« Depuis le 14 juillet 2002 et l'intervention du chef de l'Etat sur la nécessaire réforme du droit d'asile, le gouvernement s'emploie à communiquer et à agir. Réduction promise des délais d'instruction, durcissement des procédures d'accès au territoire, fermeture de Sangatte, relance du débat sur l'immigration, interrogation sur la capacité d'intégration de notre pays et sur la nature du contrat à proposer aux nouveaux arrivants. La première réaction est de satisfaction.
Enfin ! La question du rapport d'une société d'accueil aux étrangers fait l'objet d'un débat, d'une orientation, d'une réaffirmation de la puissance de l'Etat. L'impasse du gouvernement Jospin sur cette question a été sanctionnée à la hauteur de l'angoisse collective qui traverse une large partie de notre vieille nation. La France allait-elle se dissoudre dans l'Europe et/ou dans l'immigration ? Le traitement de cette inquiétude ne pouvait avoir pour réponse, au risque de l'amplifier, le silence.
Mais la réalité est complexe : lorsque la question du rapport d'une société à ses étrangers est liée à un sentiment d'insécurité, les dérapages peuvent être légitimement craints.
Une politique d'urgence à caractère sécuritaire (type Choisy-le-Roi) est vouée à plus ou moins brève échéance à la même impasse que la politique d'urgence sociale qui a prévalue hier dans la création de Sangatte. Mais oublions quelques instants l'activité du ministre de l'Intérieur et intéressons- nous à la prise en charge sociale des demandeurs d'asile.
La crise du système d'accueil a fait l'objet de multiples rapports depuis 1998. Dès cette date, nous remettions à Martine Aubry un Livre blanc, comportant dix propositions largement reprises par l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs (1).
Nous considérions, dès cette époque, que la crise était due à la conjonction de plusieurs caractéristiques structurelles tant au niveau de la demande d'asile que de l'offre d'hébergement :
une demande d'asile en hausse depuis plusieurs années et sans relais communautaire suffisamment structuré en France pour assurer un accueil alternatif à une prise en charge au titre de l'aide sociale ;
une offre d'hébergement sous-dimensionnée et mal répartie sur le territoire ;
l'inadaptation de la prise en charge des demandeurs d'asile en amont de leur entrée en centres d'accueil pour demandeurs d'asile.
De là, les problèmes de régulation et de coordination ne furent plus que le produit de stratégies d'acteurs dans un contexte de pénurie de places.
Deux autres événements ont accéléré les dysfonctionnements au sein du dispositif national d'accueil (DNA) à partir de 1998. Les effets de la montée des flux à la suite de l'entrée en vigueur de la convention de Schengen et l'opération d'accueil des réfugiés kosovars.
C'est en effet à partir de cette date que se sont mis en place des systèmes d'hébergement d'urgence à bas prix, entraînant une rupture de l'égalité de traitement des demandeurs d'asile et une course effrénée d'un certain nombre d'opérateurs vers un accueil caritatif massif.
Avant d'examiner le cœur du nouveau dispositif, qui sera confié fin 2003 à l'Office des migrations internationales (OMI) (2), il doit être fait mention d'un autre rapport qui est celui de l'inspection générale des affaires sociales (3), le premier et le seul a avoir été rendu public dans des conditions rocambolesques parmi les cinq qu'a commandés l'Etat. Outre la reprise des revendications traditionnelles du secteur associatif (droit au travail, prestations au niveau du revenu minimum d'insertion, création de places d'hébergement, alignement des prestations asile territorial et conventionnel), ce rapport fait mention de trois griefs adressés à France terre d'asile.
Le mode de régulation extrêmement centralisé du dispositif national d'accueil n'aurait fait qu'aggraver les problèmes de fluidité du dispositif sans répartir équitablement la demande.
Répétons-le : la crise du dispositif n'est nullement liée à la centralisation mais au manque de moyens qui lui ont été attribués.
Le niveau central a été conduit à gérer dans l'urgence un dispositif d'accueil sous-dimensionné, faute de crédits suffisants, parfois de locaux disponibles et d'opérateurs. Il ne pouvait y avoir de répartition équitable lorsque la demande se concentre prioritairement sur l'Ile-de-France (environ 58 %de la demande), notoirement sous-équipée en matière de centre d'hébergement et de réinsertion sociale.
La délégation de gestion du DNA à l'association France terre d'asile placée comme chef de file d'un dispositif en crise, au nom et pour le compte de l'Etat, sans avoir ni l'autorité ni la légitimité nécessaire aurait aggravé la confusion.
Qu'est-ce à dire : qu'il revenait à France terre d'asile de faire respecter et d'imposer aux préfets la circulaire du 8 juillet 1999 alors que l'Etat central s'en révélait incapable ?
Enfin dernier grief de ce rapport :un possible conflit d'intérêt entre la mission de service public exercée par France terre d'asile et la fonction d'opérateur.
Quel conflit ? Quel intérêt ? Nul ne le saura.
Pourquoi avoir ciblé France terre d'asile quand d'autres opérateurs détiennent un quasi-monopole de l'hébergement sur leur département, assurent le secrétariat de la commission régionale d'admission, une plate-forme d'accueil, quand des opérateurs très importants, notamment dans le domaine de l'hébergement, ont quasiment un statut d'établissement public ?
Mauvaise façon et mauvais procès qui ont obéi à bien d'autres considérations que celles de l'intérêt commun. L'octroi des places d'hébergement ayant toujours été décidé en amont et en aval par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Fin 2003, c'est bien l'Office des migrations internationales qui pilotera la gestion administrative des demandeurs d'asile et leur répartition sur l'ensemble du territoire.
C'est la fin d'un dispositif créé par René Lenoir en 1973 et annoncé dès 2001 dans la plate-forme programmatique de la coalition de droite aujourd'hui au pouvoir. Un tournant historique dont l'intérêt ne peut être interrogé qu'en fonction de celui des usagers, des acteurs associatifs, du bien commun, et non de celui d'une association fusse-t-elle celle que j'ai l'honneur de diriger.
Première remarque. L'OMI a aujourd'hui trois missions : l'accueil des étrangers au titre de l'immigration de travail, l'expatriation des Français à l'étranger, et l'aide au retour volontaire.
L'OMI est-il l'outil institutionnel pertinent sachant que l'immigration et l'asile ne répondent pas aux mêmes problématiques et que ce sera là source de confusions.
Au moment où cet organisme a, selon les termes du dernier rapport du Haut Conseil à l'intégration (4), beaucoup de difficulté à atteindre son public, lui rajouter celui des demandeurs d'asile peut étonner. Mais comme me l'écrivait le directeur de la population et des migrations : “L'efficacité attendue du nouveau dispositif est liée aux moyens budgétaires que la loi est en train de donner à l'OMI.” Voilà qui méritera une évaluation sérieuse.
Quelle nouvelle efficacité l'OMI pourra-t-il apporter ? Quels seront les critères d'admission en centre d'hébergement ? Comment l'égalité de traitement des demandeurs d'asile sera-t-elle mise en œuvre ? S'agira-t-il de privilégier la situation sanitaire et sociale du demandeur pour une entrée en centre ou les souhaits des autorités politiques locales ?
Comment l'OMI entend-il gérer les cas sanitaires et respecter les droits des usagers prévus dans la loi du 2 janvier 2002 ? Participera-t-il à l'élaboration du schéma d'organisation sociale et médico- sociale, au futur Conseil national d'évaluation ?
La volonté de régionaliser l'admission préservera-t-elle le principe de solidarité nationale ? Les exemples de fonctionnement du dispositif sur une base régionalisée nous montrent déjà des pratiques inquiétantes où la solidarité nationale est rapidement renvoyée aux oubliettes (pratiques de renvoi des demandeurs, sans aucun accès aux droits, de département à département).
Enfin, et ce n'est pas le moins important, qu'en sera-t-il du fichier des demandeurs d'asile hébergés dans le dispositif national d'accueil qui constitue une base inviolable et qui sera forcément transféré de France terre d'asile à l'OMI ? Son accès sera-t-il protégé et limité au seul ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité ?
On le voit : la gestion administrative des admissions n'est que la partie immergée de l'iceberg.
France terre d'asile va poursuivre sa mission de conseil et d'information auprès de l'Etat déconcentré et des associations gestionnaires. Assurément, l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs auront dans la nouvelle période à inventer un nouveau type de relations.
La signature, l'été dernier, d'une charte de l'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés regroupant près d'une centaine de centres doit trouver un prolongement et permettre un véritable travail en partenariat, loin des querelles de positionnement qui ont parfois perturbé la bonne marche du réseau ces dernières années. La prochaine bataille sera celle de l'éthique, de la responsabilité et de la qualité de l'accompagnement. Elle se déroulera dans un contexte européen où la marchandisation du secteur social sera, hélas, un défi de plus à relever. »
Pierre Henry Directeur général de France terre d'asile : 25, rue Ganneron - 75018 Paris Tél. 01 53 04 39 99.
(1) Voir ASH n° 2104 du 29-01-99.
(2) Voir ASH n° 2287 du 29-11-02.
(3) Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.
(4) Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.