Les associations dénonçaient, de longue date, cet état de fait. Après avoir pris connaissance du rapport d'Anne-Marie Escoffier, inspectrice générale de l'administration, remis fin novembre, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, l'écrit aujourd'hui noir sur blanc dans une circulaire : dans le dossier des sans-papiers, « la grande complexité du dispositif législatif actuel » a généré « un traitement parfois inégal » des demandes de régularisation soumises aux préfectures. D'où une volonté réaffirmée, de la part du pensionnaire de la Place Beauvau, « d'homogénéiser les pratiques administratives ».
Dans le texte, daté du 19 décembre, le ministre donne ainsi « un premier ensemble de mesures d'ordre » dont il demande aux préfets de faire « une stricte application ». En attendant les réformes annoncées sur le droit d'asile, les conditions de rétention et d'éloignement et une refonte complète de la circulaire d'application de la loi Chevènement de 1998.
Premier point à améliorer, selon Nicolas Sarkozy : l'accueil des étrangers. « Tout doit être mis en œuvre, dit-il, pour faciliter l'accès aux guichets et réduire les inconvénients des files d'attente, inconfortables, qui ne font pas la distinction entre les différents statuts de demandeurs ». Il recommande ainsi la création d'accueils distincts pour les primo-demandeurs, les demandeurs d'un renouvellement de titre de séjour, les étudiants ou les demandeurs d'asile.
Le ministre donne par ailleurs des consignes claires en matière de réexamen des dossiers de demande de titre de séjour. Face aux étrangers en situation irrégulière qui se sont déjà vu notifier un refus et qui tentent une nouvelle démarche pour obtenir des papiers, « la position consistant à opposer une fin de non recevoir, sans examen du dossier et, le cas échéant, sans tenir compte d'éléments nouveaux » est ainsi « à proscrire ». En outre, dès lors que le principe du réexamen d'un dossier est accepté par la préfecture, il est convenu de « ne pas mettre en œuvre une éventuelle mesure d'éloignement » jusqu'à la prise de décision finale.
La circulaire évoque encore les problèmes rencontrés en matière de renouvellement de carte de séjour, source d'un contentieux abondant :nombreux sont, en effet, les étrangers à entamer tardivement leurs démarches ou à être convoqués avec retard par l'administration. Le ministre demande ainsi aux préfets de prendre des mesures pour donner aux demandeurs « un rendez-vous dans des délais respectueux des règles fixées » et fournir à l'étranger, à l'occasion de la remise de son premier titre de séjour, toutes informations sur les conditions de renouvellement de celui-ci. En cas de litige, la commission du titre de séjour doit être saisie par le préfet.
Nicolas Sarkozy se penche, par ailleurs, sur la situation des sans-papiers vivant en France depuis plus de dix ans et qui ont tenté, en vain, d'apporter la preuve de ce long séjour pour être régularisés. Tout en alertant les préfectures sur le « caractère frauduleux » de certains justificatifs, le ministre clarifie ainsi les moyens de preuve. La première - « celle de l'arrivée en France » - doit être apportée par un « document irréfutable » : visa, récépissé de demande de titre de séjour, récépissé de demande d'asile… A charge pour l'intéressé, ensuite, de prouver un temps de présence en France suffisant (au moins 10 ans pour le cas général et 15 ans pour les étudiants). Sur ce point, la circulaire prévoit un léger assouplissement : une seule preuve par an sera désormais suffisante pour justifier de la présence dans les années antérieures à 1998. Sous réserve toutefois qu'il s'agisse d'une preuve « certaine ». Pour les années postérieures à 1998, deux preuves resteront nécessaires, dont une à caractère « certain ». Le ministère établit donc au passage une typologie particulière des preuves à apporter : sont considérées comme « preuves certaines » les documents émanant d'une administration publique (préfecture, service social, établissement scolaire). Ceux remis par une institution privée (certificat médical, relevé bancaire présentant des mouvements) ont « une valeur probatoire réelle », tandis que les documents personnels (enveloppe avec adresse libellée au nom du demandeur, attestation d'un proche) n'ont qu'une « valeur probatoire limitée ». Seules les premières pourront justifier à elles seules d'une année de présence. Les preuves complémentaires ne venant que « conforter l'intime conviction de l'administration ».
Au cours d'un séjour de 10 ou 15 ans, de courtes interruptions pourront expliquer l'impossibilité pour le requérant de justifier de sa présence, sans remettre en cause la date initiale d'entrée sur le territoire.
Des précisions sont encore apportées pour les étrangers pouvant arguer d'une vie privée et familiale à préserver sur le territoire : la notion de couple est élargie (mariage, concubinage, pacte civil de solidarité) et le texte, se référant à la jurisprudence, n'exclut pas, dans des cas exceptionnels, les liens collatéraux. De même, des jeunes majeurs, isolés dans leur pays d'origine et ne pouvant plus bénéficier de la procédure de regroupement familial, pourront se prévaloir de ce droit lorsque l'ensemble de leurs liens familiaux se trouvent en France. Le ministre demande cependant qu'une « attention particulière » soit portée aux situations des étrangers demandant à bénéficier d'une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale « pour échapper aux règles du regroupement familial plus contraignant ». Avertissement est également donné aux préfectures par rapport aux étrangers malades. Selon lui, « des étrangers de plus en plus nombreux » font une demande à ce titre en présentant de faux justificatifs médicaux. Il demande donc aux autorités de faire mettre en œuvre les moyens utiles de contrôle : saisine du Conseil de l'Ordre des médecins en cas de fraude supposée, demande de contre-expertise auprès d'un médecin expert près les tribunaux ou d'un médecin de l'Office des migrations internationales.
Autre « procédure détournée » à ses yeux : celle du regroupement familial, pour laquelle les demandes se font trop « souvent » sur place, la famille s'étant réunie sans attendre d'obtenir l'autorisation nécessaire. A charge pour l'administration, donc, de vérifier que les demandeurs disposent bien d'un visa de long séjour.
La circulaire consacre enfin quelques lignes à la faculté des préfets d'accorder des régularisations à des personnes qui auraient épuisé toutes les possibilités pour avoir des papiers. Ce pouvoir discrétionnaire « doit avoir un caractère exceptionnel ». Cependant, différentes situations « méritent », aux yeux du ministère, un examen spécifique et le cas échéant, peut justifier son exercice : « situation d'étrangers accompagnant des personnes malades, étrangers lourdement handicapés, femmes victimes de violences, mariages forcés, répudiations... ».