Ils sont 15, hommes et femmes, assis derrière des tables installées en rond dans les locaux de l'association France terre d'asile. Ils sont venus à la réunion d'information du Conseil emploi réfugiés formation (CERF) (1). Créée le 1er décembre 1999, cette structure accompagne les réfugiés statutaires résidant en Ile-de-France dans leurs démarches d'intégration sociale et professionnelle. Chacune des personnes présentes porte déjà une longue histoire. Elles ont dû fuir leur pays, abandonner une famille, un métier, une maison, des projets. Une fois arrivées en France, elles n'ont obtenu leur statut de réfugié qu'après des mois de démarches pendant lesquels elles étaient sans ressources et dans une situation d'insécurité et d'ignorance totale quant à leur sort.
Lorsqu'elles arrivent, ce vendredi, à la réunion d'information du CERF, elles viennent tout juste d'obtenir leur statut de réfugié et sont persuadées que c'est pour elles la fin des problèmes. Elles sont accueillies par Ethel Williot, conseillère d'insertion. La tâche de cette jeune femme d'une trentaine d'années, qui parle le russe et l'anglais, n'est pas facile. Elle tente d'être rassurante et accueillante tout en essayant de faire prendre conscience aux personnes qu'elles ont encore beaucoup de démarches à faire pour obtenir un logement, un travail et le regroupement familial auquel beaucoup ont droit.
Ce jour-là, plus de la moitié des réfugiés sont originaires d'Haïti, d'autres viennent de l'ex-Zaïre. Un Yougoslave suit aussi avec peine les explications d'Ethel, son français étant très approximatif. La plupart désirent poursuivre le métier qu'ils exerçaient dans leur pays- infirmier, instituteur, avocat ou coiffeur. Mais ils sont prêts également à entamer une formation, notamment en informatique, pour trouver du travail. Là encore, Ethel Williot doit ôter quelques illusions, mais elle essaie toujours de proposer quel- que chose à la place.
Cette réunion représente pour les réfugiés un premier contact avec le CERF. Une fois le profil de chacun un peu mieux défini, ils bénéficieront d'un accompagnement individualisé.
Romain Kasongo Ndaya est suivi depuis quelques mois. Diplômé en chimie de l'université de Kinshasa au Congo, il a 50 ans. Accusé par les autorités zaïroises d'avoir pactisé avec l'ennemi alors qu'il était en mission humanitaire dans une zone contrôlée par les opposants au régime, il s'est retrouvé en garde à vue accusé de trahison. Menacé de la peine capitale, il arrive en France après un long périple à travers l'Afrique. Et demande immédiatement le statut de réfugié.
Pendant les longs mois où, demandeur d'asile, il ira de bureau en bureau et où il remplira des dizaines de formulaires, il habitera chez un ami et n'aura pas le droit de travailler. « Cette période a été la plus pénible car je ne pouvais rien faire et j'étais totalement dépendant », raconte cet homme qui, chez lui, avait dirigé une équipe de 36 personnes dans un service de production d'une usine de batteries automobiles. Une fois le statut de réfugié en poche, Romain Kasongo Ndaya n'a plus qu'une idée en tête : trouver un travail, faire venir sa femme et ses cinq enfants et trouver un logement.
Au CERF, Patrick Porsan Veron, ancien chef d'entreprise, s'est occupé de son suivi : bilan social, professionnel, linguistique, construction d'un projet professionnel. A l'heure actuelle, Romain Kasongo Ndaya est en période d'essai dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée de responsable d'un point presse. « Au pays, jamais je n'aurais imaginé travailler dans un autre domaine que le mien. En France, j'ai appris ce que voulait dire le mot flexibilité », dit-il, sur un ton presque amusé.
« Il faut prendre en compte le bagage personnel et professionnel de la personne que nous accompagnons et l'adapter à la réalité économique du marché du travail français », explique Patrick Porsan Veron. « Croire que le réfugié qui vient voir le conseiller emploi-formation sait toujours ce qu'il veut et que la prestation d'accompagnement consiste à répondre à la demande explicite est une illusion », écrit Ahmed Chtaibat dans le numéro d'octobre de la revue Proasile (2).
Dans le même ordre d'idée, Fatiha Mlati, responsable du CERF, souligne que « même s'ils ne constituent pas une population homogène susceptible d'être l'objet d'une approche uniforme en matière d'orientation et de formation professionnelle, un trait commun rassemble la quasi-totalité des réfugiés statutaires : ceux qui arrivent avec des compétences directement mobilisables sur le marché du travail en Europe constituent désormais une infime minorité ». C'est pourquoi, explique la jeune femme, leur insertion professionnelle exige la mobilisation de toute une équipe à différents niveaux :apprentissage de la lan- gue, adaptation des compétences professionnelles aux demandes du marché du travail du pays d'accueil, adaptation aux règles sociales. « La multiplicité et la complexité des structures et des services par lesquels transitent ces personnes ne leur permettent pas de faire le point sur leur propre projet. C'est pourquoi l'on observe des cassures lors de tentatives d'insertion », poursuit-elle.
L'action du CERF tente donc, depuis trois ans, d'améliorer la prise en charge de l'intégration professionnelle des réfugiés statutaires. « Les parcours d'insertion coconstruits par ces derniers et les membres du CERF se déclinent en trois types de prestations », explique Fatiha Mlati. La première est l'orientation vers des dispositifs spécifiques. Que ce soit par la mission locale pour les jeunes de moins de 26 ans, les services des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel pour les personnes handicapées ou les organismes habilités comme l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Puis, l'entrée en formation qualifiante qui s'inscrit dans un travail sur le projet professionnel. Et enfin, l'accès au marché du travail qui passe par l'élaboration d'un curriculum vitae, une lettre de motivation, la préparation à l'entretien d'embauche, la négociation avec l'entreprise d'accueil. Toutefois, cette méthode d'accompagnement des réfugiés ne se limite pas à ces trois aspects. Trouver des solutions pour la garde des enfants, la prise en charge des transports, une aide au niveau psychologique... « Si l'ensemble de ces éléments ne sont pas pris en compte, c'est-à-dire si les aspects humains sont négligés, l'insertion professionnelle ne se fera pas. On pourra accumuler les dispositifs et dépenser de l'argent, ce sera à perte », martèle Fatiha Mlati. « En résumé, nous ne sommes pas un organisme de formation, nous ne sommes pas un service social ni une agence nationale pour l'emploi. Notre objectif est de rattacher le réfugié à la société d'accueil, de l'aider à s'inscrire dans un parcours d'insertion. »
Cette expérience poursuivie en Ile-de- France a amené l'équipe à s'interroger sur les dysfonctionnements des programmes mis en place. « Nous constatons une déconnection entre le temps de l'obtention de la protection et donc du statut de réfugié, le droit au séjour et l'accès au revenu minimum d'insertion », poursuit Fatiha Mlati. En réalité, la reconnaissance de la qualité de réfugié n'est pas synonyme d'un accès direct aux droits sociaux et donc au dispositif de formation profes- sionnelle.
Lors des réunions d'information, le conseiller ou la conseillère d'insertion distribue une feuille sur laquelle se trouvent deux schémas : le premier informe sur l'ensemble des services qu'offre le CERF ; le deuxième retrace le parcours du réfugié statutaire pour « accéder à ses droits et remplir ses devoirs ». Il en ressort que, pendant des semaines encore, le temps de faire les démarches, le réfugié sera sans ressources et dans un no man's land en termes de droit.
L'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire (formateurs, psychologue, conseillers, chef d'entreprise) est confronté tous les jours aussi bien aux difficultés des réfugiés qui relèvent de leur histoire personnelle qu'à celles inhérentes au système d'accueil français, de plus en plus inadapté aux nouvelles réalités. A la longueur des délais pour obtenir une carte de réfugié, s'ajoutent ensuite les difficultés d'accès au travail et au logement qui obligent souvent les personnes à demeurer dans les centres provisoires d'hébergement.
Chaque année, environ 6 000 réfugiés entrent en France. Le public potentiel du Conseil emploi réfugiés formation (CERF), plate-forme d'information et d'orientation professionnelle qui s'adresse aux réfugiés statutaires depuis moins de cinq ans résidant à Paris et en Ile-de-France, est estimé à environ 2 000 personnes par an. Après trois ans d'activité, les chiffres de cette structure pilote en Ile-de-France sont encourageants :
depuis sa création, 45 % des réfugiés accompagnés ont trouvé un emploi : 42 % en contrat à durée indéterminée, 48 % en contrat à durée déterminée, 10 % sont entrés dans le dispositif des emplois aidés et 30 % ont suivi une formation qualifiante ;
au total, 2 141 réfugiés statutaires dont 60 %d'hommes ont bénéficié d'un pré-accueil. Près de 1 300 ont signé un contrat d'accompagnement, 385 ont bénéficié de mesures d'information et de conseil et 269 ont été « réorientés » ;
il s'agissait de réfugiés en provenance d'Afrique (dans 61 % des cas), d'Asie (19 %), d'Europe (10 %) ou d'Amérique (moins de 8 %). Plus de la moitié (57 %) des réfugiés accueillis sont francophones et 48 %ont un niveau de formation initiale supérieur au baccalauréat. Une minorité (3,5 %) n'ont jamais été scolarisés. L'équipe du CERF est constituée de 15 personnes : travailleurs sociaux, formateurs, psychologue, un ancien chef d'entreprise et un conseiller-insertion qui a travaillé auparavant dans le codéveloppement et connaît donc certains pays dont les réfugiés sont originaires. Elle travaille en liaison avec le service social d'aide aux émigrants (SSAE), l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et les Assedic, les organismes de formation dont l'AFPA, les Cotorep pour les personnes handicapées, les centres d'hébergement, les missions locales pour les jeunes de 18 à 25 ans, les centres communaux d'action sociale, les caisses d'allocation familiales et d'assurance maladie.
En outre, estime Le Mehdi Guadi, responsable du service formation, « c'est l'ensemble du système de formation qu'il faut repenser en y intégrant l'apprentissage linguistique qui lui aussi ne correspond pas aux besoins des réfugiés ». De toute évidence, le « contrat d'intégration » lancé par le gouvernement Raffarin (3) ne semble pas avoir convaincu ceux qui se heurtent quotidiennement aux difficultés d'insertion professionnelle des étrangers en France. S'il adhère au principe général du dispositif, Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile (4), est nettement plus sceptique quant à sa mise en œuvre effective et à son objectif réel : y a-t-il eu à la base de cette proposition une réflexion sur la nature des prestations à fournir aux usagers et sur la diversité de leur propre parcours ?
Elisabeth Kulakowska
(1) CERF : 2, rue Jules-Cloquet - 75018 Paris - Tél. 01 53 06 64 20 -
(2) Proasile - France terre d'asile : 25, rue Ganneron - 75018 Paris - Tél. 01 53 04 39 99.
(3) Voir ASH n° 2283 du 1-11-02.
(4) Auteur, par ailleurs, d'une tribune libre sur le dispositif des demandeurs d'asile dans ce numéro.