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Promouvoir une culture de la vigilance

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« Primum non nocere »  : d'abord ne pas nuire, c'est a minima ce que l'on peut attendre des institutions sociales et médico-sociales accueillant des publics vulnérables. Aussi est-il difficile d'admettre la réalité de violences, dont elles peuvent être la source ou le théâtre. Au-delà de cette prise de conscience, aujourd'hui réelle, les politiques et les professionnels essaient de promouvoir une démarche active de « bientraitance ». Qui exige d'interroger de façon systématique la qualité des prises en charge.

« Je pense que toute institution sécrète la violence. Il faut qu'on se le dise, il faut que l'on comprenne que c'est quasi naturel », explique inlassablement Stanislaw Tomkiewicz, directeur de recher- che honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. « Ce qui n'est pas naturel, c'est une institution non violente. Aussi devons-nous toujours exercer une vigilance minutieuse pour éviter la violence dans les institutions. » De tels propos ne valent plus au pédopsychiatre de « volée de bois vert », à la différence de ce qui se passait dans les années 70 lors- qu'il les tenait. Bien sûr, ajoute-t-il, il est infiniment plus facile d'évoquer les violences dans les familles « qui ne sont, par définition, pas comme les nôtres - nous qui sommes tous de bons parents n'ayant jamais violenté nos enfants - que de discuter les violences commises par des gens semblables à nous, et peut-être même par nous-mêmes », tantôt en s'en rendant compte, tantôt « bien plus fréquemment » sans en avoir conscience.

Comme celles qui ont lieu en famille, les violences perpétrées dans, ou par, une institution sociale ou médico-sociale peuvent être dites « en bosses ou en creux » - celles-ci étant souvent aussi nocives que celles-là -, explique Stanislaw Tomkiewicz. Physiques, psychologiques ou sexuelles, les premières constituent des maltraitances en acte. Caractérisant les violences par inaction, négligence ou laisser-aller, les secondes relèvent de ce que les Américains qualifient d' « abus par omission ». Elles participent d'un mode de fonctionnement qui tend à faire primer les intérêts de l'institution sur ceux de la personne accueillie.

Dans tous les cas, c'est au regard de ses conséquences en termes de souffrance physique ou psychologique « inutile » qu'on peut appréhender la violence institutionnelle - sachant qu'il s'agit d'une notion tout à fait relative. « Ainsi, une violence réputée utile autrefois ou ailleurs (par exemple les punitions corporelles ou la privation de nourriture) est, ou sera, considérée comme abusive demain ou dans un autre contexte », précise Stanislaw Tomkiewicz

De l'inévitable à l'inacceptable, voire à l'illicite : inscrit à l'intérieur d'un cadre à géométrie variable, le champ de la maltraitance évolue avec le point de vue de la société sur les actes et méthodes considérés. En France, rapporte Marceline Gabel, chargée de cours en sciences de l'éducation à l'université Paris-X (1), se préoccuper des risques qu'est susceptible d'encourir un enfant dans les institutions est un souci récent. Dès 1982 pourtant, lors du IVe congrès de la Société internationale pour la prévention des mauvais traitements et négligences envers les enfants organisé à Paris, nombre de communications américaines avaient mis l'accent sur les sévices institutionnels. Mais elles ne feront pas office de déclic révélateur. « Reconnaître que l'on puisse mal faire, alors que tout ce qui justifie votre action est la conviction qu'elle est forcément bonne, constitue une terrible remise en question, source de souffrances qu'on n'imagine pas », souligne Marceline Gabel. C'est pourquoi il faudra 20 ans, et de multiples travaux de recherche, pour que les professionnels portent un regard critique sur leurs pratiques et institutions. Et encore, « cette douloureuse prise de conscience collective, aujourd'hui réelle,  est loin d'être achevée », estime Marceline Gabel. En particulier, si les brutalités extrêmes ou l'abus sexuel d'un individu en établissement sont mieux vus et dévoilés, « la violence quotidienne, éducative, pédagogique ou soignante de ces institutions, mortes, très fermées sur elles-mêmes, dans lesquelles les enfants sont propres et bien nourris, mais où il ne se passe rien, est encore soigneusement occultée. »

Une lente prise de conscience

Tout en saluant le progrès que constitue la consécration des droits de l'usager par la loi de janvier 2002 rénovant l'action sociale, Stanislaw Tomkiewicz se dit, lui aussi, préoccupé par « la priorité énorme donnée aujourd'hui aux violences sexuelles, par rapport au régime général de non-respect de l'individu ». La société des adultes, avance-t-il, a trouvé, là, sa parade en dissimulant les autres formes de violences, bien plus fréquentes. En outre, « on criminalise le jeu de touche- pipi, c'est-à-dire les violences sexuelles entre gamins qui, assurément, sont destructrices, mais sans prendre en charge les violés ni les violeurs sur un plan psychothérapeutique - et sans se préoccuper, non plus, de la répression sexuelle des jeunes en institution qui engendre ce type d'abus. » Cependant, le niveau général de violence dans les institutions pour mineurs a plutôt baissé depuis une vingtaine d'années, ajoute le pédopsychiatre. L'omerta est rompue ; les professionnels reconnaissent désormais la réalité de pratiques violentes tant « en creux » qu' « en bosses ».

Semblable évolution des esprits est également amorcée dans les domaines de la vieillesse et du handicap (secteur adulte et non plus seulement enfant). La révélation des phénomènes de violence institutionnelle y est plus nouvelle. Ceux-ci peuvent également avoir certaines modalités particulières d'expression. Leur identification bénéficie néanmoins de la réflexion déjà menée dans le secteur de l'enfance - et d'une certaine mobilisation politique (voir encadré ci-dessous).

Repérer, traiter et prévenir

Pourtant, comme cela s'était produit avec les jeunes et très jeunes usagers, la France se croira, plus longtemps que d'autres pays développés, épargnée par la violence institutionnelle à l'encontre des personnes âgées. Encore en 1992, quand Robert Hugonot, gérontologue, lance une première expérience d'écoute à Grenoble ( « SVP maltraitance des personnes âgées » ), c'est sans rencontrer le succès escompté. « Sans doute, était-ce trop tôt. La gérontologie avait déjà fait un grand chemin dans la reconnaissance de l'être humain âgé, mais parler de maltraitance à son égard restait du domaine de l'inconcevable », se souvient Françoise Busby, coordinatrice du réseau Alma (Allô maltraitance des personnes âgées), mis en place à partir de 1995.

Aujourd'hui doté de 33 antennes départementales, il enregistre, parallèlement à sa montée en charge et à l'important travail de sensibilisation fait par ses animateurs, un nombre croissant d'appels signalant des maltraitances en établissement. En 2001, sur les 2 300 nouveaux dossiers ouverts par Alma pour des situations de maltraitance avérées, 460 d'entre elles - des négligences dans environ la moitié des cas - concernaient des faits en institution. On en déduit mathématiquement que 80 % des violences se produisent dans le cadre familial. Cependant, rapportée aux effectifs de personnes vivant soit chez elles ou chez un mem- bre de leur famille soit en institution, cette disproportion est nettement relativisée (2). Autrement dit, la prévalence de la maltraitance institutionnelle est beaucoup plus importante que ce qu'on pourrait croire de prime abord, note Michel Debout, président d'un groupe d'étude sur la maltraitance des personnes âgées qui a remis, en janvier dernier, un rapport très fouillé sur la question (3).

Il y a certainement urgence à s'intéresser d'aussi près au secteur du handicap, et tout particulièrement du handicap mental (voir encadré). Les institutions accueillant ces publics se révèlent, elles aussi, « parfois un enfer pavé de bonnes intentions »,  selon Stanislaw Tomkiewicz. Responsable de la première antenne spécialisée, ouverte fin mai en Meurthe-et-Moselle par Alma, Alma- Handicap (4), André Laurain y trouve même le silence particulièrement pesant. « La maltraitance des personnes handicapées est encore plus taboue que celle qui s'exerce à l'égard des publics âgés. »

En outre, les personnes handicapées mentales ne disposent pas toujours de la capacité à analyser ce qui relève ou pas d'un acte de maltraitance, précise l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales. Les intéressées peuvent également avoir des difficultés à s'exprimer, et/ou du mal à être entendues.

Episodiquement portées sur la place publique, de dramatiques affaires attestent de la gravité du problème. L'une d'elles, survenue dans un foyer pour adultes myopathes et polyhandicapés de l'Yonne (5), a décidé le sénateur Henri de Raincourt, président du conseil général de ce département, à impulser la création d'une commission d'enquête. Elle entend faire le point sur la situation des usagers handicapés accueillis en institution (quels que soient leur âge et leur handicap). Il s'agit pour les parlementaires de suggérer des « réponses adaptées et efficaces permettant de mettre fin aux agissements contraires à l'intégrité et à la santé des personnes » et d'en prévenir l'apparition.

UNE VOLONTÉ POLITIQUE AFFIRMÉE

Visant à lever le silence sur les violences institutionnelles, des textes destinés à les combattre se succèdent, depuis cinq ans, à un rythme soutenu. Sans mettre en cause la volonté politique que traduit cette cascade d'instructions, on peut cependant se demander si elles sont toujours vraiment lues. Comment expliquer sinon, au vu des données établies en 2001 par le bureau de la protection des personnes de la direction générale de l'action sociale  (DGAS), que seulement 51 % des départements font état de faits de maltraitance en institution ? Il est difficile de croire que, dans les autres, tous les établissements soient épargnés par le phénomène. 1998

 La première circulaire (DAS n° 98/275 du 5 mai ) sur « la prise en compte des situations de maltraitance à enfants au sein des établissements sociaux et médico-sociaux » précise les mesures à prendre en vue d'assurer la protection des jeunes usagers. (Voir ASH n° 2070 du 8-05-98) 2000

 Un bureau de la protection des personnes est créé, en juillet, au sein de la DGAS pour mettre en œuvre une politique de prévention et de lutte contre la maltraitance qui ne concerne plus les seuls mineurs mais également les adultes « vulnérables ». (Voir ASH n° 2177 du 25-08-00) 2001

 Une circulaire relative à la prévention des violences et maltraitances, notamment sexuelles, dans les institutions sociales et médico-sociales accueillant des mineurs et des personnes vulnérables (circulaire DGAS n° 2001/306 du 3 juillet ), organise la mise en place, entre 2002 et 2006, d'un contrôle renforcé des structures - il porte sur l'inspection à titre préventif de 2 000 établissements au cours de cette période (6)  - et appelle à une vigilance accrue dans le recrutement des professionnels. (Voir ASH n° 2224 du 20-07-01)

  16 novembre 2001 : vote de la loi de lutte contre les discriminations dont l'article 8 protège les professionnels d'éventuelles représailles dans leur emploi s'ils dénoncent des mauvais traitements ou des privations infligés à une personne accueillie en institution. Réclamée depuis longtemps par les travailleurs sociaux, cette disposition est reprise dans la loi du 2 janvier 2002 … … qui vient rénover l'action sociale et médico-sociale. (Voir ASH n° 2254 du 15-03-02) 2002

 La loi du 2 janvier formalise les droits de l'usager - au premier rang desquels « le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité ». Elle prévoit la mise en place de plusieurs outils destinés à garantir l'exercice effectif de ces droits ainsi que son contrôle. Le but, clairement énoncé, est « notamment de prévenir tout risque de maltraitance ». Dans un souci de prévention secondaire, la loi instaure en outre un régime d'incapacité professionnelle pour toute personne condamnée définitivement pour crime ou condamnée pour certains délits portant atteinte à la personne humaine.

 Une circulaire (DGAS n° 2002/265 du 30 avril ), rappelle la nécessité de contrôler les personnels recrutés et de renforcer les procédures de signalement des violences, maltraitances et abus sexuels dont sont victimes les enfants et adultes vulnérables dans les institutions. Constatant que celles-ci « ne sont pas toujours respectées », le texte revient sur les obligations auxquelles les responsables d'établissements et les services déconcentrés de l'Etat sont soumis. Il appelle également tous les professionnels à se mobiliser et fait le point sur les différentes mesures de protection dont bénéficient ceux qui procèdent au signalement de sévices : outre les agents publics et les salariés des institutions, les médecins sont également concernés depuis la loi de modernisation sociale. (Voir ASH n° 2262-2263 du 17-05-02)

 Une circulaire (DGAS n° 2002/280 du 3 mai ) visant à renforcer la prévention et la lutte contre la maltraitance envers les adultes vulnérables, particulièrement les personnes âgées, prévoit la mise en place de comités départementaux (7) et le développement d'antennes de recueil téléphonique de signalements, en partenariat avec l'association Alma. (Voir ASH n° 2264 du 24-05-02)

 Installation le 19 novembre du comité national de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées qui devrait arrêter son programme « dès la fin janvier ». (Voir ASH n° 2286 du 22-11-02)

La prévention : tel est bien sûr l'enjeu. Il convient de passer d'une logique de dénonciation à une logique de proposition pour tenter de pallier l'émergence de conduites maltraitantes. A cet effet, la mobilisation des connaissances sur leurs conditions de production est déterminante. Outre leur caractère souvent imprévisible, les passages à l'acte isolés, commis par des professionnels ou d'autres résidents, peuvent survenir sans que l'organisation de l'établissement soit nécessairement en cause, précise Marceline Gabel. S'agissant en revanche de la violence « ordinaire », les chercheurs ont mis en évidence différents mécanismes pouvant concourir à son apparition. Certains sont relatifs au mode d'intégration de l'établissement dans son environnement (fonctionnement autarcique, huis clos institutionnel) et à l'agencement de ses espaces et équipements internes. D'autres sont liés à l'organisation de l'institution :déficience du projet d'établissement et/ou du règlement de fonctionnement, carences de l'équipe de direction, déficit d'effectifs, plannings inadéquats, mauvaises conditions de travail, d'accompagnement et de préparation des personnels (en termes de qualifications, formation, définition des missions et des fonctions, coordination, circulation de l'information...). Soit autant de clignotants susceptibles d'alerter sur les risques à même de générer des conduites (collectives ou individuelles) inadaptées, même si la complexité des processus en jeu interdit le plus souvent d'inférer la maltraitance institutionnelle à une causalité unique.

Cette distinction entre la violence de l'institution et celle d'un membre de l'équipe ne manque pas de pertinence, souligne Stanislaw Tomkiewicz. « Elle est évidente en ce qui concerne les violences sexuelles : un pervers peut se glisser n'importe où et y sévir un certain temps avant d'être découvert », écrit-il (8). « Cependant, dans les institutions libres, où la parole circule, où les enfants ne vivent pas dans la peur, un tel individu ne fera pas long feu. La perversité et le sadisme restent, dans l'ensemble, minoritaires, même dans les institutions violentes. Plus souvent, un membre du personnel se livre à des violences physiques ou psychologiques par peur, par insécurité, ou encore par un sentiment de sa propre inutilité. » C'est le syndrome du « burn out »  - ce « ras-le-bol » entraînant aussi l'absentéisme, les maladies psychosomatiques, l'exaspération des professionnels et l'exacerbation des petits antagonismes entre les membres de l'équipe - qui crée une ambiance anti-thérapeutique et fait le lit de la violence, affirme Stanislaw Tomkiewicz.

« La relation éducative ou soignante est une relation de dépendance, et comme telle une relation à risque », explique Eliane Corbet, psychopédagogue, conseillère tech- nique au Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptée (CREAI) de Rhône-Alpes. Or, « de situation à risque, elle peut devenir à haut risque quand l'implication des acteurs (usagers et professionnels) est à la fois très importante et prolongée ». Ce qui est particulièrement le cas dans les organisations de suppléance familiale et dans les institutions accueillant des personnes extrêmement dépendantes. C'est pourquoi il est essentiel de soutenir les professionnels pour éviter la mise en place de mécanismes de défense pouvant être à la source de violences. Mieux traités, les professionnels seront mieux traitants, résume Françoise Busby. « Ils ont besoin de parler, de pouvoir dire que leur travail est difficile, que les vieux sont agressifs. Personne ne maltraite par plaisir, souligne-t-elle. Il faut repérer ce qui incite à devenir violent malgré soi. » Les professionnels, à cet égard, sont très demandeurs d'information et de formation.

La psychologie sociale a depuis longtemps démontré que « bien souvent, ce n'est pas tant la qualité de l'être qui détermine ses actes, que le genre de situation où il est placé », commente Marceline Gabel. C'est pourquoi une meilleure compréhension de la scène institutionnelle est riche d'enseignements. Lesquels sont aujourd'hui déclinés dans le cadre de formations aidant les intéressés à améliorer pratiques et fonctionnements.

Pour développer leur vigilance, les professionnels disposent également d'outils d'évaluation interne. Un important travail collectif a été orchestré au début des années 90 par le CREAI Rhône- Alpes (9). Pragmatique et adaptable à la diversité des contextes institutionnels, la grille de diagnostic proposée fonctionne comme un tableau de bord attirant l'attention sur les différentes dimensions de la prise en charge, afin de repérer si des pratiques dérivent - ou risquent de dériver - vers des actions violentes et/ou si le dispositif institutionnel est défaillant. En s'appuyant sur ces premiers travaux, l'Association nationale des CREAI a élaboré un Guide pour des interventions de qualité en institution   (10). Référentiel de « bonnes pratiques » - et non plus seulement de signaux d'alerte-, il permet d'examiner les indicateurs qui conditionnent et garantissent des prestations adaptées aux attentes et besoins des usagers.

Dans le même esprit, le bureau de la protection des personnes de la direction générale de l'action sociale  (DGAS) s'est assuré la collaboration d'experts qui travaillent depuis longtemps dans le champ de la violence institutionnelle pour produire des outils destinés aux autorités de tutelle (11). Ces « vade- mecum » détaillent les points critiques à interroger pour repérer les facteurs dont l'existence (ou la combinaison) est susceptible de menacer le bien-être physique ou moral des personnes accueillies- et l'exercice effectif des droits que leur garantit la loi. Au-delà des seules situations de crise, c'est bien une « clinique de l'inspection », sans caractère accusatoire mais tablant sur une relation de confiance et un dialogue continu avec les établissements, que la DGAS entend promouvoir (12).

Après le déni, puis l'observation et l'analyse des multiples formes de maltraitance institutionnelle, l'ambition des acteurs s'inscrit désormais dans une dynamique active de bientraitance - voire de « bénévolence », selon une formule de Marceline Gabel (13). Cet anglicisme, « plus fort que son analogue français “bienveillance” », explique- t-elle, « traduit l'attitude de qui est motivé par la volonté de rechercher le bien d'autrui. » C'est le versant positif et amplifié du principe hippocratique de non-nocivité : d'abord ne pas nuire, et si possible être utile aux personnes, petites ou grandes, que l'on a pour mission d'accueillir.

Caroline Helfter

DES INDICATEURS INQUIÉTANTS

Malgré son caractère très incomplet, le recensement des maltraitances institutionnelles que la direction générale de l'action sociale  (DGAS) a pu établir pour l'année 2001 - soit un total de 151 faits - permet de tirer quelques enseignements. Néanmoins, compte tenu de la rareté des situations repérées dans le secteur de l'aide sociale à l'enfance  (ASE) (9 cas) et dans celui des établissements et services pour personnes âgées (6 cas), sont envisagées uniquement, ci-dessous, les maltraitances concernant des enfants et des adultes handicapés (14) . Souci de signalement plus systématique ou exposition majeure aux risques de mauvais traitements ? Toujours est-il que neuf fois sur dix, les faits évoqués ont pour cadre les institutions ayant en charge ces usagers vulnérables. Sur les 136 actes recensés à leur encontre, les plus fréquemment signalés concernent des mineurs (87 faits, soit 64 % de ce total) au premier rang desquels ceux accueillis par des instituts médico-éducatifs, médico-pédagogiques et médico-professionnels : 53 signalements ont été effectués dans les établissements pour déficients intellectuels. Ils sont suivis par les instituts de rééducation  (IR)  - 22 cas -, puis par les établissements pour enfants handicapés moteurs (9 cas) et sensoriels (3 cas). S'agissant des adultes, la répartition des signalements est la suivante :23 faits concernent des centres d'aide par le travail (CAT), 17 des foyers d'hébergement (15) et 9 des maisons d'accueil spécialisées (MAS). Chez les mineurs handicapés et inadaptés, les violences sexuelles (accompagnées ou non d'autres brutalités physiques) sont de très loin les plus fréquemment signalées. Concernant des garçons en majorité (58 % des cas, toutes institutions confondues), elles représentent 75 % des faits signalés dans les établissements pour déficients intellectuels, 82 % en IR, 100 % parmi les handicapés moteurs et 67 % chez les déficients sensoriels. Nettement moindres au plan quantitatif, les violences physiques arrivent en second lieu. La DGAS dégage aussi quelques « évocations de maltraitance » - sans autres précisions. En revanche aucun acte n'est signalé comme relevant de « négligences graves », catégorie pourtant spécifiquement identifiée dans la typologie réalisée. Chez les adultes, comme parmi les enfants, les violences sexuelles sont de loin les maltraitances les plus souvent signalées (les plus vulnérables étant à cet égard les jeunes femmes)  : elles constituent 83 % des faits recensés en CAT et 71 % de ceux repérés dans les foyers. En revanche, sur le petit nombre de situations relatives aux MAS, les négligences graves et les violences physiques constituent, à égalité, les maltraitances les plus fréquentes (33 % dans chaque cas). Toutes maltraitances et institutions pour mineurs handicapés et inadaptés confondues, les agresseurs présumés des actes signalés sont six fois sur dix d'autres résidents. Quand les faits sont imputés à des professionnels, c'est majoritairement (62 %) le personnel éducatif, pédagogique et social qui se trouve incriminé. Dans les établissements et services pour adultes handicapés, en revanche, la situation est inversée. Ce ne sont pas les co-résidents mais les professionnels qui sont le plus souvent impliqués : ils constituent près des trois quarts (73 %) des auteurs présumés. Six fois sur dix, là aussi, les membres du personnel mis en cause appartiennent au secteur éducatif, pédagogique et social.

Notes

(1)  Egalement consultante à l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée de l'Observatoire de l'enfance en danger dont elle a piloté les activités jusqu'à l'an dernier.

(2)  Sachant que l'âge moyen des résidents en établissement est de 83 ans, si l'on rapporte les données 2001 d'Alma aux seuls effectifs de personnes âgées de 80 ans ou plus vivant chez elles (1 800 000) ou en institution (350 000) le taux de maltraitance ainsi dégagé est de 0,13 pour 1 000 au domicile et de 0,10 pour 1 000 en institution.

(3)  Voir ASH n° 2247 du 25-01-02.

(4)  Voir ASH n° 2276 du 13-09-02. Une deuxième ligne Alma-Handicap devrait être bientôt opérationnelle dans l'Isère.

(5)  Voir ASH, n° 2265 du 31-05-02 et n° 2274 du 30-08-02.

(6)  Fin 2002, environ un tiers des contrôles prévus ont déjà été effectués : 60 % des inspections ont eu lieu dans des établissements accueillant des enfants handicapés, 33 % dans des institutions pour adultes handicapés ou en situation d'exclusion  (CHRS) et 7 % dans des établissements pour personnes âgées. La teneur qualitative des constats effectués (dysfonctionnements et facteurs de risque identifiés) devrait être connue début 2003.

(7)  Comme cela a été prévu, dans le domaine de la protection de l'enfance, par une circulaire interministérielle du 10 janvier 2001.

(8)  In Enfances en danger, ouvrage collectif dirigé par M. Gabel et M. Manciaux - Ed. Fleurus - 2002 - 23 €.

(9)  Violences en institutions, deux livrets publiés en 1995 par le CREAI Rhône-Alpes : 46, rue du Président- Edouard-Herriot - 69002 Lyon - Tél. 04 72 77 60 60 - 5,50 € chacun.

(10)  Ancreai 1999 - 60  € - Ancreai : Zac Tournezy - Bâtiment A5 - 135, allée Sacha-Guitry - 34100 Montpellier - Tél. 04 67 69 25 03.

(11)  L'un d'entre eux, intitulé Prévenir, repérer et traiter les violences à l'encontre des enfants et des jeunes dans les institutions sociales et médico-sociales, a été publié par les éditions ENSP - 2001 - 14  €.

(12)  Voir « Les maltraitances institutionnelles », contribution de Michèle Créoff, inspectrice principale des affaires sanitaires et sociales au dossier « Maltraitances » publié par la revue du Haut Comité de la santé publique : ADSP n° 31 - Ed. La Documentation française - 2000 - 11,60  €.

(13)  In Bientraitances. Mieux traiter familles et professionnels, sous la direction de M. Gabel, F. Jésu et M. Manciaux - Ed. Fleurus - 2000 - 19,66 €.

(14)  Rappelons qu'aujourd'hui le secteur des enfants handicapés (et inadaptés) accueille près de 130 000 bénéficiaires et celui des adultes handicapés 202 000. De leur côté, les établissements relevant de l'ASE reçoivent plus de 52 000 enfants. Quant au secteur des personnes âgées, il compte environ 650 000 résidents.

(15)  Cet intitulé regroupe les foyers d'hébergement proprement dits, ainsi que les foyers de vie et les foyers à double tarification pour handicapés lourds.

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