Véritable tarte à la crème ou réelle évolution de société ? Gadget ou nécessité ? Les actions intergénérationnelles sont à la mode. Mais pour l'association Accordages (1), qui mène depuis deux ans un important travail autour de ce thème, elles sont avant tout un extraordinaire outil au service du lien social.
C'est à partir d'une attention portée au vieillissement de la population qu'est née une réflexion sur le « vivre ensemble » et le rôle que peuvent jouer les personnes âgées dans la société. « Avec l'expatriation choisie ou imposée, la recomposition ou l'éclatement de la famille, les relations intergénérationnelles sont devenues plus rares », observe Arlette Yaïch, maire- adjoint chargée du social à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), l'une des communes où la logique intergénérationnelle est au cœur de nombre d'actions. A commencer par celles visant à ouvrir les maisons de quartier à l'ensemble de la population en faisant en sorte que tous les âges s'approprient les lieux et réfléchissent ensemble à des projets. « Sans ce creuset pour vivre et échanger avec les vieux, les difficultés que rencontrent les adolescents pour se construire et passer au stade adulte se trouvent accrues. Dans ce contexte, le travail entrepris par des retraités avec les écoles ou les maisons de quartier aide à retisser des liens porteurs de futurs plus sereins. »
Quand la société a plutôt tendance à séparer les classes d'âge, les promoteurs de ces projets, parfois tout simples, mais qui favorisent la mixité des âges et la mixité sociale, obligent à repenser le regard porté sur les personnes âgées. Voire, et telle est la démarche d'Accordages, à remettre les retraités ou les personnes âgées en position d'acteurs.
« Quand nous avons créé l'association, nous estimions qu'ils étaient considérés quasi uniquement sous l'angle de la gérontologie, rappelle Mohammed Malki, directeur d'Accordages. A trop focaliser sur ces aspects qui ne concernent qu'une minorité, on a produit une image négative : ils sont seuls, ils sont malades, ils coûtent cher. Or, la majorité des personnes vivent chez elles, sont capables de participer à la vie locale, et sont d'abord des citoyens. » C'est donc un autre état d'esprit que défend l'association qui propose de réfléchir à ce que peuvent apporter les personnes âgées à la société.
Et, d'une façon générale, c'est cet état d'esprit qui préside à l'ensemble des actions menées en faveur d'une meilleure intégration des personnes âgées dans la société, qu'elles touchent le domaine du logement, l'échange des cultures ou le maintien et la création de lien social. Ces dernières années, une série d'initiatives autour de l'habitat a ainsi émergé. Parmi les plus récentes, et sans doute les plus innovantes, un lotissement intergénérationnel imaginé par la Fédération dijonnaise des œuvres de soutien à domicile (Fedosad) (2).
En matière d'intergénérationnel, les actions locales sont très nombreuses mais, à de rares exceptions près, elles sont peu connues et mal reconnues. De ce fait, leur efficacité, faute de moyens ou d'outils, est rarement évaluée et elles demeurent des projets ponctuels, même si elles sont particulièrement innovantes. L'association Accordages (3) a donc entamé, depuis sa création il y a deux ans, un travail de repérage, d'évaluation d'actions et d'aide, méthodologique notamment, au montage de projets intergénérationnels et interculturels. « On est une boîte à outils, résume Mohammed Malki, son directeur . Aujourd'hui, nous avons repéré et évalué une quarantaine d'actions signifiantes qui peuvent être menées n'importe où. » L'association travaille aujourd'hui sur un projet de mise en réseau et de mutualisation de ces actions. Celui-ci passera par la création et l'animation d'un site Internet, outil qui devrait faciliter la coopération entre les différents acteurs. Ceux qui souhaitent créer une action intergénérationnelle pourront y trouver des dossiers thématiques, des fiches pratiques, des outils méthodologiques, des exemples d'expériences signifiantes. Enfin, ce projet, soutenu en particulier par le Fonds d'action et de soutien à l'intégration et de lutte contre la discrimination et la délégation interministérielle à la ville, devrait proposer des formations-actions.
Fruit d'une réflexion autour d'un lieu où les générations se rencontreraient, ce programme d'urbanisme baptisé « Générations » vient juste de naître à Saint-Apollinaire, petite commune de 6 000 habitants dans l'agglomération dijonnaise.
Sur le même site sont rassemblés des logements et des structures d'hébergement : une maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes, une résidence thérapeutique pour des personnes atteintes du sida, des domiciles protégés pour accueillir six personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer. Des jeunes couples avec un enfant en bas âge (de moins de 5 ans dans un premier temps), vivent ainsi à côté de retraités, de personnes dépendantes et de malades.
Cet espace, à terme, offrira toute une palette de services de proximité : télé- alarme et garde de nuit itinérante basés sur place, restaurant de quartier, restauration scolaire, halte-garderie, relais assistantes maternelles, salle de quartier ou ludothèque pour tous les âges.
Parmi les retraitées, certaines pourront être agréées comme assistantes maternelles par la protection maternelle et infantile. Et tous les habitants ont signé une charte intergénérationnelle, « Bonjour voisin », dans laquelle ils s'engagent à faire vivre l'esprit village. « C'est un contrat moral de respect de l'autre que nous proposons aux personnes qui viennent vivre ici, visant à favoriser les liens sociaux et la solidarité », explique le directeur des domiciles protégés pour personnes âgées dépendantes à la Fedosad, Pierre- Henri Daure, qui évoque avec passion cette « aventure ». « Le but n'est pas de faire une ville dans la ville, mais un quartier intégré dans le reste de la commune. Il s'agit avant tout de favoriser les liens entre les gens, avec l'aide de divers outils, par exemple un système d'interphones qui permet aux habitants de s'appeler d'un appartement à un autre. Mais il n'y a rien d'obligatoire », réplique-t-il à ceux qui s'inquiètent du risque de créer une nouvelle sorte de ghetto et du caractère artificiel de cet habitat.
La question de l'aspect « gadget » de ces actions qui consistent à recréer des liens intergénérationnels, naguère naturels, est récurrente. « Les meilleures actions, observe Mohammed Malki, sont souvent celles qui n'affichent pas l'étiquette intergénérationnelle. » C'est pour cela que la Fondation de France, qui accompagne un certain nombre de ces projets, cherche à « intervenir le plus en amont possible pour ne pas créer des actions plus ou moins factices », explique Patrice Leclerc, son responsable des personnes âgées. « Qu'en est-il du fonctionnement d'une société quand elle doit chercher artificiellement des liens et des rencontres entre les classes d'âge ? »
D'une préoccupation voisine de celles des promoteurs de « Générations » à Saint-Apollinaire est né un autre projet, encore en cours d'élaboration. A Nantes, la ville et l'office d'HLM se sont associés pour mieux prendre en compte les attentes spécifiques des locataires âgés- 25 % des locataires ont 60 ans et plus - de quartiers d'habitat HLM. Des résidents attachés à leur lieu de vie, mais pour lesquels se posait la question de l'adaptation au logement et à l'environnement. Travaillant en partenariat, ville et office HLM ont lancé une étude d'analyse des attentes des 55 ans et plus, et ont défini trois grands profils. Le profil « développement personnel » : des personnes très actives, ayant soif de découverte et disposant d'un réseau relationnel étendu ; le pro- fil « confort » : celles centrées sur la famille et les amis de longue date, recherchant plutôt le confort et la sécurité ; le profil « nécessité » : des habitants plutôt repliés sur eux-mêmes avec un périmètre de sortie restreint et un réseau relationnel limité à la famille et au proche voisinage.
En fonction de cette typologie, une opération expérimentale a été lancée sur quatre quartiers, afin d'élaborer une méthode de diagnostic de l'adaptation de l'habitat aux personnes âgées et de définir des orientations pour rendre les services publics plus accessibles. « Ce diagnostic, explique Juliette Furet, chargée d'accueil des personnes âgées à l'Union sociale pour l'habitat (4), permet d'apprécier la qualité d'usage du logement et de l'environnement, les éventuels facteurs de gêne ou de risque, et de définir une grille d'évaluation en matière de confort d'usage, de prévention des accidents, d'adaptabilité à des incapacités particulières. » Ergothérapeutes, professionnels médico-sociaux et professionnels du bâtiment travaillent ensemble. « C'est important, dans la mesure où ils ont désormais une vision partagée qui permet la définition d'objectifs communs. »
La nécessité d'une vision stratégique de l'adaptation de l'habitat et des services se fait sentir de façon plus aiguë encore dans un contexte de vieillissement de la population. Pour les offices HLM, l'enjeu est important puisqu'il s'agit de mixité sociale. « Comment faire en sorte, par le biais de l'adaptation du logement et des services, que les personnes âgées et les plus jeunes puissent continuer à cohabiter dans le parc HLM ? Il s'agit, certes, de fidéliser le public, mais aussi, pourquoi pas, de donner envie à des personnes âgées qui ne sont pas logées dans le parc d'y venir. » De l'adaptation physique des logements peuvent naître des relations de voisinage jusqu'alors inexistantes. Un enjeu important dans la mesure où les personnes âgées sont proportionnellement plus présentes dans le parc HLM que dans la population globale. Ainsi, les 60 ans et plus représentent un peu moins de 22 % de la population totale et 25,6 % des locataires en HLM. Et ils occupent souvent leur logement depuis long- temps.
Parallèlement à ces prises de conscience institutionnelles, les initiatives des personnes âgées ou des retraités eux- mêmes, tout en valorisant les savoir- faire de chacun et en participant à la prévention de l'isolement, permettent de reconstruire des liens sociaux de proximité. Des initiatives encouragées par des organismes comme la Fondation de France, qui finance des projets répondant à une logique intergénérationnelle et non sectorielle. Malheureusement en France, regrette Patrice Leclerc, cette tendance naturelle à enfermer les projets par catégorie et par secteur (personnes âgées, enfance, jeunes, handicapés, etc.) freine l'obtention des financements pour ces initiatives transversales.
Sandrine Pageau
(1) L'association a organisé, les 21 et 22 novembre 2002, les Ve rencontres de Villiers-le-Bel, en région parisienne, qui avaient pour thème : « Des actions intergénérationnelles porteuses de futurs » .
(2) Fedosad : 38, rue Parmentier - 21000 Dijon - Tél. 03 80 73 92 92.
(3) Accordages : 8, rue du Faubourg-Poissonnière - 75010 Paris - Tél. 01 47 70 79 67 -
(4) Union sociale pour l'habitat : 14, rue Lord-Byron - 75384 Paris cedex 08 - Tél. 01 40 75 78 00 -