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Des stages pour responsabiliser les parents

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Pour apporter une réponse constructive à l'absentéisme scolaire, le parquet de Colmar a créé des stages parentaux. Si l'initiative a de bons résultats, ceux-ci restent fragiles.

« Un gamin qui manque l'école est un gamin en danger », déclare Christine Charras, substitut du procureur au tribunal de grande instance  (TGI) de Colmar (1), chargée des mineurs. En danger de voir son avenir compromis, de dériver vers la délinquance ou de devenir la proie de pédophiles. Comment alors, s'est interrogé le parquet de Colmar, contribuer à lutter contre l'absentéisme scolaire ? Jugeant les mesures purement répressives souvent inappropriées, il a privilégié la voie des alternatives aux poursuites et initié, en 1999, un stage parental. En effet, analysait René Pech, alors procureur de la République à Colmar, « la délinquance des mineurs et plus généralement les problèmes de comportement qu'ils manifestent trouvent parfois leur source dans des carences éducatives imputables aux parents ». Il convient de leur donner « les moyens de surmonter leurs propres carences » et d' « adopter une attitude plus responsable ». Autrement dit, de susciter leur prise de conscience, mais sans les culpabiliser. Plus que la punition, la pédagogie et le pragmatisme sont alors de mise. « Mon but est que l'enfant retourne à l'école, explique Christine Charras. Or je suis persuadée que ce n'est pas par la sanction, toujours perçue comme injuste, que je parviendrai à faire comprendre aux parents qu'il y a un problème. » Le parquet alsacien n'en est pas à sa première tentative dans la logique du « faire autrement » pour se faire entendre : depuis plus de dix ans, la culture du stage y est bien ancrée (2).

Si la démarche du stage parental est éducative, le cadre légal, lui, est répressif, et c'est l'article 227-17 du code pénal qui le fonde en ces termes : « Le fait par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000  € d'amende. » S'agissant dès lors de traiter d'un délit, il faut, souligne la magistrate, « rechercher l'in- tention coupable. Cela écarte les parents totalement carencés. En général, nous nous adressons à des personnes qui n'ont pas saisi tout l'intérêt de la scolarisation de leur enfant alors qu'ils en ont a priori les capacités. » Parmi eux, maints artisans ou ouvriers actifs. « Contrairement à ce que l'on entend ailleurs, ici, les parents d'élèves absentéistes ne sont pas des gens accablés par les difficultés. L'éventail est large, c'est d'autant plus troublant. »

Parler d'une seule voix

Après réception d'un signalement, le parquet demande à la police ou à la gendarmerie de mener une enquête. Sont auditionnés les mineurs, leurs représentants légaux et des membres de l'institution scolaire. Au vu des informations recueillies, la substitut juge de la pertinence d'ordonner un stage parental. Une dizaine de ménages sont convoqués pour une séance collective de trois heures, qui se déroule, un samedi matin, dans la solennité de la bibliothèque du tribunal. Les enfants sont écartés pour ne pas affaiblir leurs parents. Après un bref rappel par la magistrate du cadre pénal de la mesure, un policier ou un gendarme de la brigade de prévention de la délinquance juvénile ainsi que le correspondant justice de l'Education nationale prennent le relais. Sont alors abordées les notions de citoyenneté et de respect de la loi, expliqués les devoirs des parents envers leurs enfants, et détaillés les enjeux de l'école. « Nous cherchons à créer un climat d'interactivité pour faciliter l'adhésion à la mesure », insiste Thierry Scherrer, capitaine de police, très investi dans l'expérience avant sa récente mutation au centre régional de formation de la police nationale de Strasbourg. Le duo passe alors le témoin au délégué du procureur, qui projette le groupe vers l'avenir, avec en filigrane la notion d'aide.

Ce directeur retraité de l'assistance éducative en milieu ouvert - choisi en raison de son expérience en travail social - fonde son intervention sur la dynamique de groupe. « Je demande d'abord qui peut décrire ses problèmes. Les autres parents voient alors qu'ils ne sont pas seuls à rencontrer des difficultés et se mettent à parler. Puis, je suggère aux autres de formuler des conseils. Au final, les gens échangent beaucoup et de façon passionnée », explique Joseph Hurstel. L'un des enjeux est aussi de manifester aux parents que les institutions en présence parlent le même langage. « Il est important, analyse Thierry Scherrer, de leur montrer que la police, la gendarmerie, l'Education nationale et la justice agissent solidairement, et de souligner la cohérence de l'action que nous avons construite ensemble à petits pas. » Une synergie qu'a permis l'extrême confiance, voire la complicité, d'acteurs se connaissant bien. A la fin de la séance, rendez- vous est pris pour un suivi individualisé de trois mois.

Durant cette période, le délégué du procureur se rend dans la famille et fait le point. Il contrôle que l'enfant fréquente à nouveau l'école, s'assure que les parents vérifient les devoirs, et, plus largement, résume Joseph Hurstel, « qu'ils s'intéressent à leur enfant ». Si les choses rentrent dans l'ordre, il ne multiplie pas les visites mais suit le dossier via l'école, sinon il maintient son soutien. Certains écueils sont cependant à éviter : « Il faut parvenir à s'intégrer un peu dans la famille pour l'aider mais sans aller trop loin, car elle peut devenir dépendante, même si le délai est court. De même il ne faut pas déresponsabiliser les parents, dont certains auraient tendance à se décharger de leur rôle. » Un subtil équilibre est donc à trouver.

Mais l'absentéisme scolaire n'est souvent qu'un symptôme. « C'est un signal d'alarme pour dire que quelque chose ne marche pas », affirme Sandra Jaud, correspondante justice de l'Education nationale qui vient de rejoindre le dispositif. Aussi Joseph Hurstel s'interroge-t-il sur les limites de son action. « Des enfants cherchent à attirer l'attention pour dé-clencher quelque chose. Certains ne vont pas à l'école car ils ont des missions à remplir :empêcher que l'amant ou la maîtresse d'un des parents ne vienne à la maison, surveiller leurs frères et sœurs... Jusqu'où alors intervenir sans provoquer de dégâts plus importants ? Il y a tout un travail de décodage à faire mais sans pouvoir ensuite aller trop loin, notre cadre étant strict. » Des signalements ont toutefois été faits par le délégué du procureur pour des enfants en danger.

« UNE DERNIÈRE CHANCE DE SURSAUT PARENTAL »

L'expérience de Colmar fait des émules. Depuis le 3 octobre 2002, un stage parental a débuté à Toulon, à l'initiative d'Anne Lezer, substitut du procureur de la République, chargée des mineurs. L'initiative intéresse le gouvernement puisque, le 12 novembre, Christian Jacob s'est rendu à Toulon étudier le dispositif. Comme à Colmar, le stage s'appuie sur une enquête de police ou de gendarmerie, puis comprend une séance collective sur les droits et devoirs des parents et un suivi de trois mois. A Toulon cependant, celui-ci est mené par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) et prend la forme de rendez-vous réguliers au tribunal. « Nous avons choisi cette formule un peu contraignante afin de placer clairement la mesure dans le cadre d'une alternative aux poursuites. Il ne s'agit pas d'offrir une aide mais une dernière chance de sursaut parental. Beaucoup de parents sont dans le dû, nous voulons leur montrer qu'ils ont aussi des devoirs », commente Anne Lezer. Durant le suivi, la police, la gendarmerie et l'Education nationale font remonter des informations sur les mineurs : absentéisme, errance, délinquance... A Toulon, le stage concerne également les parents de primo-délinquants de très jeune âge, ceux réticents à toutes mesures éducatives ou profitant de l'activité délinquante de leurs enfants. « Cela recouvre, en fait, toutes les manifestations de mauvaise volonté des parents face à un acte posé par leur enfant. Quant aux signalements, ils remontent de toutes parts », résume la substitut, qui a « motivé l'ensemble des officiers de police judiciaire pour qu'ils fassent des procédures sur l'article 227-17 » et beaucoup communiqué sur la portée de ce dernier. Les professionnels de la PJJ ont aussi dû s'adapter. En effet, rappelle Anne Lezer, « c'est, pour eux, un changement complet d'optique, puisque ce n'est plus sur les mineurs qu'ils travaillent mais sur les parents ». A l'issue du stage, un rapport sera remis à la substitut qui convoquera les parents pour les informer de la suite donnée : classement, renvoi en correctionnelle ou transmission au juge des enfants.

Bilan positif mais fragile

Le stage s'achève par la réunion de plusieurs groupes de familles autour d'une exposition « Etre parents aujourd'hui », et un rapport est rédigé par le délégué du procureur. Même si le stage s'est bien déroulé, la décision de classement n'est pas prise tout de suite. « J'attends huit mois à un an avant de classer. J'essaie de voir si, à la rentrée suivante, les enfants retournent à l'école. » La formule semble fonctionner. « J'ai eu beaucoup de bonnes surprises », explique, sans triomphalisme, Christine Charras, étonnée des résultats de « cette expérience artisanale ». A ce jour, aucune poursuite n'a été décidée. « J'ai constaté que si cela ne marchait pas c'est que l'élément intentionnel n'y était pas, que j'ai eu une mauvaise perception et donc que je me suis trompée dans le choix des parents, trop carencés. » Le dossier est alors adressé au juge des enfants en vue de la mise en place d'une assistance éducative.

Malgré l'emploi de la notion de danger du mineur dans un cadre répressif, les juges des enfants ont bien accepté les stages parentaux. « Nous leur avons expliqué notre cadre d'action, notre complémentarité. Certains m'ont même déjà adressé un dossier en assistance éducative pour rappeler à l'ordre les parents via le stage. Toutefois, j'essaie d'éviter le cumul des interventions. » Une raison aussi pour laquelle, après avoir ouvert le stage à d'autres cas que l'absentéisme scolaire (non-venue à des convocations lors de rappel à la loi, manquements à l'hygiène, vols commis avec les enfants...), la parquetière a décidé de resserrer son action autour de cette infraction pour « ne pas se trouver en porte-à-faux avec d'autres mesures ». La création d'un stage spécifique réunissant parents et mineurs usagers de stupéfiants a également conforté cette évolution.

Les résultats restent cependant fragiles du fait du caractère symptomatique de l'absentéisme mais aussi parce que la réintégration au sein des établissements scolaires est souvent problématique : le retour de ces gamins plutôt turbulents et jugés peu prometteurs n'est pas toujours très attendu. « Combien de fois, alors que je ramenais des enfants au collège, tout a été fait pour qu'ils repartent vite, s'indigne Joseph Hurstel. On les place au fond de la classe, on ne s'en occupe pas, et ils se sentent perdus. » Lorsqu'ils s'absentent à nouveau, parfois personne ne le signale. La mobilisation plus nette des établissements fera donc partie des objectifs de l'équipe, en partie renouvelée. « Nous souhaiterions que, dans chaque collège, une petite cellule de remise en route soit imaginée pour organiser l'accueil », explique Christine Charras. Autre revendication : des signalements plus précoces. « Les professionnels ne doivent pas attendre aussi longtemps avant de faire des signalements », insistent la parquetière et Joseph Hurstel. Sur ce sujet, les velléités répressives du gouvernement qui pourraient se traduire par une lourde amende (3) pour les parents inquiètent la substitut, car « les responsables d'établissement risquent tout simplement de ne plus faire de signalements ». De même, brandir la menace du retrait des allocations familiales lui semble tout aussi stérile : « Penser que cette mesure permet aux parents d'envoyer leurs enfants à l'école est primaire. Quand bien même cela aurait de quelconques effets, quel sens cela a-t-il d'envoyer des gamins à l'école uniquement pour les allocations ? C'est toute la démarche opposée à notre stage. »

Florence Raynal

Notes

(1)  Tribunal de grande instance : 58, Grand'rue - 68000 Colmar - Tél. 03 89 20 56 00.

(2)  Avec l'organisation de stages de responsabilisation pour les conducteurs en état alcoolique, pour les auteurs d'infraction à la législation du travail...

(3)  Cette question doit être examinée par le groupe de travail mis en place par Christian Jacob. Voir ASH n° 2279 du 4-10-02.

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