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Une maison à l'écoute des adolescents

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Depuis deux ans et demi, au Havre, la Maison de l'adolescent offre un dispositif d'accueil aux jeunes en difficulté. Une démarche nouvelle et dont l'efficacité repose sur une prise en charge rapide, pluridisciplinaire et non stigmatisante, ainsi que sur un suivi rigoureux.

Quelques jeunes garçons et filles patientent dans une salle moderne où sont disposés, çà et là, revues et dépliants d'informations pratiques. En gros caractères le nom du lieu, « La maison de l'adolescent »   (1), s'étale sur la plaque apposée à l'entrée de cet immeuble de trois étages situé au centre-ville. Seule une mention discrète indique le lien avec le groupe hospitalier du Havre. C'est pourtant bien au sein des services psychiatriques de cette ville que naît, au début des années 80, l'idée de créer une structure inédite destinée à l'accueil et à la prise en charge d'adolescents en souffrance psychique et somatique. La municipalité, comme beaucoup d'autres dans l'Hexagone, est confrontée à l'absence de structure spécifique pour cette popu-lation.

A partir de la création d'un point Ecoute Jeunes en 1995, un groupe de réflexion réunissant des professionnels d'horizons différents (juge des enfants, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide sociale à l'enfance, pédiatres, psychiatres, médecins scolaires, infirmiers, etc.) jette les bases de la Maison de l'adolescent. « Une des caractéristiques de cette population, c'est d'exprimer parfois des troubles psychiques par le corps. Lorsque nous avons ouvert, en mai 1999, notre idée était que ce projet, porté par l'hôpital, ait une articulation avec d'autres spécialistes que les psychiatres, notamment des professionnels du secteur social. Nous avons également privilégié la prise en charge ambulatoire à la mise en place de lits dans la mesure où l'hospitalisation répond à des besoins beaucoup moins importants en nombre », raconte Alain Fuseau, médecin psychiatre et responsable médical.

Les membres du groupe de réflexion, aujourd'hui partenaires du réseau sur lequel s'appuie la Maison de l'adolescent, ont donc conçu un lieu de prise en charge pour répondre aux nombreuses difficultés (familiales, scolaires, sanitaires, etc.) des jeunes. Facilement accessible, ouverte sept jours sur sept et bien séparée de l'hôpital, lieu jugé trop « stigmatisant », la structure fonctionne également sur le principe de la transversalité. « Les partenaires reprochaient beaucoup à l'hôpital, et à la psychiatrie en particulier, son peu de lisibilité en termes de sectorisation. Ainsi, par exemple, un ado de 15 ans et demi devait être d'abord accueilli en pédopsychiatrie avant d'être transféré en psychia- trie adulte au bout de six mois », explique Alain Fuseau. La structure accueille les jeunes âgés de 13 à 20 ans, de l'ensemble de l'agglomération et échappe donc à la fois à la barrière des 16 ans et aux limites géographiques du secteur.

Offrir une réponse immédiate

Il s'agit également d'éviter les temps d'attente auxquels sont confrontés les jeunes en souffrance psychique dans les structures existantes. A l'exemple des centres de crise pour adolescents qui ont vu leurs « demandes d'accueil en urgence psychiatrique [...] quintupler en dix ans chez les moins de 18 ans », déplore Claire Brisset, défenseure des enfants, dans son rapport (2), et dont les délais peuvent atteindre deux semaines pour des admissions en urgence. « Un des intérêts de cette structure, affirme Stéphane Legendre, cadre infirmier, c'est d'apporter tout de suite une réponse à l'adolescent qui nous appelle. Il y a toujours quelqu'un pour le rencontrer, même si cela ne signifie pas une prise en charge immédiate. »

Une « équipe mobile » - groupe pluridisciplinaire composé d'infirmiers, d'éducateurs et d'un psychologue - accueille en entretien tous les adolescents qui poussent la porte de la structure. « L'exemple type, rapporte Alain Fuseau, c'est la jeune fille de 15 ans qui vient parce que son petit copain l'a quittée et on se rend compte qu'elle a des relations sexuelles totalement débridées, non protégées et une conduite à risques. L'équipe mobile va donc faire une orientation gynéco, l'envoyer voir l'assistante sociale parce que son parcours l'amène à être quasiment en errance et enfin un psychologue, ou même un psychiatre. » Véritable pivot autour duquel s'organise le réseau, l'équipe mobile tente d' « optimiser » le travail des intervenants en cernant au mieux les besoins des jeunes et en leur offrant la réponse la plus adaptée. Pour près d'un quart des adolescents, une simple entrevue avec un membre de l'équipe suffit à résoudre une difficulté ponctuelle, à apaiser une angoisse passagère. Pour d'autres, l'équipe mobile constitue un sas indispensable pour préciser une demande souvent floue et apaiser les appréhensions avant de consulter le psychologue ou le psychiatre de la structure. Quant à ceux qui supportent mal la confrontation directe avec un adulte, ils sont dirigés vers un autre pôle de la Maison de l'adolescent : le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel  (CATTP). Encadré par trois éducatrices et une infirmière, celui-ci propose des activités thérapeutiques de groupe (théâtre, informatique, piscine, patinoire, etc.) à l'intérieur de la Maison de l'adolescent ou en articulation avec les partenaires municipaux. « Le travail effectué au sein du CATTP a plus une vocation d'insertion sociale. On y reçoit des jeunes en rupture avec le processus de l'adolescence, et donc avec leur propre groupe social. Ils présentent un profil dépressif, d'isolement, des adolescents phobiques par exemple, et quelques jeunes à structure psychotique », explique Alain Fuseau.

Une des raisons du succès du dispositif havrais (qui a reçu 1 700 adolescents depuis son ouverture) tient à son fonctionnement en réseau. Les partenaires extérieurs tels que l'Education nationale (20 % des orientations l'an dernier), le groupe hospitalier du Havre (21,6 % des orientations pour le service pédiatrie et près de 10 % pour les autres services), les services socio-éducatifs, la justice ou encore l'aide sociale à l'enfance, savent qu'ils disposent d'une structure adaptée pour y diriger les jeunes en souffrance psychique. En outre, ils l'utilisent aussi comme un lieu ressources, n'hésitant pas à décrocher leur téléphone pour avoir un éclairage, un conseil sur une situation.

Le travail partenarial permet surtout d'avoir un suivi plus efficace en termes de prévention des passages à l'acte suicidaire. La France détenant le taux de suicide le plus élevé d'Europe chez les 15-24 ans, notamment du fait des récidives, il est primordial d'entamer le plus tôt possible une prise en charge de l'adolescent au cours de son hospitalisation et d'éviter une rupture dans le suivi. Pour cette raison, des membres de l'équipe mobile se rendent tous les jours dans le service de pédiatrie de l'hôpital du Havre (et à la demande, dans les autres services) afin d'y rencontrer les jeunes et de les accompagner, si besoin est, après leur sortie. « Il est extrêmement compliqué de prévenir une tentative de suicide, explique Alain Fuseau. Mais on sait qu'une tentative sur deux est déjà une récidive ; c'est à ce moment-là qu'on peut effectuer un travail de prévention fondé sur le suivi du jeune pendant et après son hospitalisation. » Et de citer l'exemple de ce garçon de 17 ans en pleine dépression et présentant des troubles de la personnalité alors qu'il poursuivait des études « brillantes » en terminale. Il a pu souffler un peu via une hospitalisation dans le service de santé mentale du groupe hospitalier du Havre, tandis que des membres de l'équipe mobile faisait le lien sur place avec la Maison de l'adolescent. Dans le même temps, Alain Fuseau suivait le jeune en relation avec le psychiatre du service, et l'assistante sociale préparait avec sa collègue scolaire les modalités du retour dans l'établissement.

Reste qu'il manque encore, selon les responsables, un élément important dans le dispositif. Si les parents sont souvent reçus par les équipes afin d'être informés de la situation de leur enfant, pour certains une prise en charge spécifique permettrait d'aborder, en groupe ou en individuel, la dynamique familiale souvent très perturbée. Un professionnel a d'ores et déjà entamé une formation pour mieux appréhender la relation parents-adolescents et l'équipe souhaite ouvrir, dans un deuxième temps, un lieux d'accueil des parents.

Une autre évolution consisterait à compléter la prise en charge ambulatoire par la création, d'ici à 2004, de lits permettant une hospitalisation psychiatrique au sein même de la structure. « Il n'existe qu'une dizaine de places pour toute la Haute-Normandie. On est obligé parfois d'envoyer les jeunes à Rouen, qui est à 100 km du Havre ou, comme cela a été le cas pour un garçon de 14 ans, de les renvoyer en psychiatrie adulte », déplore Alain Fuseau. Mais ces développements posent la question d'un élargissement des financements aujourd'hui pris exclusivement sur le budget global de l'hôpital (3). Ce qui va à l'encontre de la priorité de l'équipe axée sur la prise en charge sanitaire de l'adolescent. Or, « croiser le mode de rémunération des équipes, en faisant appel par exemple au conseil général pour les postes d'éducateurs et celui de l'assistante sociale, pose un problème en termes de cohérence de fonctionnement, estime Alain Fuseau . Si on a des financements différents, ce n'est plus la même philosophie et ça risque de dysfonctionner. »

CLAIRE BRISSET  : « AU MOINS UNE MAISON DANS CHAQUE DÉPARTEMENT »

Où en est-on de la prise en charge spécifique de l'adolescent ? - J'observe qu'il n'y a pas de politique de l'adolescent dans ce pays. Notre société s'est bien outillée dans le domaine de la petite enfance, comme le montre la pédiatrie et les services sociaux, qui se sont beaucoup structurés autour de la protection et de la croissance de la petite enfance. Ensuite, je crois que l'adolescent dérange tout le monde, la famille, la société, etc. Pour ces raisons notamment, on a beaucoup tardé à prendre en compte ses besoins spécifiques En quoi les Maisons de l'adolescent peuvent-elles répondre à ses besoins ? - Elles constituent un élément essentiel dans la prise en charge des adolescents, dans la mesure tout simplement où ils savent où aller. Près de 15 % des courriers que je reçois émanent de jeunes qui disent ne pas savoir à qui s'adresser. En outre, il est très important que le point d'entrée de ces structures soit la santé pour leur montrer que c'est une démarche aidante et non une démarche stigmatisante, dont notre société a le secret. Il est important aussi de soutenir les parents. Il faut se rendre compte de la souffrance et du sentiment de culpabilité que peut générer un enfant qui refuse de se nourrir ou qui ne cesse de vouloir mettre fin à ses jours. Enfin, il est essentiel d'intégrer à cette prise en charge pluridisciplinaire une consultation juridique. Les difficultés psychologiques ou somatiques d'un adolescent peuvent trouver leur source dans le divorce des parents et il est indispensable de leur montrer leurs droits : voir le juge, un avocat... Quels sont les autres projets en cours ? - Le plus avancé est celui du centre Jean-Abadie, qui est une émanation du CHU de Bordeaux et qui devrait ouvrir d'ici à la fin de l'année pour s'occuper des adolescents qui ont fait une tentative de suicide et ceux qui présentent des troubles alimentaires. D'autres projets sont en cours à l'exemple de celui prévu au sein de l'hôpital d'Avicenne à Bobigny. Une structure dans les Bouches-du-Rhône, projet du conseil général et de la future Maison de l'adolescent, devrait aussi voir le jour d'ici à la fin 2004 sur le territoire de l'hôpital Cochin, à l'initiative de madame Chirac et en collaboration avec l'Assistance publique. A terme, il faut au moins une Maison de l'adolescent par département. Claire Brisset est défenseure des enfants.

Henri Cormier

Notes

(1)  Maison de l'adolescent : 14/16, rue Gabriel-Péri - 76600 Le Havre - Tél. 02 32 74 27 30.

(2)  Voir ASH n° 2238 du 23-11-01. Le rapport 2001 du défenseur des enfants est consultable sur le site www.defenseurdesenfants.fr.

(3)  Le budget annuel s'élève à 838 469,59  €.

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