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« L'année européenne des personnes handicapées doit servir d'électrochoc culturel »

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L'Union européenne a proclamé l'année 2003 « année européenne des personnes handicapées ». Nommé en janvier 2002 président du Comité français de coordination, Jean-Luc Simon fait le point sur cet événement et son impact en France. Rencontre avec un homme de terrain, ex-travailleur social et militant engagé.

Actualités sociales hebdomadaires : C'est la première fois que l'Union européenne dédie une année aux personnes handicapées ?

Jean-Luc Simon : C'est en effet la première fois. Il existe déjà une journée internationale, le 3 décembre, placée sous l'égide de l'Organisation des Nations unies, une première décennie qui a eu lieu entre 1982 et 1992 qui se décline au niveau des régions du monde (Asie-Pacifique, bientôt les pays arabes...). Ce qui traduit les efforts faits par les institutions internationales pour améliorer l'intégration et briser le cercle infernal pauvreté/handicap. Bien souvent, dans les pays les plus pauvres, les personnes handicapées sont aussi les plus pauvres. L'idée d'une année européenne a été lancée sous l'influence du forum européen des personnes handicapées et largement soutenue par la France lorsqu'elle présidait l'Union. Le président de la République est, vous le savez, particulièrement sensibilisé à cette question. L'objectif de l'Union est d'intéresser les sociétés européennes à leurs droits, à leurs besoins et à leur potentiel. Et d'inciter les partenaires à unir leurs efforts pour promouvoir l'information et l'échange de bonnes pratiques. Concrètement, une marche des citoyens symbolisée par un bus partira de Grèce et arrivera en Italie fin 2003, après avoir sillonné les 15 Etats membres dont la France en avril et mai. Quels en sont les objectifs ?

- L'un des objectifs de l'Union européenne, est de contribuer - même modestement - à changer le regard porté sur les personnes handicapées. Pour moi, c'est essentiel. Elles n'ont pas besoin qu'on leur fasse la charité mais qu'on les considère comme des citoyens ordinaires. Il faut que chacun, pendant cette année, puisse rencontrer, échanger avec elles. Que chaque citoyen se rende compte de leurs ressources et se défasse de ses préjugés. L'autre objectif mis en avant est l'application du principe de non-discrimination, surtout dans l'emploi. Je pense que ce concept n'est pas forcément adapté à la culture française. Nous avons déjà une loi qui ne fonctionne pas. Il me semble que le véritable levier, c'est de s'appuyer sur l'égalité des chances. En France, le comité de coordination souhaite notamment que l'année favorise l'implication commune des personnes handicapées et non handicapées, les actions de prévention, le renforcement de mesures d'accessibilité. Et qu'elle permette aussi d'encourager le respect et un plus grand civisme à leur égard.

Quel est votre rôle ?

- Conformément aux instructions européennes, la France a mis en place en mai dernier un comité de coordination (1) que je préside et qui a pour tâche d'instruire les actions susceptibles d'être soutenues au titre de cette année. En ce qui me concerne, je travaille depuis un an à la préparation de cet événement. Je dois être le garant des objectifs et des principes de l'année européenne et de la bonne gestion des finances ! Depuis la nomination du comité, nous sommes vraiment entrés dans la phase opérationnelle. L'appel à projets que nous avons lancé et qui a été clos fin octobre a fait remonter 700 propositions ! Nous en attendions au départ 150 ;nous aurions pu en avoir 1 000 ! Cela démontre une forte mobilisation.

TRAVAILLEUR SOCIAL, CHERCHEUR, MILITANT ET HANDICAPÉ

Nommé par l'ex-ministre en charge des personnes handicapées dans le gouvernement Jospin, Jean-Luc Simon a été reconduit dans ses fonctions après le changement de l'équipe gouvernementale. Rattaché aujourd'hui à la délégation interministérielle aux personnes handicapées, il préside le Comité français de coordination de l'année européenne mis en place le 3 mai 2002. Il est également président du Groupement français des personnes handicapées, vice-président de la région Europe et membre du conseil de l'Organisation mondiale des personnes handicapées. Agé de 44 ans, Jean-Luc Simon a exercé des fonctions d'éducateur et d'infirmier psychiatrique auprès d'enfants et d'adultes handicapés, avant qu'un accident de la route ne le laisse paraplégique. Licencié pour « inaptitude à la fonction », il reprend des études universitaires, obtient un DEA en sciences de l'éducation et continue de militer pour l'autonomie et l'intégration des personnes handicapées, thème de plusieurs de ses ouvrages et travaux de recherche .

Quel est votre but à travers cet appel à projets ?

- Créer un véritable événement en générant un maximum d'actions qui provoquent l'échange et la rencontre avec le public. Nous allons être attentifs à ce que les projets retenus mettent l'accent sur la participation et la créativité des personnes handicapées dans l'art, la culture, le sport, l'économie, l'entreprise ou encore l'innovation technologique. Mais il faudra aussi veiller à privilégier la qualité plutôt que la performance. Ce n'est pas parce que l'on peint avec les pieds, qu'une réalisation est de qualité. Ce sera sans doute difficile à accepter pour certaines personnes, souvent considérées comme des héros, mais c'est une façon de les aider à être exigeantes vis-à-vis d'elles-mêmes. Nous allons aussi promouvoir les actions qui traiteront les personnes handicapées comme des citoyens ordinaires. Nous voulons que le Français se rendent compte de cela !

Quel type de projets vous propose-t-on ? Comment allez-vous en traiter autant ?

- Beaucoup concernent des expositions, des festivals, des manifestations autour de la musique ou de la peinture. Nous allons sans doute en soutenir un grand nombre car le grand public y a accès facilement. Quant à notre méthode de travail, le comité va examiner les fiches de synthèse des projets, réalisées par la direction générale de l'action sociale. Il sera amené à en rejeter certains, à accorder à d'autres le label de l'année européenne et, dans un petit nombre de cas, une aide financière en tenant compte de plusieurs paramètres, comme le maillage territorial, le secteur d'activités, etc. On devrait avoir la liste définitive des projets fin janvier.

De quels moyens disposez-vous pour financer ces projets ?

- Il faut être clair. Notre objectif n'est pas de financer des actions, étant donné le peu de moyens dont nous disposons. 800 000  € nous ont été attribués sur le budget communautaire dont 40 % pour la communication, 10 % pour le fonctionnement du comité et 50 % - soit 400 000 € - destinés aux projets. L'Etat français a d'ores et déjà doublé le montant de la dotation européenne affectée à la communication, soit un total de 640 000  €  et fait de même en doublant le budget de 80 000 € accordé par Bruxelles pour le lancement de l'année à Rennes. Concernant les appels à projets, je ne sais pas encore si l'Etat apportera aussi son obole. J'ai, dès le début, encouragé les porteurs de projet à trouver leurs propres moyens de financement. Les fonds européens ne peuvent de toute façon abonder que 50 % au maximum du coût total. Il est préférable que les financements soient répartis entre l'Etat, les collectivités, la société civile et, éventuellement, les subventions européennes. Nous soutiendrons les promoteurs les plus modestes, les petites associations plutôt que les collectivités locales, par exemple. Sans doute moins d'une centaine (2). L'intérêt essentiel pour eux, c'est d'obtenir le label de l'année européenne ; ils auront un logo officiel dont ils pourront faire usage dans la limite des objectifs prévus dans le projet. Mais cela ne veut pas dire qu'ils seront financés pour autant. La majorité des promoteurs l'a d'ailleurs compris.

D'autres pays européens font-ils mieux ?

- Le Royaume-Uni est le pays le plus dynamique. Plus de 1 000 projets ont été sélectionnés et le gouvernement britannique a triplé le montant de la subvention européenne !

Comment faire connaître ces projets ?

- L'année européenne est une opportunité de communication formidable, d'autant plus que la réforme de la loi de 1975 est sur les rails. Une série de forums régionaux, dont le premier devrait avoir lieu le 3 février 2003 à Rennes, sera l'occasion pour la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées de présenter les projets financés et labellisés. Six autres forums, à Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse, se dérouleront tout au long de l'année pour se clore à Paris début décembre 2003.

Ne peut-on vous reprocher un « coup » médiatique ?

- Le comité sera très attentif, dans ses critères, à retenir des projets qui auront un impact dans le temps. Pas forcément dans la durée mais surtout en termes de suivi. Si cette opération est médiatique et qu'elle sert la cause des personnes handicapées, je m'en réjouis ! Notre objectif sera atteint si cette année contribue à ce que chaque Français comprenne que les personnes handicapées sont des agents de développement, c'est-à-dire que leur contribution est essentielle au mieux-être de tous. Si chacun est convaincu que l'intégration est une nécessité, un investissement global pour la société et pas seulement une obligation. D'autant plus qu'il y aura toujours dans le monde des personnes handicapées !

Quel impact l'année européenne peut- elle avoir en France ?

- Je souhaite que la réforme de la loi de 1975 prenne en compte les priorités définies par l'Union européenne. Comme je vous l'ai dit, les personnes handicapées revendiquent l'égalité des chances. Elles veulent être des partenaires qui partagent leur expérience. Il faut que l'année européenne serve d'électrochoc culturel pour secouer les idées reçues : que l'on apprenne à regarder les personnes handicapées de façon moins émotionnelle, sans leur faire l'aumône. Ce dont elles ont besoin, c'est que l'on restaure leurs droits.

J'espère aussi que la politique du mainstreaming, prônée au niveau européen- c'est-à-dire la prise en compte du handicap dans la législation ordinaire - va essaimer en France. Cela signifie qu'à chaque fois que l'on élabore, que l'on construit, que l'on légifère, on pense handicap.

Propos recueillis par Dominique Lallemand

LES EUROPÉENS FACE AUX HANDICAPS

D'après une enquête réalisée auprès de 16 000 citoyens de l'Union européenne :

 5 % se considèrent atteints d'un handicap ;

 près de six Européens sur dix connaissent une personne proche handicapée ou invalide ou atteinte d'une maladie de longue durée et huit sur dix se déclarent très majoritairement à l'aise en leur présence ;

 66 % estiment que les autorités locales sont les premières responsables de l'amélioration de l'accès aux lieux publics ;

 57 % reconnaissent un déficit d'information sur une sélection de 21 types de handicaps ;

 un Européen sur quatre pense qu'au moins 20 % de la population est atteinte d'un handicap physique ;

 enfin, 97 % pensent que « quelque chose » devrait être fait pour assurer une meilleure intégration de cette population dans la société et 93 % sont prêts à ce que plus d'argent soit consacré à la suppression des barrières physiques qui compliquent la vie de ces personnes. Source : Eurobaromètre 2001 - Commission européenne.

Notes

(1)  Il est composé d'une trentaine de personnes dont un tiers d'organisations de personnes handicapées, un tiers de personnes compétentes handicapées ou parents d'enfants handicapés et un tiers de représentants des administrations.

(2)  La liste des projets sera disponible en janvier sur www.handd.gouv.fr.

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