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Recherchons professionnels qualifiés, désespérément

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Collectivités territoriales et associations peinent à recruter des travailleurs sociaux qualifiés et se heurtent à la baisse de la qualité du service qui en découle. Quelles stratégies possibles pour attirer les candidats et les fidéliser une fois en poste ? Deux exemples franciliens, avec le conseil général des Yvelines et l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfance et l'adolescence du Val-d'Oise.

Les analyses concordent. Pour Brigitte Desvalois, directrice adjointe de la direction de l'action sociale des Yvelines (DASDY)   (1), « le choix entre deux employeurs ne se fait pas tant sur des questions de rémunération que sur la dynamique de la structure, l'attractivité du projet ». Pour Bernard Fougère, depuis 12 ans directeur général de l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfance et l'adolescence du Val-d'Oise (ADSEA 95) (2), « il faut créer du désir chez les gens ». De fait, ces deux institutions ont compris qu'il fallait faire un véritable effort de séduction pour pourvoir leurs postes vacants depuis déjà plusieurs années.

La révolution est d'ailleurs copernicienne. « Pendant 30 ans, nous avons créé des postes, avec, en face, une stratégie de recrutement à peu près efficace, par le bouche à oreille, les petites annonces ou l'accueil de stagiaires. Nous sommes ainsi passés depuis le début des années 90 de 170 à 270 salariés, constate Bernard Fougère . Mais depuis au moins cinq ans, la situation relativement privilégiée dans laquelle nous étions de pouvoir choisir notre personnel s'est inversée. Aujourd'hui, ce sont les salariés qui choisissent leur employeur. » Corollaire de ce bouleversement, les postes vacants, d'une part, le restent longtemps dans l'association, qui en compte actuellement une petite dizaine. La tendance s'est d'abord vérifiée en prévention et dans les internats, mais elle s'étend aujourd'hui à tous les services, y compris au milieu ouvert. D'autre part, l'engagement pris par la Sauvegarde auprès de ses partenaires (département, justice...) de mettre en place des personnels diplômés se révèle depuis quelques années, « difficilement assumable », selon son directeur général...

« Cela fait trois ans que nous nous sommes mobilisés sur ces problèmes de recrutement, qui devenaient de plus en plus préoccupants sans que nous ayons vraiment de perspective », souligne de son côté Brigitte Desvalois. Le conseil général des Yvelines était d'autant plus concerné que les difficultés nationales se conjuguent, en Ile-de-France, avec une plus grande mobilité des professionnels, qui se dé- placent plus facilement d'un département à l'autre et aspirent assez souvent à partir en province. Par ailleurs, à la nécessité de recruter dans le cadre de la mise en place de la réduction du temps de travail, s'est ajoutée, pour cette collectivité, une démarche volontaire de « remise à niveau » des effectifs. Le département, très hétérogène du point de vue des caractéristiques sociales de sa population, a été divisé en 20  « espaces territoriaux », répertoriés en trois catégories - « favorisé », « défavorisé » et « intermédiaire » -, et des ratios en personnel social et médico- social adaptés à chaque type ont été établis. A l'issue de ce travail de diagnostic, certains « espaces » se sont ainsi vu renforcer de 10 à 15 postes. Au final, la mise en œuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie étant également passée par là, ce sont plus de 200 postes qui ont été créés en deux ans par la DASDY. Et environ... autant de pourvus, puisque le nombre de postes vacants, lui, est resté stable,  entre 50 et 70- principalement des assistants sociaux, des éducateurs spécialisés, des infirmières puéricultrices, des médecins et des cadres de l'action sociale - sur un total d'environ 1 300 agents. « La compensation a été très importante », se réjouit Brigitte Desvalois.

Pour aboutir à ce résultat, il a fallu multiplier les angles d'attaque. Etre plus attractif dans le contenu des annonces, en mettant en avant le projet d'action sociale du département. Le délai entre les entretiens de recrutement et les réponses apportées ont aussi été raccourcis, afin de limiter la déperdition des candidats. Le nombre de boursiers poursuivant des études d'assistant de service social ou d'infirmière puéricultrice a doublé : 30 nouvelles bourses sont désormais attribuées chaque année, en contrepartie d'un engagement de trois années au service du conseil général après l'obtention du di- plôme. Les liens avec les centres de formation - au- delà du seul Institut de formation sociale des Yvelines, qui dépend directement du conseil général - ont été renforcés. Une conseillère technique est ainsi chargée d'aller dans les écoles présenter le projet social de la collectivité, mais le poste est pour le moment... vacant. L'accueil de stagiaires a en outre été développé par une sensibilisation des cadres et des équipes qui, occupés à gérer la pénurie, avaient parfois tendance à se montrer réticents : le monitorat de stage a été valorisé par une prime mensuelle d'environ 100  € pour les professionnels acceptant cette tâche et l'accueil à plusieurs rendu possible. Ces mesures ont abouti au doublement du nombre de stagiaires accueillis, qui tourne actuellement autour de 160 par an. Le département s'est enfin lancé - de façon pionnière pour une collectivité territoriale - dans la formation d'une dizaine d'éducateurs spécialisés par la voie de l'apprentissage. « Les résultats en termes de recrutement ne sont pas certains car les apprentis ne sont pas tenus de travailler ensuite pour la collectivité, pas plus que les stagiaires. Mais il y a quelques chances qu'ils s'y plaisent et souhaitent y rester », estime Brigitte Desvalois.

C'est un pari du même ordre que la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val-d'Oise a fait. Bien sûr, l'association a aussi essayé de se montrer plus attractive dans ses annonces, notamment en affichant d'emblée une grande exigence vis-à-vis des candidats. « Ce choix a été assez payant, car l'image d'une institution sérieuse, qui n'embauche que des “bons”, a pu séduire. Mais cela ne marche plus vraiment aujourd'hui », commente son directeur. Parce qu'elle avait « le couteau dans le dos », selon l'expression de Bernard Fougère, l'ADSEA 95 s'est donc tournée vers une démarche de qualification des personnels éducatifs peu ou pas qualifiés venus pallier la défaillance des diplômés d'Etat. « On a recruté sur leur parcours de vie des gens qui dégageaient une personnalité pouvant “coller” au secteur, pleins de bonne volonté, mais dépourvus des outils nécessaires à la réussite d'un processus éducatif. » Aussi l'association a-t-elle, par exemple, mis l'accent sur la formation des personnels recrutés dans le cadre d'emplois-jeunes. Elle a aussi embauché des moniteurs-éducateurs en contrepartie de l'engagement de se présenter à des épreuves de sélection afin de préparer le diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé. Certains de ses salariés ont pu bénéficier d'un « training » de deux jours en vue des épreuves de sélection de cette formation à l'Ecole pratique du service social, à Cergy, ce qui a porté ses fruits puisque les quatre candidats de la Sauvegarde ont été reçus. Au total, une dizaine de personnes ont ainsi été formées ou sont en voie de l'être : éducateurs spécialisés ou techniques, moniteurs-éducateurs, animateurs titulaires du diplôme d'Etat relatif aux fonctions d'animation. Le tout financé, d'une part, grâce aux budgets libérés par la vacance de certains postes et, d'autre part, le cadre de la formation continue. « Nous nous appuyons sur le principe du “gagnant- gagnant”, insiste Bernard Fougère. Il faut que l'association et le candidat soient tous les deux bénéficiaires. Et nous faisons le pari que les gens vont vouloir continuer à travailler dans une structure qui les a conduits à une réussite professionnelle. » La Sauvegarde a, quant à elle, augmenté le ratio de diplômés parmi ses éducateurs en prévention spécialisée : 10 sur 40 environ il y a trois ans, ils sont aujourd'hui une vingtaine.

Autre préoccupation des employeurs, fidéliser les personnels travailleurs sociaux. Cela peut passer par leur responsabilisation. « Ici, ceux qui rédigent les rapports vont les défendre devant le juge. Ce n'est pas le cas partout », relève Bernard Fougère. Les conditions matérielles de travail ont aussi leur importance. Ainsi, dans les services de milieu ouvert, chaque travailleur social dispose d'une voiture de service, qu'il peut racheter au bout de cinq ans à un tarif privilégié. Le conseil général des Yvelines, de son côté, mise beaucoup sur l'accueil et l'accompagnement des jeunes professionnels, qui bénéficient, par exemple, d'un stage d'intégration de six jours. Une trentaine de cadres techniques sociaux et médico-sociaux comptent également leur accompagnement spécifique dans leurs missions. Et parmi les axes prioritaires du plan de formation, figure une formation complémentaire pour mieux préparer les débutants à la réalité du terrain.

« Malgré tout, 50 à 70 postes sont toujours vacants, déficit qui nous semble à peu près incompressible », regrette Brigitte Desvalois, qui remarque que la récente augmentation du nombre de places dans les centres de formation en travail social est restée très inférieure aux besoins... Et qu'en outre, « la plupart des écoles ne font pas le plein, en particulier pour les formations d'assistant de service social ». Alors, pour gérer cette pénurie structurelle, la DASDY a mis en place une vingtaine de postes de professionnels « volants » -assistants de service social, éducateurs spécialisés, infirmière puéricultrices, personnel administratif, et même un responsable d'espace territorial. Tous les six mois, elle fait le point des effectifs des différents espaces, compte les postes vacants ou en voie de le devenir, et examine le contexte du territoire afin d'assurer la meilleure réponse possible aux usagers en dépit de la vacance. « On étudie spécifiquement le cas : combien de postes manquants, la population est-elle défavorisée, nos partenaires locaux -communes, caisses d'allocations familiales, secteur associatif... -vont- ils nous relayer ? », explique la directrice adjointe. Et en fonction de la situation, des personnels volants peuvent être affectés, pendant une durée déterminée - six mois pour les personnels sociaux et médico- sociaux. « Ils rejoignent souvent des lieux où plusieurs postes ne sont pas pourvus et ne peuvent donc assumer la totalité des missions », précise Brigitte Desvalois. D'une façon générale, quelle que soit la solution retenue pour pallier la pénurie, elle n'est qu'un moindre mal. « Il est évident que la qualité du service rendu à la population diminue, reconnaît-elle. Si un seul poste est vacant, les habitants ne sont pas vraiment pénalisés. Mais si une vraie situation de crise s'installe sur plusieurs mois, ils trouvent moins d'écoute et de disponibilité. Certes l'accueil généraliste est toujours assuré, de même que les réponses d'urgence, la prévention des expulsions, la réaction aux situations de maltraitance... Mais l'accompagnement s'en ressent. »

La baisse de la qualité du service rendu aux usagers préoccupe également Bernard Fougère, qui l'attribue à la fois au manque de professionnels qualifiés et au passage aux 35 heures. « On travaille davantage à l'économie qu'il y a quelques années : on laisse de côté certains aspects des situations traitées, car on risque par exemple de réveiller une souffrance psychique plus lourde qui nécessitera un accompagnement plus lourd, lui aussi, que nous ne sommes pas en mesure d'assurer », explique le directeur de l'ADSEA 95. La pression des magistrats pour enfants dans le sens d'une réduction des durées de prise en charge renforce également cette tendance, dont personne n'a à se réjouir : « Vraisemblablement, regrette Bernard Fougère, nous laissons des équilibres familiaux plus précaires ».

Céline Gargoly

Notes

(1)  DASDY : 2, place André-Mignot - 78012 Versailles cedex - Tél. 01 39 07 78 78.

(2)  ADSEA 95 : 20, rue Lecharpentier - 95300 Pontoise - Tél. 01 30 38 10 66.

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