Le Parlement a définitivement bouclé, le 19 décembre, le projet de loi « relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi » (1). La droite a donc réussi, malgré la guerre d'usure menée par la gauche en première lecture, à réaliser une de ses grandes promesses de campagne électorale :l'assouplissement des 35 heures. Ce volet s'accompagne d'une harmonisation, par le haut, du SMIC et des garanties mensuelles de rémunération, imaginées par la loi Aubry II pour éviter que les salariés au SMIC ne voient leur salaire diminuer lors du passage aux 35 heures. Pour compenser le coût de cette mesure, un nouvel allégement de charges sociales est également mis en place. Par ailleurs, la loi vise à mettre fin aux contentieux sur les heures supplémentaires dans les établissements sociaux et médico-sociaux privés à but non lucratif.
Tour d'horizon des principales dispositions, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, que les parlementaires de l'opposition devaient saisir le 26 ou le 27 décembre.
Levier principal utilisé par la loi pour assouplir les 35 heures : les heures supplémentaires. Tout d'abord, elle unifie et simplifie le régime des huit premières heures supplémentaires en faisant primer, en l'absence d'accord collectif prévoyant une contrepartie en repos, la majoration de salaire. Ensuite, le taux de cette majoration sera fixé par une convention ou un accord de branche étendu, sans qu'il puisse être inférieur à 10 %. Et ce n'est qu'à défaut d'accord que les taux légaux s'appliqueront. Etant précisé que celui applicable, dans les entreprises de 20 salariés et moins, aux quatre premières heures supplémentaires, ne passera finalement pas à 25 % au 1er janvier 2003 et sera même maintenu à 10 % jusqu'au 31 décembre 2005. En outre, la loi instaure un contingent d'heures supplémentaires unique, défini par les partenaires sociaux au niveau de la branche, et qui déterminera à la fois le seuil à partir duquel une autorisation de l'inspecteur du travail est nécessaire et le déclenchement du repos compensateur obligatoire. Néanmoins, à défaut d'accord, un contingent annuel réglementaire, récemment fixé à 180 heures pour une période de 18 mois (2), s'appliquera à titre subsidiaire. La limite à cette règle : les contingents conventionnels négociés avant la date de publication de la loi au Journal officiel ne recevront plein effet en matière d'ouverture du droit à repos compensateur obligatoire que dans la limite du contingent réglementaire. Enfin, le seuil des effectifs de l'entreprise qui détermine, pour partie, le régime de repos compensateur obligatoire applicable, est relevé de 10 à 20 salariés.
Autre voie d'intervention : les cadres. La loi assouplit la définition des cadres dits intégrés ainsi que les critères permettant à des salariés itinérants non-cadres de conclure des conventions de forfait annuel en heures. De plus, l'accord collectif définissant les cadres autonomes susceptibles de bénéficier d'un forfait annuel en jours se fera uniquement « au regard de leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps » : la référence à l'impossibilité de prédéterminer leur durée du travail et aux responsabilités exercées est supprimée.
Par ailleurs, en réaction à l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 selon lequel l'astreinte n'est ni du temps de repos ni du temps de travail (3), la loi dispose que, « exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est décomptée dans les durées minimales » de repos quotidien et hebdomadaire.
Pour simplifier le calcul du temps de travail en cas de modulation ou de réduction du temps de travail (RTT) sous forme de jours de repos, la loi supprime la référence à une durée de travail de 35 heures en moyenne sur l'année pour ne retenir que celle des 1 600 heures par an, tout en précisant que les partenaires sociaux, dans les branches ou les entreprises, peuvent toujours décider des plafonds inférieurs.
Enfin, la loi ouvre la possibilité aux salariés, si un accord le prévoit, « de se constituer une épargne » par une valorisation en argent des éléments affectés au compte épargne-temps.
La loi Fillon instaure un mécanisme de convergence du SMIC et des garanties mensuelles de rémunération (GMR) entre le 1er juillet 2003 et le 1erjuillet 2005. L'objectif étant de parvenir, à terme, à un SMIC unique.
Pour ce faire, il ne sera plus créé de nouveau niveau de GMR : les entreprises qui réduisent leur temps de travail depuis le 1er juillet 2002 doivent appliquer la garantie de rémunération calculée sur la valeur du SMIC à cette date (6,83 €). Les six niveaux de GMR seront revalorisés différemment de manière à atteindre un seul niveau au 1er juillet 2005. Le SMIC horaire bénéficiera lui-même d'une revalorisation majorée de façon à atteindre, au 1er juillet 2005, le niveau de la GMR prévue pour les salariés passés à 35 heures après le 1er juillet 2002. Concrètement, le SMIC progressera de 11,4 % sur trois ans.
Un nouvel allégement de charges sociales, déconnecté de l'application de la durée légale du travail dans l'entreprise, entrera progressivement en vigueur à partir du 1er juillet 2003. Il succédera à l'allégement des 35 heures (« Aubry II » ) et à la réduction sur les bas salaires (ristourne « Juppé » ). Un décret en fixera les modalités de calcul.
Du 1er juillet 2003 au 30 juin 2004, le coefficient maximal d'allégement sera de 20,8 % du SMIC dans la limite de 1,5 SMIC pour les entreprises qui ne sont pas encore passées à 35 heures. Pour les autres, ce coefficient sera de 26 % de la garantie mensuelle de rémunération au 1er janvier 2000. D'autres coefficients s'appliqueront du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005. Au 1er juillet 2005, date à laquelle le dispositif sera définitif, le plafond de rémunération s'établira à 1,7 fois le SMIC pour toutes les entreprises. Et le montant maximal de l'allégement sera égal à 26 % pour un SMIC.
Enfin, la loi marque un coup d'arrêt à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le paiement des heures effectuées entre la 35e et la 39eheure dans les établissements et services pour personnes inadaptées relevant de la convention collective du 15 mars 1966. Pour mémoire, dans un arrêt du 4 juin 2002 (4), les juges suprêmes ont considéré que, en application de l'accord-cadre sur les 35 heures du 12 mars 1999, les salariés qui ont continué à travailler après le 1erjanvier 2000 (ou 2002) sans avoir bénéficié de la RTT, ont droit tout à la fois au complément différentiel de salaire prévu par l'accord pour maintenir les salaires et au paiement des heures accomplies au-delà de 35 heures, en tant qu'heures supplémentaires majorées de la bonification. Aussi, la loi dispose-t-elle que dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux à but non lucratif soumis à la procédure d'agrément ministériel, le complément différentiel de salaire prévu par un accord collectif en vue d'assurer aux salariés la garantie du maintien de leur rémunération mensuelle en vigueur à la date de la réduction collective du temps de travail à 35 heures ou en deçà, n'est dû qu'à compter de la date d'entrée en vigueur des accords d'entreprise ou d'établissement ou des décisions unilatérales relatifs à la réduction collective du temps de travail, c'est-à-dire leur date d'agrément. Ces règles ne s'appliquent pas aux instances en cours à la date du 18 septembre 2002 (5) ni aux affaires pour lesquelles une décision de justice est devenue définitive.
(1) Sur le projet de loi, voir ASH n° 2277 du 20-09-02.
(2) Voir ASH n° 2281 du 18-10-02.
(3) Voir ASH n° 2278 du 27-09-02.
(4) Voir ASH n° 2267 du 14-06-02. Sur les instructions données par la DGAS, voir ASH n° 2273 du 23-08-02.
(5) Date de la présentation du projet de loi en conseil des ministres.