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Des juges issus du terrain

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Avant les élections prud'homales du 11 décembre, trois conseillers appartenant au secteur social ou médico- social témoignent. Deux siègent dans le collège des salariés, un dans celui des employeurs. Tous trois ont accompli un mandat et se représentent. Leurs expériences - recueillies séparément et rapprochées par la suite -ont au moins un point commun : elles rendent compte de conseils qui « marchent plutôt bien ».

Actualités sociales hebdomadaires : Commençons par les présentations...

Georges Brès : 48 ans, élu CGT au conseil de prud'hommes de Mende (Lozère)  ; par ailleurs moniteur-éducateur dans un foyer d'hébergement lié à un centre d'aide par le travail. Maïté Dugeay : 53 ans, conseillère CFDT à Rambouillet (Yvelines)  ;monitrice-éducatrice faisant fonction d'éducatrice spécialisée dans un foyer accueillant des adolescents en difficulté. Denis Thomas : 51 ans, élu dans le collège employeurs à Grenoble ; directeur général d'une association qui gère 23 établissements pour enfants et adultes handicapés intellectuels en Isère. Comment fonctionnent vos différents conseils ?

G. B. et D. T. : Bien, dans l'ensemble. M. D. : A Rambouillet aussi. Il y a une bonne ambiance de travail entre les conseillers, le greffe et le secrétariat. Nous trouvons sur place la documentation nécessaire et un soutien efficace. Nous nous entraidons également entre conseillers salariés plus ou moins expérimentés et même, à l'occasion, entre les différentes sections. La diversité des expériences est un enrichissement. Dans quels délais travaillez-vous, sachant que les jugements des prud'hommes interviennent, en moyenne nationale, dans les dix mois ?

D. T. : A Grenoble, la conciliation se déroule en général dans un délai de un mois, le jugement dans les huit mois. M. D. : A Rambouillet, il faut de un à deux mois pour une conciliation, sept mois en moyenne pour un jugement. Certaines affaires traînent plus longtemps, car nous devons d'abord attendre que le pénal se prononce si une plainte a été déposée en parallèle, par exemple dans les cas de licenciements pour violences. Mais, même dans les affaires simples, les reports sont trop fréquents du fait des parties, qui ne se présentent pas à l'audience, ou qui n'ont pas fourni à temps les pièces demandées, ou qui ont changé de conseil au dernier moment. Il est arrivé que nous nous déplacions pour une seule affaire, alors que d'autres dossiers auraient pu être inscrits au rôle ce jour-là. Nous essayons d'améliorer les choses et d'obtenir le respect des délais et des décisions. G. B. : A Mende, nous avons décidé de juger le plus rapidement possible, surtout pour les cas de licenciements. Nous avons accéléré le rythme des audiences, jusqu'à une par semaine, autant que de besoin. Quitte à nous faire tirer les oreilles par la cour d'appel de Nîmes parce que nous dépassons les budgets ! Mais les affaires sont réglées en trois ou quatre mois. C'est mieux pour les justiciables. La première phase de conciliation, obligatoire, aboutit-elle souvent ?

G. B. : Dans notre section, une dizaine d'affaires font l'objet d'une conciliation chaque année, pour une soixantaine qui vont en jugement. La conciliation est de plus en plus difficile à obtenir, souvent parce que les employeurs s'y refusent. Cette phase apparaît parfois comme un moment d'explicitation des plaintes plus que d'arrangement entre les parties. D. T. : A Grenoble, nous avons une véritable culture de la conciliation. Nous l'obtenons dans une ou deux affaires sur cinq, ce qui n'est pas mal. Il est parfois vital de rapprocher les parties, car une condamnation peut aussi menacer l'existence même de l'entreprise. Avec l'expérience, on sent bien le genre de dossier sur lequel on peut obtenir une conciliation - quand il est question de primes ou de congés non payés, par exemple - et ceux où il n'y a aucune chance, comme les affaires de licenciements où beaucoup de rancœurs se sont accumulées. Chaque fois, il faut que les personnes puissent s'exprimer et se faire entendre. M. D. : A raison de quatre ou cinq affaires inscrites par séance de conciliation, nous prenons le temps d'examiner les dossiers à fond. Si nécessaire, nous prenons aussi immédiatement des ordonnances exécutoires, par exemple quand un salarié réclame des bulletins de salaire ou le formulaire indispensable pour qu'il puisse s'inscrire aux Assedic. Nous essayons de faire en sorte que, même si elle n'aboutit pas, la séance soit utile à l'avancée du dossier. Les affaires vous sont attribuées au hasard, selon le tour de rôle. Or la section des activités diverses rassemble, par définition, des secteurs fort variés...

M. D. : Parmi les conseillers également, les professions sont très diverses. A Rambouillet, le secteur social est majoritaire, mais nous siégeons aussi, côté employeurs, avec un traiteur, un expert-comptable... D. T. : Chez nous, il y a un dentiste, un notaire, un ambulancier... Nous traitons effectivement d'affaires relevant d'un très grand nombre de conventions collectives. Nous devons trancher des conflits dans le milieu du spectacle, dans les associations sportives, caritatives, cultuelles... M. D. : Nous avons aussi beaucoup d'affaires touchant les employés de maison et les gardiens d'immeubles. Et puis des litiges dans des cabinets comptables... G. B. : ... ou dentaires ou d'architectes. Cela dit, c'est le secteur sanitaire et social qui, chez nous, est l'employeur le plus important et fournit le gros du contentieux. Quels sont les principaux litiges dans le secteur social et médico-social ?

G. B. : Les lois Aubry et la loi de modernisation sociale nous ont fourni bien du travail ! La législation bouge beaucoup, elle est de plus en plus compliquée, même les syndicats sont un peu dépassés. M. D. : Sûr que la loi Aubry II ne nous a pas aidés ! G. B. : En ce moment, nous avons beaucoup d'affaires à propos des heures supplémentaires et du paiement de la 36e à la 39e heure. Le nombre de dossiers touchant aux contrats à durée déterminée, à temps partiel... est aussi en augmentation. Certaines conventions collectives n'abordent pas des points de détail comme, dans la 66, celui des contrats des candidats élèves ou des contrats à durée indéterminée à terme fixe. L'une de nos décisions a fait sur ce point jurisprudence. D. T. : Effectivement, beaucoup de litiges concernent le temps de travail, ses dépassements, les moyens de justifier l'horaire réel du salarié... M. D. : ... les heures de nuit, les heures d'équivalence. Et puis, il y a toutes les affaires prud'homales classiques de licenciements, avec les motifs avoués comme le vol ou la négligence, et les motifs déguisés sous des licenciements économiques. Nous voyons aussi arriver des dossiers d'un nouveau genre, comme ceux qui ont trait à un usage personnel ou détourné de l'Internet. G. B. : Certaines petites associations ignorent l'existence des conventions collectives et même du code du travail ! M. D. : En effet, le droit du travail est souvent malmené par méconnaissance. Mais pas seulement dans les toutes petites structures. Certes, les organismes plus importants font appel à des conseillers juridiques et soignent plus les formes. Mais même l'expérience d'un précédent passage aux prud'hommes ne sert pas toujours. Nous avons des abonnés ! D. T. : Une affaire sur dix relève de patrons qui se croient encore en 1900. De gens qui créent leur entreprise sans investissement et s'improvisent employeurs. Ou qui « jettent les salariés comme des Kleenex », comme disent les syndicats.

Il y a aussi des affaires moins caricaturales mais difficiles à défendre tellement le dossier présente des failles. Si l'on peut donner un conseil aux employeurs, c'est de prendre en amont de bons conseillers juridiques et de pratiquer une bonne gestion sociale plutôt que de se retrouver devant les prud'hommes.

G. B. : Il n'y a pas assez de négociations dans les établissements, les syndicats ont trop peu de poids. C'est ainsi que beaucoup de questions finissent devant le juge. L'accord est-il difficile à trouver entre conseillers employeurs et salariés ?

M. D. : A Rambouillet, les relations sont relativement bonnes. Nous avons des conflits, comme partout. Mais on les règle en délibéré. G. B. : Cela dépend des cas. Ça se passe bien tant que les affaires sont peu importantes. Globalement les relations restent très civiles, mais il y a parfois des empoignades. Alors, nous allons en départage. Nous y allons plus souvent dans l'action sociale. D. T. : Nous devons essayer de comprendre le point de vue des uns et des autres, juger en droit avant tout, mais en se rappelant pourquoi on est là. M. D. : Je me suis surtout battue pour que l'on ne se contente pas de ce qui se dit à l'audience, pour que l'on aille vérifier dans le dossier. Par exemple, dans le cas d'un licenciement pour faute grave, il faut tenir compte des circonstances, fouiller un peu le contexte. Certains conseillers trouvaient toujours qu'ils en avaient assez entendu à la barre. Nous sommes allés plusieurs fois en départage là-dessus, même si ce n'est pas forcément la meilleure solution. G. B. : C'est vrai qu'on est dans l'oralité et que les quatre conseillers n'ont pas toujours entendu la même chose. Alors il faut se reporter au dossier mais aussi aux minutes du greffe. M. D. : Quelquefois, il y a de quoi râler parce que le dossier n'est pas assez étayé, ou que la demande est mal ajustée. A demander trop (par exemple tel coefficient dans la classification alors qu'on n'a pas le diplôme requis), on n'obtient rien alors qu'on aurait pu quand même avoir quelque chose. Il y a des salariés mal conseillés et des avocats qui devraient apprendre à se reporter, eux aussi, à la convention collective ! G. B. : Il est également très important que les débats ne sortent pas de l'enceinte du tribunal. Nous sommes magistrats et tenus au secret. Tous les conseillers doivent pouvoir, en droit et en conscience, prendre une décision allant à l'encontre de la demande, qu'elle émane de l'employeur ou du salarié. C'est d'autant plus vital dans un petit département comme la Lozère où tout le monde se connaît.

TOUT CE QUI A TRAIT AU CONTRAT DE TRAVAIL

Juges non professionnels élus directement par leurs pairs - en deux collèges : salariés et employeurs -, les conseillers prud'homaux sont compétents pour trancher les litiges individuels liés aux contrats de travail du secteur privé. Les conseils sont organisés en cinq sections :industrie, commerce, agriculture, activités diverses et encadrement. Les salariés du secteur social relèvent des deux dernières. En 2001, 166 000 décisions ont été rendues par les 271 conseils de prud'hommes, qui ont aussi traité 47 000 demandes en référé. En moyenne, 10 % des litiges sont réglés en conciliation. 10 % des dossiers vont en départage (avec un cinquième magistrat- professionnel - lorsque les quatre conseillers élus n'arrivent pas à une décision majoritaire). La moitié des jugements sont portés en appel et ils sont alors confirmés dans 70 % des cas.98 % des procédures sont initiées par les salariés et le jugement leur est favorable dans plus de 80 %des affaires. L'appel à un avocat n'est pas obligatoire. L'aide juridictionnelle est possible.

Délibérez-vous tout de suite après l'audience ou prenez-vous le temps de la réflexion ?

G. B. : Nous avons rarement le temps de délibérer immédiatement, ne serait-ce que parce que nous devons souvent, employeurs comme salariés, reprendre le travail dans la foulée. Nos séances de délibéré peuvent durer de deux à douze heures et nous ne nous amusons pas ! D. T. : Il nous arrive de délibérer tout de suite, mais c'est impossible quand il faut examiner de cinq à huit affaires par audience. Nous nous revoyons alors pour délibérer et c'est le président qui rédige le jugement. M. D. : Nous avons décidé de ne jamais délibérer immédiatement, mais dans la semaine ou la quinzaine qui suit. Les parties sont informées de la date à laquelle la décision sera rendue.

Il faut aussi prendre le temps nécessaire - dans mon cas, souvent cinq heures par jugement - pour bien rédiger, être précis, argumenté, si l'on ne veut pas se faire désavouer en appel. C'est blessant, surtout pour des erreurs qu'on aurait pu ne pas commettre !Avec le temps, on apprend à éviter ce genre de mésaventure.

Avant votre première élection, aviez-vous une formation vous préparant aux fonctions prud'homales ?

G. B. : Je n'avais aucune formation juridique si ce n'est celle que l'on acquiert en étant délégué du personnel puis responsable syndical. J'avoue que je n'avais pas d'attirance spontanée pour cette matière. Mais l'on y vient, parce que c'est avant tout une affaire de contact avec les gens, et que l'on obtient des résultats. Maintenant, je dois aimer ça... De toute façon, les nouveaux candidats ne se bousculent pas au portillon. M. D. : Avant d'être candidate, j'avais eu quelques sessions de formation. J'en ai suivi plus encore en cours de mandat, sur les spécificités prud'homales, la procédure, le référé, etc. C'est indispensable. Au bout de cinq ans, je me sens plus opérationnelle, j'ai surtout moins peur. Les premières années, j'ai refusé de présider les audiences, je voulais d'abord faire mes preuves en tant qu'assesseur. Mais, même avec un peu d'expérience, il faut toujours retourner aux textes et continuer à se former, se tenir au courant des évolutions, lire au moins une revue spécialisée, la presse syndicale… G. B. : ... et les ASH. D. T. : Pour ma part, j'avais une formation juridique, et j'étais déjà passé devant les prud'hommes en tant qu'employeur ! Mais la formation tout au long du mandat est très importante, pas seulement au plan strictement juridique. Il faut aussi apprendre à délibérer et à argumenter face à des conseillers de l'autre collège qui tiennent la route. La pratique vous a-t-elle fait évoluer ?

D. T. : C'est toujours intéressant de sortir de sa propre entreprise, de voir ce qui se passe ailleurs, de s'interroger sur les textes. C'est aussi gratifiant de pouvoir, en tant que magistrat, faire un peu évoluer la jurisprudence. M. D. : Etre conseiller prud'homal coûte beaucoup de temps et d'énergie, mais cela donne aussi une grande ouverture. On apprend à relativiser, à prendre du recul, à rester calme dans des débats parfois éprouvants, à gérer des frustrations, car si l'on grimpe parfois de petites collines, on fait rarement monts et merveilles !

Cela dit, c'est vrai que nous participons aussi, un peu, à l'écriture du droit et à l'évolution des mentalités et que c'est satisfaisant. Je pense, par exemple, à des avancées sur le licenciement en cas de maladie grave. Même si une absence de longue durée peut mettre en difficulté une petite entreprise, il y a d'autres recours que le licenciement, le remplacement par un CDD par exemple. Là-dessus, nous devons lutter contre le texte de certaines conventions collectives, qui autorisent le licenciement au bout de six mois. Pour le salarié, c'est la totale : non seulement il a un cancer, mais en plus, on le prive d'emploi et d'espoir de retour !

Dans notre conseil, nous avons aussi fait progresser l'exécution provisoire des décisions (sans attendre l'issue d'un éventuel appel) et obtenu un accord tacite des employeurs pour mieux prendre en compte les frais engagés pour la procédure.

Vos activités prud'homales vous prennent beaucoup de temps. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

G. B. : Oui, car c'est une justice peu coûteuse, accessible, efficace. M. D. : Même si l'on ne gagne pas toujours, j'ai l'impression de participer à la défense des salariés. D. T. : L'institution prud'homale mérite d'être soutenue, car les conseillers y jugent en droit, mais avec une bonne connaissance du terrain. C'est irremplaçable.

Propos recueillis par Marie-Jo Maerel

UN TEST DE REPRÉSENTATIVITÉ POUR LES SYNDICATS

Près de 17 millions d'électeurs du secteur privé (16 millions de salariés et chômeurs d'une part, 770 000 employeurs et cadres dirigeants d'autre part) sont appelés, le 11 décembre, à élire - à la proportionnelle et à la plus forte moyenne - quelque 14 600 conseillers prud'homaux pour cinq ans.

Seules les organisations syndicales peuvent présenter des candidats. Côté salariés, la CGT (33,1 %des voix en 1997), la CFDT (25,3 %) et Force ouvrière (20,6 %) ont des listes dans toutes les sections (soit 1 273)  ; la CFTC (7,5 %) et la CFE-CGC (5,9 %) presque autant. Ces cinq confédérations, jugées représentatives au plan national depuis 1966, ont bénéficié de subventions publiques pour la campagne. Plus récentes, l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) et l'Union nationale-G 10 Solidaires ont constitué respectivement 888 et 180 listes. Le résultat sera évidemment un bon indicateur du poids respectif de chacune dans le secteur privé. L'enjeu est d'autant plus important, cette fois, qu'il est question de modifier les règles de la représentativité, et le droit qui lui est associé de négocier des accords et de siéger dans de nombreuses instances.

Dans le collège patronal, à côté de la liste d'union traditionnelle entre le Medef, la CGPME, l'UPA, l'UNAPL et la FNSEA, 25 syndicats regroupés dans l'Association des employeurs de l'économie sociale présentent cette fois 150 listes, la plupart dans la section des activités diverses (1).

Seuls 34 % des salariés et 21 % des employeurs se sont prononcés en 1997. Le vote par correspondance a été facilité cette année. Le chiffre de la participation sera le premier résultat commenté le soir du 11 décembre.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2283 du 1-11-02.

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