« Il est récemment paru un ouvrage censé dénoncer pêle-mêle la gabegie des fonds publics consacrés à l'aide aux personnes handicapées et l'exploitation de ces dernières dans des établissements où elles seraient traitées comme des esclaves, les associations gestionnaires étant la cible principale de l'auteur.
On serait tenté, à la lecture de cette charge contre le système de prise en compte des personnes handicapées, de réagir point par point, en combattant argument contre argument ce qui d'évidence relève d'une accumulation de contre- vérités.
Ce serait entrer dans le jeu de l'auteur de L'enquête interdite : la vérité ne l'intéresse pas. Son propos est uniquement destiné à produire de la haine contre une société qui consacre, en effet, beaucoup d'argent pour des personnes peu ou pas aptes à faire face de façon autonome à la conduite de leur vie.
D'où vient ce discours ? Il est bien connu :c'est celui d'une idéologie qui a fait des ravages dans l'Histoire et dont la menace a ressurgi le 21 avril... Comment fonctionne-t-il ? Par une rhétorique éculée mais efficace : le simplisme, l'appel à la vindicte contre une catégorie de personnes boucs émissaires des maux de l'ensemble de la société, l'insulte, l'amalgame et la manipulation, le tout sous couvert de références pseudo-scientifiques.
On sait ce qu'il en fut des personnes handicapées sous le régime nazi et, en France, sous l'Etat de Vichy, avec les dizaines de milliers de victimes qu'ils produisirent.
On sait également que l'on mesure l'état d'une démocratie à sa capacité de mobilisation en faveur de tous ceux qui, pour quelque raison que ce soit, sont en danger d'exclusion du champ social, à sa capacité de mettre en œuvre des politiques sociales visant à ne laisser personne au bord du chemin, sans retour direct “sur investissement”.
Ce livre n'est pas une contribution à repenser - ce qui pourrait s'entendre - les politiques en faveur des personnes handicapées. Il est la partie la plus brutale de l'idéologie libérale du tout-marché visant à confier la sécurité sociale aux groupes d'assurances, à faire entrer les mutuelles dans le giron du marché, visant aussi à réduire le service public et ses délégations aux associations à leur plus simple expression en diminuant les budgets sociaux et d'éducation.
On peut s'étonner de l'écho qu'a provoqué ce livre. Non pas au titre de la naturelle démarche d'information, mais de la quasi-absence de critique qui l'accompagne. Comme si le prétendu scandale primait sur la véracité du contenu !
L'odieux de ces pages n'est pas seulement le mépris pour les personnes handicapées (les “quasimodo” ), l'offense et l'injure pour les parents, les associations et leurs professionnels (tous “négriers des temps modernes” ). Il est encore plus, par la rhétorique du discours, dans le venin qu'il instille pernicieusement dans notre société, rajoutant insidieusement une couche au ferment de la haine et de l'exclusion.
Alors, militants et professionnels de l'action sociale doivent tirer la leçon : les personnes handicapées et leur système de couverture sont aujourd'hui l'objet d'un enjeu idéologique, comme le sont les immigrés et l'insécurité. L'action sociale devient une question politique qui alimente l'argumentaire des adversaires de la démocratie, et c'est sur ce plan qu'il est impératif de se mobi- liser. »
Henri Grechez et Louis Marzo Président et directeur général de l'Adapei de la Haute-Garonne : 24, boulevard Riquet 31015 Toulouse cedex 6 Tél :05 34 41 38 70.
(1) L'enquête interdite. Handicapés : le scandale humain et financier - Ed. Le Cherche-midi - Novembre 2002. Voir ASH n° 2285 du 15-11-02.