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Un bout de chemin ensemble

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A Nancy, un service d'accompagnement à la vie sociale permet à des adultes handicapés psychiques de faire le lien entre le sanitaire et le social. Sa vocation : accompagner pas à pas vers l'autonomie ces personnes d'une extrême fragilité.

Dans une rue calme, à quelque distance du centre-ville, une ancienne école abrite depuis un an et demi le service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS) de Nancy (1). Sous les grands marronniers de la cour, on se salue avant de rejoindre sans hâte le bâtiment. Les premiers arrivants sont déjà installés dans la salle d'accueil. Une longue table, des canapés, du café, de quoi écouter de la musique : les usagers sont apparemment chez eux.

C'est autour d'eux que l'association Espoir 54 a conçu ce lieu intermédiaire entre l'hôpital psychiatrique et la vie. D'août 2001 à août 2002, 108 personnes, adultes handicapés psychiques résidant dans l'agglomération nancéienne, y ont transité. Avec, chaque fois, un parcours sensiblement différent, mais une démarche identique. Celle-ci est largement inspirée de l'expérience de différentes structures suisses romandes qui, depuis des années, ont développé la prise en charge des handicapés psychiques. Elle consiste à tenter de restaurer chez ces personnes, qui souffrent d'une extrême fragilité et d'un immense isolement, un maximum de compétences et d'autonomie, en les aidant à pallier les difficultés issues de leur handicap. La petite équipe (2) qui anime le SAVS dispose de différents types d'outils, avec une priorité accordée à la prise en charge individuelle.

Une rencontre avec le psychologue- coordinateur du service, Stéphane Voinson, est la première étape. Elle permet de vérifier si l'on est bien dans le cadre du handicap psychique (3). « Etre handicapé psychiquement, définit Stéphane Voinson, c'est ne plus avoir le choix, du fait de sa maladie ; pas le choix de vivre seul, pas le choix de sortir... » Il s'agit aussi d'écouter l'histoire de la personne, d'entendre sa demande (créer un réseau social, pouvoir un jour travailler...). C'est encore l'occasion de poser des règles de fonctionnement. Ainsi, la personne qui entre doit être stabilisée, suivie médicalement. Elle doit disposer d'une reconnaissance d'in-validité ou avoir entamé une démarche en ce sens. Et s'engager fermement : pas question de manquer à l'une de ses obligations. « Ne pas avoir envie ou ne pas être bien ne sont pas des excuses valables : c'est un véritable travail. Mais si nous sommes exigeants avec la personne, c'est que nous estimons qu'elle a des compétences. Et si cette exigence lui fait très peur, elle est aussi très valorisante. » Car les usagers, tous adhérents de l'association, sont considérés comme des citoyens, avec leurs droits et leurs devoirs.

Après accord de tous, celui qui entre au service entame une phase de découverte qui va durer environ un mois. Il doit rencontrer son référent, choisi au sein de l'équipe en fonction de ses besoins, en l'accueillant à son domicile ou dans un autre lieu de son choix. A l'issue d'une auto-évaluation approfondie, fondée sur les compétences et les habitudes dans tous les domaines de la vie quotidienne et des relations sociales (relations avec les administrations, avec l'autre, logement, santé, alimentation et hygiène, estime de soi, emploi), l'usager, une fois cernés ses besoins et ses difficultés, formule des objectifs qui sont le fruit d'une négociation avec le professionnel. Souvent très concrets, ces objectifs doivent l'amener à s'interroger sur la façon dont il maîtrise ses symptômes et constituent la base de tout le travail à venir.

La personne passe alors en « niveau 1 » d'accompagnement. Autour d'un projet de vie (par exemple « arriver à vivre seul dans mon appartement », « avoir des amis » ou « travailler » ), un contrat-projet est signé pour trois mois renouvelables. Il fournit un cadre à cet accompagnement individualisé à domicile, qui représente pour le professionnel référent au moins trois heures par semaine par personne suivie.

LE CHAÎNON MANQUANT

Ces espaces d'accompagnement intermédiaires entre la psychiatrie et la vie en société, l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques  (Unafam) en affirmait le caractère indispensable depuis des années. En juin 2001, elle formalise ses réflexions en publiant, avec plusieurs associations d'usagers et de soignants, « Le Livre blanc des partenaires de santé mentale France »   (4) . Ce document aide à rompre le silence qui entoure globalement le handicap psychique - inquiétant car difficile à appréhender - évoquant « des situations d'exclusion d'une gravité exceptionnelle ». Parmi une série de propositions pour l'accompagnement dans la cité des personnes souffrant de troubles psychiques, le livre blanc préconisait une multiplication des « espaces-accueil » avec accompagnement à domicile. Il recensait alors en France une douzaine de structures proposant comme activité principale un service d'accompagnement à la vie sociale. Quelques mois plus tard, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale (5) , dans son article 15, donne une base légale à ces nouvelles structures .

Mais au-delà de ce soutien au plus près, les personnes bénéficient, depuis cette année, d'un « espace d'accueil et de convivialité ». Il est ouvert deux fois par semaine, animé par une bénévole (étudiante en psychologie) et deux usagers. Cet après-midi-là, ils sont une vingtaine à s'être installés autour de la longue table, sortis pour certains du SAVS. « On se retrouve entre nous, on est ensemble, on vit. » « On est tous bien car on est tous pas bien. On n'est pas dans un système de jugement. » Dans cet espace neutre, clos, on échange, même si tous n'ont pas le même niveau de recul - parfois impressionnant - par rapport à la maladie. Ce lieu rassurant, qui évite de retourner à la solitude, permet aux anciens de passer le relais, de « faire vivre le lien qu'ils ont pu créer. » Ce jour-là, on y évoque, pêle-mêle, les modules, les ateliers, où « l'expression est libre et sans moralité », où l'on a plaisir à créer, parce que « l'art est le seul endroit où la différence est une force ».

Car l'accompagnement individualisé est complété de temps collectifs. En fonction de leurs besoins, les usagers suivent des modules d'apprentissage, qui visent à développer les compétences de chacun. Animés par des professionnels, ils portent, par exemple, sur la vie quotidienne, ou sur l'hygiène mentale : « Nous ne sommes pas là pour diminuer la cause du handicap, ce qui relève du soin, mais pour leur permettre de mieux connaître leurs symptômes et de mieux vivre avec, explique Stéphane Voinson. De faire leur deuil en admettant qu'on est schizophrène et qu'on le sera sans doute toute sa vie. »

En plus de ces modules, différents ateliers (marche, percussions, théâtre...) sont animés par des bénévoles, pour un public composé, dans un souci d'ouverture sur l'extérieur, de personnes handicapées et non handicapées. Pour le plaisir de faire avec les autres quelque chose qui passionne. Ainsi, cet atelier d'écriture où la plupart des personnes parviennent à s'exprimer, à surmonter leurs angoisses pour lire leur texte aux autres. « Les actions menées ici peuvent paraître dérisoires, observe Marie-Claude Barroche, présidente de l'association Espoir 54. Mais pour ces personnes qui n'ont pas de réseau social, sortir d'elles-mêmes, se rencontrer dans un lieu tolérant, de grand respect, maintenir le lien social est parfois une question de vie ou de mort. »

La maladie génère en effet l'isolement, la solitude, le repli sur soi. Et pour éviter que perde pied celui qui n'ouvre plus son courrier, paniqué par la moindre lettre administrative, ou qui, ne pouvant plus rien jeter, entasse tout dans son appartement, un soutien continu est nécessaire.

Comment mesurer les résultats de ces actions ? La structure est encore récente, et les évaluations ne portent que sur le parcours d'un nombre limité d'usagers. Elles constatent toutefois « qu'en neuf mois d'accompagnement, les personnes développent des compétences sociales et les mettent en œuvre dans leur vie quotidienne de façon significative ». Elles « ont le sentiment que leur qualité de vie a augmenté ». Certains usagers ne reviennent plus, quelques-uns ont repris leurs études ou travaillent. Pour d'autres en revanche, l'autonomie ne dure que 48 heures. Toute la procédure doit alors reprendre.

Pour l'heure, le service est victime de son succès. Il a la possibilité, par convention avec le conseil général qui le finance, d'accueillir 25 personnes. Il en reçoit aujourd'hui 47, sans compter celles sur liste d'attente. Et nombre d'usagers, s'ils ne sont plus suivis officiellement, continuent à fréquenter les lieux. Il y a parfois 50 personnes à l'espace d'accueil et de convivialité. « On travaille difficilement. On peut voir les personnes moins longtemps, moins souvent », témoigne Magali Hémard, médiatrice-accompagnatrice. « Maintenant, confirme Stéphane Voinson, si on accepte de nouvelles personnes, on met en péril celles qui sont déjà accueillies. » Le service est jusqu'à présent le seul de la région, même si différents projets sont en préparation.

« Après le traitement pharmacologique et le traitement psychothérapeutique, la réhabilitation sociale est le troisième volet de la prise en charge des handicapés psychiques. Mais on a plus de 40 ans de retard en France, regrette Marie-Claude Barroche. La psychiatrie notamment doit absolument accepter de travailler avec nous, de donner le relais au social et de reconnaître notre action comme complémentaire. D'autant plus que la nouvelle génération de neuroleptiques, qui induit moins d'effets secondaires, permet aux gens d'être à peu près autonomes pour peu qu'on les accompagne. » L'accompagnement psychosocial, qui se situe dans l'entre-deux du sanitaire et du social, tend à dépasser les barrières qui séparent le champ du soin de celui de la vie en société. Mais la chose est parfois difficile à faire entendre. « Les psychiatres avaient au départ un sentiment de remise en cause de leur compétence. Or, peu à peu, ils se rendent compte qu'on ne prend pas leur place et qu'on a besoin d'eux, analyse Stéphane Voinson. Mais on aimerait que la psychiatrie nous informe de la sortie d'une personne suivie par le SAVS, par exemple, pour que nous puissions ranger son appartement, faire quelques courses avant son arrivée. »

LE HANDICAP PSYCHIQUE

Si au moins 600 000 familles sont concernées par le handicap psychique, celui-ci demeure encore mal connu en France, tout comme les maladies qui en sont à l'origine. Il s'agit de pathologies graves, souvent évoquées par les professionnels de santé mentale sous le terme de psychoses (essentiellement schizophrénies et maniaco-dépressions). Elles surviennent sans cause médicale connue, souvent à l'adolescence et touchent environ 1 % de la population, quel que soit le pays concerné. Elles se manifestent de façon très variable et évolutive, et nécessitent des soins continus et importants. Dans la maladie psychique, selon le livre blanc de l'Unafam, « l'intégrité de la personne est en jeu et cela ne se voit pas clairement de l'extérieur. La capacité à l'autonomie est amoindrie. Des comportements et des idées rigides et incontrôlées apparaissent, créant des dépendances qui peuvent être quasiment insurmontables. Elles empêchent, le plus souvent, la libre expression de la personne. » Les maladies psychiques ne permettent pas à la personne de vivre normalement et surtout de se comporter de façon adaptée. Elles affectent particulièrement ses capacités relationnelles, engendrant isolement, souffrance, inadaptation et exclusion.

Ce serait le signe, peut-être, que l'idée fait doucement son chemin. Il est temps, pour Marie-Claude Barroche, qui plaide pour une prise en charge plus précoce. « Il faudrait un traitement dès le début des troubles. Mais les familles sont mal informées, et le déni est important. On arrive toujours trop tard, disent les psy, quand la désocialisation a déjà fait des ravages. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Service d'accompagnement à la vie sociale - Espoir 54 : 6, rue Chevert - 54000 Nancy - Tél. 03 83 55 00 00 - http://perso. libertysurf.fr/espoir54/.

(2)  Elle est composée d'un psychologue-coordinateur, de trois médiateurs-accompagnateurs (éducateur spécialisé, technicien de l'intervention sociale et familiale et psychologue) et d'une secrétaire-comptable.

(3)  Le handicap psychique se différencie du handicap mental « qui fait précisément référence en psychiatrie aux déficiences, liées en général, à une altération du système nerveux central, avec des répercussions motrices, intellectuelles et cognitives. »

(4)  Voir ASH n° 2220 du 22-06-01.

(5)  Voir ASH n° 2245 du 11-01-02.

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