Pourquoi le droit au logement n'est-il toujours pas mis en œuvre ? Quelles sont les causes de ce blocage ? Et comment les combattre ? L'examen de ces questions est au centre du 8e rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (1), qui devait être remis le 5 décembre à Jacques Chirac.
Les indices d'une situation de crise sont nombreux, qu'ils soient statistiques - le mal-logement toucherait plus de trois millions de personnes, selon l'INSEE - ou qu'ils émanent des témoignages des acteurs de terrain. Ainsi, les associations assurent de plus en plus difficilement la sortie des structures d'hébergement vers le logement ordinaire, ce qui d'ailleurs remet en cause « le travail social accompli pendant la durée du séjour, qui n'a de sens que si les ménages aptes à quitter la structure collective trouvent effectivement à se loger », relève l'institution. Les squats collectifs, de plus, se développent, de même que les occupations illégales de terrains privés ou publics par les gens du voyage - en attendant l'aménagement des aires prévues par la loi - ou encore les « campements-bidonvilles », le plus souvent le fait de demandeurs d'asile.
Cette crise présente en outre « des caractéristiques nouvelles », insiste le Haut Comité. Sur certains territoires, « sinistrés », les difficultés de logement « touchent une population beaucoup plus large que les publics économiquement défavorisés ». C'est le cas par exemple de toute l'agglomération parisienne. La cohésion sociale, de plus, est mise en péril, du fait de la « situation de concurrence pour l'attribution des logements sociaux » dans laquelle se retrouvent d'un côté les plus démunis, très souvent les ménages immigrés - premières victimes de cette crise - et, de l'autre, les ménages de salariés aux revenus insuffisants pour accéder à la propriété ou au locatif privé. Enfin, « l'Etat de droit est mis à mal », constate le Haut Comité, en particulier « lorsque les pouvoirs publics en arrivent à avouer leur impuissance à faire respecter le droit de propriété, faute de capacité à mettre en œuvre le droit au logement ».
A cette situation de crise, deux causes principales. En premier lieu, la pénurie de logements accessibles aux populations à revenus modestes. La production de logements HLM, notamment, est très insuffisante, les organismes peinant à construire de nouveaux programmes. « Les financements apportés par l'Etat au cours des dernières années n'ont été que partiellement consommés », parce que, notent en substance les membres de l'institution, les différentes aides (subventions, incitations fiscales, aides de taux) ne suffisent plus à assurer l'équilibre financier des opérations, désormais impossible sans les subventions complémentaires des collectivités locales. Autre cause de blocage, une crise du « vivre ensemble », illustrée par les réactions de rejet chaque fois qu'il s'agit de construire des logements sociaux, d'ouvrir des structures d'hébergement ou d'aménager des aires d'accueil pour les gens du voyage. Le rapport pointe le développement d'un « protectionnisme communal par lequel les élus ne font que relayer les peurs et la montée de l'individualisme de la population ».
L'ensemble de ces constats conduit le Haut Comité à reconnaître que « les outils issus de la loi Besson du 31 mai 1990, basés sur le partenariat et le volontariat des acteurs, trouvent leurs limites » et à appeler au franchissement d'une « nouvelle étape dans la construction du droit au logement ». D'une obligation de moyens, il faut passer à une obligation de résultats. Le droit au logement doit ainsi être rendu juridiquement opposable, ce qui « nécessitera une loi établissant de façon claire [son] contenu [...] ainsi que les voies de recours des citoyens ». Il convient en outre de décentraliser la responsabilité de sa mise en œuvre : les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont, selon l'institution, les « collectivités pertinentes » pour « identifier les besoins et conduire les politiques adaptées » et donc recevoir cette délégation de l'Etat. Celui-ci « ne peut cependant pas échapper à une obligation de régulation » - pour les besoins dépassant la dimension locale ou régionale, comme l'accueil des demandeurs d'asile - et « à l'exercice d'un droit de regard ».
Outre la non-remise en cause de l'obligation de rattrapage imposée aux communes urbaines disposant de moins de 20 % de logements sociaux, le Haut Comité demande le développement de la sécurisation de l'accès au logement. Il s'agit, d'une part, de « garantir le pouvoir solvabilisateur des aides à la personne » en comblant progressivement leurs failles (mois de carence, faible réactivité au changement...) et en les indexant immédiatement sur l'indice de référence de l'évolution des loyers. D'autre part d'harmoniser et de développer les systèmes de garantie tels les fonds de solidarité logement (FSL) et le Locapass. Ces derniers devraient être complétés par des mécanismes assurantiels, dont le financement reposerait en partie sur des cotisations des locataires et des propriétaires et en partie sur une aide de l'Etat. L'accompagnement social réalisé par des associations missionnées par les FSL doit enfin être développé et assoupli, afin de pouvoir être suffisamment prolongé ou mis en place en cours de bail lorsque surviennent des difficultés qui n'avaient pas été détectées à l'entrée dans les lieux. Le rapport prône parallèlement « une réflexion spécifique sur les modalités d'accès au logement et d'accompagnement des malades relevant d'un suivi psychiatrique ».
Par ailleurs, dans le cadre du suivi de l'application du volet logement de la loi contre les exclusions, le Haut Comité propose des mesures pour améliorer la prévention des expulsions. Il recommande notamment le transfert aux FSL de la décision de maintien de l'aide personnalisée au logement et des allocations de logement, ce qui entraînerait la suppression de la section des aides publiques du conseil départemental de l'habitat (SDAPL) et supposerait l'attribution de leurs moyens aux FSL. « La valeur ajoutée effectivement apportée » par les SDAPL dans le processus de prévention « est aujourd'hui loin du compte », relève le rapport.
En matière de lutte contre le saturnisme infantile, l'institution, s'étonnant qu'aucun signalement médical n'ait été enregistré dans 80 %des départements, préconise que soit menée sur l'ensemble du territoire une démarche de formation et d'information des médecins à la maladie, avec des actions plus spécifiques en direction des PMI et de la médecine scolaire. Parmi ses autres propositions, figure la généralisation du travail de prévention sanitaire auprès de l'ensemble des familles d'un immeuble dès qu'un cas y est détecté.
C.G.
(1) « Vers un droit au logement opposable » - 8e rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées : 38, rue Liancourt - 75014 Paris - Tél. 01 40 64 49 33.