« La France est un pays d'immigration et elle le restera, car elle en a besoin. Mais à un niveau à peu près égal ou un peu supérieur à celui d'aujourd'hui. Aucune raison démographique ne justifie un encouragement au développement massif de l'immigration. » Telle est, en substance, l'une des conclusions du séminaire de recherche mené en 2001 par le commissariat général du Plan, dont les travaux viennent de faire l'objet d'une intéressante publication (1). Introduit par un rapport de synthèse de François Héran, directeur de l'Institut national d'études démographiques, ce travail interdisciplinaire va donc à l'encontre d'un certain nombre d'idées récemment répandues. « L'immigration ne résoudra pas tous nos problèmes de vieillissement », martèle le chercheur. Les démographes de l'Organisation des Nations unies n'ont-ils pas montré que si l'on voulait maintenir le rapport entre les 15-64 ans et les plus de 65 ans, l'ensemble de l'Europe aurait besoin de 1,4 milliard d'immigrants entre 1995 et 2050, dont 94 millions pour la France ? Hypothèse « évidemment absurde ».
Si le rapport du Plan se fait encore l'écho de beaucoup d'interrogations et suggère de nombreuses pistes de recherche, il établit aussi quelques solides constats. Il rappelle tout d'abord que nombre de secteurs d'activité - dont les services non qualifiés aux personnes - ne pourraient fonctionner sans la contribution des immigrés. Il souligne que la France connaît une immigration stable, avec environ 100 000 étrangers entrant chaque année sur le marché du travail, soit 12 % du flux total, et une proportion d'étrangers qui se maintient à 7,5 % de la population depuis 25 ans. « Le contrôle des flux migratoires est plus efficace qu'on ne le dit souvent », notent les chercheurs. Cependant, tous les pays européens ne connaissent pas, et de loin, la même situation, qu'il s'agisse de leur démographie naturelle ou de leur attractivité linguistique, historique ou géographique. Les règles communautaires devront en tenir compte.
Autre certitude : le rapport actuel entre les actifs et les non-actifs - avant le départ des « baby-boomers » à la retraite -est « exceptionnellement favorable ». Cette conjoncture « n'a aucune raison de se reproduire », insiste François Héran, sauf à « abolir l'allongement de l'espérance de vie ». Plutôt que de vouloir maintenir à tout prix le rapport actifs/non-actifs, la France peut espérer stabiliser sa population active si elle maintient sa fécondité actuelle, proche du taux de renouvellement des générations, et si elle accueille environ 120 000 immigrants par an (solde net des entrées moins les sorties). C'est-à-dire à peine plus qu'actuellement. Nul besoin de fantasmer sur les hordes étrangères... D'autant, rappellent les chercheurs, que « la migration internationale reste un comportement d'exception : 2,5 % seulement de la population mondiale est concernée ». Le seul effet des inégalités de richesse et de densité de population devrait, logiquement, mettre beaucoup plus de monde en mouvement. Mais d'autres facteurs interviennent, d'ordre politique, juridique, culturel...
Reste aussi beaucoup d'incertitudes. Par exemple sur l'effet réel des politiques d'immigration sélectives pratiquées dans de nombreux pays anglo-saxons, avec les « systèmes à points » ou les visas attribués par catégories professionnelles (2), que le rapport propose d'évaluer avant, éventuellement, de s'en inspirer. Les incidences économiques de l'immigration, notamment son impact sur le chômage ou les salaires des régions d'accueil, ont également été peu étudiées en France. Son effet sur les pays d'origine est aussi controversé, même s'il ne paraît pas aussi négatif que « la fuite des cerveaux » souvent décrite . Tout dépend du montant des transferts de fonds et du nombre de retours ou de va-et-vient. Des règles souples, permettant les allers et retours, pourraient avoir un impact positif pour les deux parties, avance Patrick Weil, chercheur au CNRS, qui suggère, si l'on veut préparer l'avenir, de réfléchir sérieusement aux perspectives de codéveloppement.
Il reste aussi beaucoup à étudier sur l'intégration des migrants installés chez nous. Le faible taux de naturalisation (36 %, soit moitié moins qu'au Canada) mériterait une enquête, par exemple. On pourrait aussi interroger plus avant les données qui confirment les difficultés spécifiques d'entrée dans l'emploi des jeunes issus de l'immigration maghrébine et le moindre rendement de leurs diplômes. Il semble qu'aux fragilités liées à leurs cursus scolaires s'ajoute un déficit de ressources relationnelles, familiales, associatives... qui se combinent (et se cumulent éventuellement) aux manifestations du racisme ordinaire. Même si les « études ethniques » sont interdites en France, sur bien des sujets, les statistiques recèlent beaucoup de ressources non exploitées, estime François Héran.
(1) Immigration, marché du travail, intégration - Commissariat général du Plan - Ed . La Documentation française : 124, rue Henri-Barbusse - 93308 Aubervilliers cedex - Tél. 01 40 15 70 00 - 14 € (+ 3,04 € de port) - Consultable sur w
(2) En France aussi, mais à plus petite échelle : 4 000 titres de séjour ont été délivrés à des informaticiens en 2001.