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES

Dès la mise en place d'Addica, les responsables ont fait appel à un prestataire extérieur pour disposer d'une évaluation du fonctionnement du réseau. Ce premier bilan ne sera disponible qu'à l'été 2003 et ne portera que sur les processus d'organisation, les pratiques et la satisfaction des professionnels du réseau, mais en aucun cas sur les bénéfices qu'en tirent les usagers. « Les critères prévus par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé montrent bien que l'évaluation médico-économique est impossible, souligne Dominique Depinoy, médecin et coordinateur du réseau . Elle le sera peut-être dans les années à venir, en particulier grâce aux outils que nous mettons en place, mais aujourd'hui vouloir établir des évaluations en termes d'amélioration clinique est illusoire. »

Une autre limite tient à l'insuffisance des moyens informatiques dans certaines institutions. A ce jour, aucun travailleur social d'Addica n'a pu remplir la fiche sociale de l'usager (intégré au réseau) qu'il accompagne. « Une éducatrice de Santé-Précarité m'a contacté parce qu'elle suit un patient qui s'injecte son traitement de substitution et qui est d'accord pour rejoindre Addica parce qu'il veut arrêter. Je vais donc chercher avec elle le médecin le plus proche de son domicile, raconte Dominique Depinoy. Mais, comme l'éducatrice n'a pas d'ordinateur, elle remplira la fiche sociale sur le matériel du cabinet. »

Henri Cormier

Notes

(1)  Le réseau Addica (Addictions-Précarité Champagne-Ardennes) est porté par l'association Partage 51 : 28, cours Jean-Baptiste-Langlet - 51100 Reims - Tél. 03 26 47 38 56 - www.addica.org.

(2)  Santé-Précarité : 53, esplanade Fléchambault - 51100 Reims - Tél. 03 26 85 14 03. Santé-Précarité s'inscrit dans le cadre du programme régional d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS).

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