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Les professionnels à la recherche d'un second souffle

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Trente ans après les premières entreprises intermédiaires, les professionnels s'interrogent sur la finalité de l'insertion par l'activité économique. Et cherchent de nouvelles formes d'action. Deux pistes à privilégier : se rapprocher des entreprises et s'inscrire dans une dynamique territoriale.

Bousculés par les projets gouvernementaux, les acteurs de l'insertion par l'activité économique  (IAE) ont le moral à zéro : désengagement de l'Etat dans les contrats emploi-solidarité et consolidé sur lesquels s'appuient les chantiers d'insertion (1), absence d'interlocuteur au niveau des pouvoirs pu- blics, sentiment général que l'accès à l'emploi des plus en difficulté n'est plus une priorité. Au-delà de la conjoncture, l'exclusion, croissance ou pas, persiste et signe. Les formes d'emploi précaire se multiplient, les « working poor » constituent une catégorie repérée, compétitivité et flexibilité font cause commune... Comment, dans ces conditions, ne pas s'interroger sur la pertinence et les finalités de cet outil d'accompagnement vers l'emploi, conjuguant formation, accompagnement et activité salariée, destiné à remettre sur les rails les personnes les plus fragilisées et à permettre leur insertion dans la société ? Cette question a réuni à Grenoble quelque 500 professionnels à l'invitation de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)   (2).

Depuis le milieu des années 70, date à laquelle se sont créées les premières entreprises d'insertion, dites alors intermédiaires, la conjugaison d'une croissance ralentie et d'un chômage de plus en plus massif ont de fait ouvert une brèche dans un système économique et social bien huilé. Conjugaison qui a donné naissance à un outil original et innovant, l'IAE. Or, au vu de l'évolution des économies contemporaines, ce secteur a-t-il encore aujourd'hui une fonction légitime ? se demandent nombre de structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) qui ont le sentiment de jouer les Danaïdes.

Entre des entreprises soumises à des contraintes de plus en plus fortes liées à la mondialisation et un secteur public qui ne peut assurer de fonctions sociales, « l'IAE produit justement des services utiles qui ont cette fonction sociale. En ce sens, elle répond certainement à une logique économique », confirme Jacques Freyssinet, économiste et ancien directeur de l'Institut de recherches économiques et sociales. Même si les SIAE sont soumises aux contradictions d'une économie cyclique, ballottée entre ralentissement et accélération de la croissance. En effet, en période d'embellie, ces dernières peinent à trouver « de la main-d'œuvre » alors que leur activité augmente ; mais dès que le chômage remonte, elles servent de roue de secours aux entreprises qui taillent dans leurs effectifs alors que les possibilités d'insertion se restreignent. Ce qui peut faire dire à certains que l'insertion par l'activité économique joue un rôle d'amortisseur du coût social du chômage.

Détournement d'objectif

A l'origine, elle s'appuyait sur une logique de réadaptation sociale sans lien avec l'emploi, mais elle a été, dès la fin des années 80, intégrée dans les politiques publiques comme un outil de lutte contre le chômage. A tel point, observe la sociologue Elisabeth Maurel, que la seule fonction qui lui est reconnue, c'est celle de sas vers l'emploi. Et c'est encore sous ce label qu'elle a été légitimée en 1998 par la loi de lutte contre les exclusions. Financièrement, elle reste d'ailleurs tributaire des politiques de l'emploi :pour preuve, les dernières circonvolutions du ministère des Affaires sociales sur les emplois aidés. Le risque - et la contradiction - c'est que se pérennise ainsi un accès à l'emploi à deux vitesses, puisque manifestement, croissance ou pas, l'exclusion n'est pas enrayée. Et ne le sera pas demain. D'où l'inquiétude des professionnels d'être instrumentalisés par les administrations et de servir d'ambulance sociale aux entreprises. « Lorsque l'on crée un sas, à quel moment, nous aussi, ne sommes-nous pas en train de fabriquer des travailleurs pauvres ? », s'interroge Eric Pliez, membre du conseil d'administration de la FNARS. Un diagnostic corroboré par le sociologue Bernard Eme, pour lequel l'insertion par l'activité économique est devenue un système dépendant de l'Etat, qui n'a pas pu ou su se constituer en mouvement social capable d'influer sur les politiques publiques. « Quel sens alors trouver à l'action lorsque l'on continue à écoper l'exclusion sans emploi à la clé ? » Par ailleurs, la philosophie de l'insertion s'est centrée sur l'individu, à travers des parcours personnalisés, au détriment de la dimension de socialisation qui existait au départ dans les entreprises d'insertion, souligne le chercheur. Ce qui accentue sans doute un malaise partagé par les différents réseaux (3) qui se revendiquent de l'insertion par l'activité économique.

L'INSERTION PAR L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

Selon la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, « l'insertion par l'activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion sociale et professionnelle ». Les structures de l'insertion par l'activité économique en 2001

 950 entreprises d'insertion qui emploient 12 500 salariés en flux annuel

 275 entreprises temporaires d'insertion ayant 49 300 salariés en mission

 950 associations intermédiaires avec 182 000 personnes mises à disposition

 130 régies de quartier employant 7 200 salariés

 2 300 ateliers et chantiers d'insertion employant 40 000 personnes

 110 GEIQ regroupant 3 200 entreprises employant 3 200 personnesSoit au total environ 60 000 équivalents temps plein. Sources : Economie et humanisme/FNARS - 2002.

Pour Brigitte Ogée, responsable du Comité national des entreprises d'insertion  (CNEI), « il faut maintenir ce qui fait notre différence : la dimension sociale. Elle est au cœur du dispositif. C'est en cela que nous sommes complémentaires des entreprises du secteur marchand ». « Dans un contexte où le nombre de personnes inemployables augmente, on nous demande de travailler autrement sans nous en donner les moyens », regrette Christophe Chevalier, responsable du Coorace. « D'ailleurs 5 à 10 % des structures sont dans le rouge tous les ans. Et si la loi de 1998 a clarifié certains aspects, la multiplication des procédures conti- nue de ronger la vie associative qui se technocratise ». Plus que du statut des structures, « on se préoccupe de celui des personnes en insertion dans nos chantiers- école », ajoute Martine Théaudière, responsable du Réseau national des acteurs de l'insertion et de la formation, particulièrement inquiète des menaces qui pèsent sur l'avenir (4). Quant au Comité national de liaison des régies de quartier (CNLRQ), il témoigne des difficultés à conjuguer participation des habitants et insertion dans les quartiers. Non reconnu par la loi de lutte contre les exclusions, le Comité national de coordination et d'évaluation des Groupement d'em- ployeurs pour l'insertion et la qualification  (CNCE-GEIQ) qui rassemble des entreprises du secteur marchand dont les salariés (allocataires du RMI, chômeurs de longue durée ou jeunes sans qualification) bénéficient d'un accompagnement et d'une formation avant de trouver un emploi, constate que les projets de création de GEIQ s'essoufflent. Que faire alors pour redonner du punch à un secteur qui continue, au-delà des alternances politiques, à quêter reconnaissance et légitimité ? Comment trouver de nouvelles formes d'action ?

Des pistes de développement

Premier impératif, se rapprocher des entreprises du secteur concurrentiel, envers et contre ceux qui continuent de diaboliser l'économie de marché, « comme s'il suffisait d'être non lucratif pour détenir le monopole du Bien », assène Hugues Sibille, ex-délégué interministériel à l'économie sociale et actuel directeur des petites entreprises et de l'économie sociale à la Caisse des dépôts et consignations. L'Etat n'ayant plus celui de l'intérêt général, les structures d'insertion ont tout intérêt « à faire preuve d'une intelligence pragmatique et à accepter la différence culturelle », conseille Jean-François Connan, responsable du développement social chez Adecco, et représentant du Medef. Et à sortir des partenariats institutionnels pour forger des alliances au niveau local avec des entreprises. « Certaines réussissent à conjuguer l'intérêt collectif et celui de leur entreprise », reprend Hugues Sibille, évoquant une gamme d'outils insuffisamment utilisés : l'épargne salariale, que les syndicats peuvent contribuer à favoriser via des fonds communs de placement « solidaires » tels que ceux proposés par la Fondation France active, un coup de pouce aux entrepreneurs de l'IAE via le congé solidaire, le tutorat d'entreprise, le mécénat de compétences, etc. Si les syndicats ne peuvent être représentatifs des exclus, reconnaît Jean Vanoye au nom de la CFDT Rhône-Alpes, « ils peuvent travailler en partenariat avec le monde associatif, les services publics. pour monter des projets en commun ».

Deuxième consigne, s'inscrire dans un projet de territoire, recommande encore Hugues Sibille, rejoint sur ce point par Nicole da Costa, responsable de la mission de développement d'activités d'insertion professionnelle à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. « Les structures d'insertion par l'activité économique sont absentes des bassins d'emploi. Or, c'est à ce niveau que se joue la connexion entre l'offre et la demande. » Pourquoi alors les services de l'Etat n'aiguillonnent-ils pas davantage les conseils départementaux de l'insertion par l'activité économique, créés justement par la loi contre les exclusions, pour faire fonctionner les passerelles entre les acteurs locaux ?, rétorquent certains entrepreneurs de SIAE. Bon exemple de passerelle, les plans locaux d'insertion par l'économique qui peuvent être un moyen de provoquer le rapprochement et d'impliquer des entreprises à certains moments du parcours d'insertion, ou encore les formules telles que les clubs d'entreprise ou les GIEQ.

Troisième piste, jouer la créativité. Certains l'ont compris comme le foyer Jonas à Bordeaux, agréé centre d'hébergement et de réinsertion sociale  (CHRS), et le GIEQ Sud-Ouest :ils ont su conjuguer leurs compétences pour répondre à la fois aux difficultés d'insertion sociale et professionnelle d'une vingtaine de jeunes accueillis par le foyer et relevant du dispositif d'accompagnement social individualisé, et aux problèmes de logement que rencontrent bien souvent les salariés du GIEQ. Imagination aussi lorsque l'équipe d'un CHRS, géré par l'association Le soutien de la Dordogne à Périgueux, planche sur l'idée d'offrir à un ou deux chefs d'entreprise de la région un fauteuil au sein de son conseil d'administration. « Pourquoi ne pas faire rentrer l'entreprise dans nos structures afin de faire évoluer les représentations, parfois négatives, des uns et des autres ? », observe Didier Briot, chef de service, responsable de l'IAE.

De quoi offrir à ce secteur matière à reprendre ses marques sous la forme d' « une médiation à trois niveaux : une médiation individuelle vers l'emploi, une médiation avec l'entreprise, l'exclusion étant liée aussi à ses pratiques, et une médiation socio-économique globale afin de rendre la société plus solidaire », suggère Claude Alphandéry (5), président du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. Encore faut-il, comme le dénoncent nombre d'associations d'insertion, que cessent le combat des chefs et les querelles de territoire entre des réseaux qui se sont se multipliés ces dernières années. Une fois cette cohérence trouvée, les structures d'insertion par l'activité économique auront ainsi plus de poids - et de crédibilité - pour jouer les rapports de force. Et revendiquer une légitimité.

Dominique Lallemand

Notes

(1)  Objet d'une étude pour la DGEFP - Voir ce numéro.

(2)  Les 21 et 22 novembre 2002 - « De l'exclusion à l'emploi, ouvrir l'économie aux solidarités »  - FNARS : 76,  rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.

(3)  CNEI : 18/20, rue Claude-Tillier - 75012 Paris - Tél. 01 53 27 34 80 ; CNLRQ : 47, rue Sedaine - 75011 Paris - Tél. 01 48 05 67 58 ; Coorace : 17 rue Froment - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 70 50 ; CNCE-GEIQ : 10, rue d'Alsace - 75010 Paris - Tél. 01 46 07 33 33.

(4)  Voir ASH n° 2281 du 18-10-02 et n° 2283 du 1-11-02.

(5)  Cité dans Vers l'insertion par l'emploi. Ouvrir l'économie aux solidarités - Ouvrage coédité par la FNARS et Economie et humanisme - Novembre 20002.

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