Recevoir la newsletter

Casser des parcours de rupture

Article réservé aux abonnés

Au centre hospitalier Sainte-Marie de Nice, une structure à la fois thérapeutique et éducative accueille des mineurs en grande difficulté. Le temps d'une hospitalisation, les différents acteurs élaborent un projet d'orientation autour de l'adolescent.

Les visages sont attentifs, l'atmosphère détendue malgré la fatigue lisible sur certains traits. L'équipe de la structure intersectorielle de prise en charge pour adolescents difficiles (Sipad)   (1) de Nice est rassemblée dans le bureau de son responsable, Pierre Giordano, psychiatre. Sans hâte, mais de la façon la plus complète possible, assistante sociale, médecin, psychologue, éducatrice, infirmière, enseignante passent en revue, comme chaque semaine, chacun des adolescents hospitalisés. Comportement, évolution des relations avec les autres, pistes pour une prochaine orientation vers un lieu de vie ou une famille d'accueil, chacun livre tour à tour ses réflexions, apporte son témoignage. Ou s'interroge sur d'éventuels troubles psychiques, une agressivité accrue, allant parfois rechercher des éléments d'appréciation dans une histoire familiale et sociale extrêmement complexe.

Agés de 12 à 19 ans, les adolescents hospitalisés ici, garçons ou filles, sont en grande difficulté. Une majorité ne vit plus dans son milieu familial depuis longtemps ; ils ont pour la plupart connu un parcours chaotique, avec des ruptures répétées et une carence affective précoce et durable. Ces jeunes ont une scolarité perturbée et, pour la moitié d'entre eux, sont complètement déscolarisés depuis plusieurs mois, voire des années. Ils sont parfois en errance et, dans tous les cas, en souffrance psychi-que. « Lorsqu'ils arrivent, observe Pierre Giordano, ils sont déjà devenus délinquants, avec des comportements violents, auto- ou hétéro-agressifs répétés. L'hospitalisation dans nos murs est conçue comme un temps d'arrêt à l'escalade en général délinquante sous-tendue par des troubles psychiques. » Il s'agit pour les professionnels de casser ces parcours de rupture. Pour Louis Roure, médecin psychiatre (2), l'important - et c'est la vocation première de la Sipad - est « de cesser de considérer que ces adolescents sont irrécupérables pour dire qu'ils sont récupérables. De casser le processus de la patate chaude. »

Située dans un espace un peu excentré de l'hôpital, la Sipad comporte 12 lits d'hospitalisation à temps plein. Des chambres individuelles, réparties le long d'un couloir sur deux étages. Dans certaines d'entre elles, les murs sont restés vides ; d'autres occupants ont affiché posters, photos, dessins. L'entrée des adolescents - 15 ans en moyenne - se fait soit dans le cadre d'un placement judiciaire (40 % des jeunes sont sous ordonnance de placement provisoire), soit à la demande des parents (pour 60 %). La plupart du temps, venir ici est donc une contrainte. Et c'est en pleine situation de crise qu'ils arrivent.

D'où l'importance de l'accueil, dont se chargent, selon une procédure très codifiée et cependant adaptée à chaque personne, les infirmiers. Passée la porte de la Sipad fermée à double tour derrière lui, l'adolescent se voit présenter la structure et son règlement. Une procédure d'accueil personnalisée « en fonction des personnes présentes, parents, intervenants socio-éducatifs, du jeune et de ses réactions », précise un infirmier. « L'équipe infirmière, ajoute le psychologue Jean-Baptiste Saragossi, est porte- parole du cadre et des règles car c'est elle qui est présente au quotidien auprès de l'adolescent. Ce moment est important, on va fixer avec lui les règles qui vont lui permettre de bien vivre. » Ce souci de l'accueil reste présent pendant la durée du séjour. C'est une question d'ambiance : dans un service hospitalier fermé, elle doit rester supportable pour les adolescents et les personnels. Ces derniers doivent en effet pouvoir faire face à une tension quasi permanente, aux fugues, aux tentatives de suicide, aux violences verbales et physiques. Un psychologue extérieur intervient d'ailleurs tous les 15 jours auprès des personnels non médicaux pour des séances- visiblement appréciées - d'analyse des pratiques.

Un bilan médico-éducatif complet

Le passage dans l'unité - conçu comme la prise en charge globale d'un citoyen en souffrance psychique -, fonctionne en trois phases. A l'accueil succède l'évaluation, à laquelle sont consacrés les 15 premiers jours. Le mineur est en effet confié à la structure pour un bilan médico-éducatif qui doit aider à élaborer un projet à la fois thérapeutique et socio-éducatif. Un bilan complet (psychologique, psychiatrique, psychomoteur, social, éducatif, scolaire et comportemental) est réalisé « avec le souci de ne pas figer des jeunes dans des diagnostics trop précoces. En termes d'évaluation, on se veut le plus pointu possible, sachant la spécificité et la complexité des problématiques adolescentes », précise Pierre Giordano. Tout au long du séjour, différentes activités sont proposées. Elles permettent d'observer le jeune et d'affiner l'évaluation, mais aussi de contenir son agressivité ou son hyperactivité. Il peut s'agir d'activités internes, comme la danse ou l'ergothérapie. La Sipad dispose ainsi d'une vaste salle de sport, d'un espace commun, d'un lieu réservé à l'activité scolaire (assurée par l'enseignante spécialisée et les bénévoles d'une association de soutien scolaire), et d'une terrasse-jardin entourée de hautes grilles. Des activités de pleine nature, dont certaines correspondent à une mise en situation à risque contrôlé (canyoning, karting, via ferrata, etc.) permettent également d'évaluer d'éventuelles modifications relationnelles et comportementales des jeunes.

Tout tend vers un objectif : élaborer un projet à la fois thérapeutique et éducatif autour de l'adolescent, permettant l'orientation et la mise en route de prises en charge concertées. C'est le principe de transversalité - travail en réseau, en partenariat, en amont et en aval - qu'utilise cette association du soin et de l'action éducative. Un partenariat, d'abord, entre l'hôpital et la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a présidé à la création de la structure, et qui s'est élargi depuis (3). Car la présence au quotidien de deux éducatrices détachées de la PJJ constitue l'une des particularités de la Sipad. Elles font partie de l'équipe, apportant une dimension technique et relationnelle. Chargées notamment de faire le lien avec les intervenants qui suivent le jeune, elles sont également présentes lors des activités.

A la complémentarité des professionnels s'ajoute le fonctionnement transversal de la Sipad. En amont, celle-ci peut être interpellée par une structure pour un avis concernant un jeune. Un médecin psychiatre est d'ailleurs spécialement affecté à cette dimension extérieure du travail, assisté des soignants et d'autres personnels de la Sipad - assistante sociale, éducatrice PJJ - détachés pour ce type de travail. Ces consultations, en présence ou non du jeune, aident éventuellement un service éducatif à répondre à des situations de crise ou à négocier une prise en charge par une autre structure. Cette volonté de rapprochement entre équipe psychiatrique et équipe éducative peut permettre d'éviter des passages à l'acte trop violents, une hospitalisation ou une réhospitalisation. Et s'il y a hospitalisation, même si elle est conçue comme un séjour de rupture, elle se fait dans la continuité des différents acteurs. Ainsi, l'équipe éducative qui suit le jeune est associée au travail mené par la Sipad. « Ces interventions, estime Pierre Giordano, permettent de modifier les relations entre le champ éducatif et le champ psychiatrique. Un projet de convention entre la Sipad et deux foyers devrait d'ailleurs formaliser ce type de travail, qui nous permet d'avoir de meilleures possibilités d'hébergement après la sortie. Car c'est bien là notre problème : où vont-ils à la sortie ? »

La durée moyenne d'hospitalisation (environ un mois) est rarement tenue du fait des réelles difficultés pour orienter ces jeunes. « On reçoit des gens en bout de course, dont plus personne ne veut, et il est rare qu'en un mois l'opinion de l'extérieur ait changé », observe Pierre Giordano. « Alors, on se donne un mois en théorie, mais on sait bien que la situation de ces adolescents, dont la prise en charge institutionnelle est bloquée, est très difficile à résoudre dans ce laps de temps. » Avant leur arrivée, plus de la moitié des adolescents sont déjà en institution. A leur sortie, il est rarissime qu'ils retournent dans leur famille. La réinsertion scolaire ou la formation professionnelle sont toujours tentées, avec difficulté. L'institution accueillante prend le relais en ce qui concerne le suivi éducatif, mais la Sipad reste à sa disposition, assurant un soutien et des interventions au sein de la structure d'accueil en cas de difficulté. « On n'est pas Zorro. Mais on peut essayer d'apporter une aide aux enfants qu'on nous confie, et aux personnels qui les suivent », estime Danielle Lessatini, cadre infirmier.

Quant au suivi thérapeutique, il prend la forme de consultations externes à l'hôpital, ou à la demande du jeune en centre médico-psychologique. « On est en train d'essayer d'ouvrir un centre de consultation pour adolescents, en ville, explique Danielle Lessatini. Il s'agira à la fois de consultations de suivi des enfants qui sortent de la Sipad, mais aussi de consultations avant une hospitalisation. Cette structure nous manque à l'heure actuelle. Quand les enfants sortent, on sent qu'ils ont encore besoin de suivi, de conseils, d'affiner les traitements qu'ils prennent. » Cette structure-relais se fait d'autant plus nécessaire que la Sipad est très sollicitée. 12 personnes figurent en permanence sur liste d'attente. Et la structure, normalement intersectorielle, donc départementale, accueille des adolescents venus de toute la région PACA et de Corse. Elle commence en outre à recevoir des demandes du nord de la France.

Sandrine Pageau

BERNARD MARCHESIN : « LE MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN »

Quel constat a été à l'origine de la création de la Sipad ? - C'est l'émergence, en milieu ouvert et dans les foyers d'hébergement, d'une population de plus en plus difficile, dont la prise en charge posait des problèmes importants. Le comportement violent de ces jeunes nous laissait penser qu'ils avaient besoin peut-être davantage d'une prise en charge psychiatrique que purement éducative. Les éducateurs avaient d'ailleurs tendance à les orienter vers des services psychiatriques. Mais souvent, les psychiatres les renvoyaient, estimant qu'ils ne relevaient pas de la psychiatrie. Une réflexion commune entre une magistrate, le docteur Roure et la PJJ a permis d'arriver à cette unité de soins à la fois thérapeutique et éducative. Quel est selon vous l'intérêt majeur de cette structure ? - Affirmer que des éducateurs pouvaient travailler avec des psychiatres et des infirmières, était un pari. Au départ, faire travailler ensemble des champs professionnels complètement étrangers, c'était un peu le mariage de la carpe et du lapin. Mais je pense que l'intérêt majeur de la Sipad est d'avoir réussi à établir des complémentarités, d'avoir permis une alliance de compétences et une transversalité entre les différents services, au profit d'un adolescent. Le risque n'est-il pas qu'elle devienne un lieu où se débarrasser de ces jeunes difficiles ? - Tout le monde est percuté de plein fouet par le comportement violent de ces jeunes, à commencer par les éducateurs qui les suivent. S'ils sont hospitalisés, l'une des tendances possibles est d'ailleurs de se dégager, de laisser en jachère l'espace éducatif qui doit pourtant être occupé. Mais il est bien clair qu'il ne s'agit pas d'une structure d'accueil d'urgence pour adoucir les états d'âme de tel ou tel sur les difficultés de prise en charge. Tout repose sur la capacité de la structure à faire en sorte que les utilisateurs respectent son projet. Bernard Marchesin est directeur adjoint de la PJJ des Alpes-Maritimes.

Notes

(1)  Sipad : Centre hospitalier Sainte-Marie - 87, avenue Joseph-Raybaud - BP 1519 - 06009 Nice cedex 1 - Tél. 04 93 13 57 60.

(2)  Qui dirige un service de psychiatrie générale qui comporte trois structures intersectorielles, parmi lesquelles la Sipad, créée en octobre 2000.

(3)  L'association Sainte-Marie, qui gère l'hôpital, finance une équipe de soignants et deux médecins psychiatres ; l'Education nationale met à disposition de la Sipad une enseignante spécialisée à mi-temps. Le conseil général, la ville de Nice, la région et l'Etat complètent les financements.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur