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Des lieux où le temps ne compte pas

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Le secrétariat d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion veut développer les « pensions de famille » dont le concept avait été remis au goût du jour en 1997. Un habitat qui, par son fonctionnement souple et convivial, apparaît adapté aux personnes fragilisées et isolées.

C'est un type d'habitat qui a longtemps fait ses preuves. On l'appelait hôtel meublé, ou pension de famille. Au cœur des villes ou dans la petite couronne parisienne, il accueillait pour un coût modique des personnes très défavorisées. Leur propriétaire faisait office d'hôte, de confident, de lien entre les locataires. Le concept est remis à l'honneur en avril 1997, lorsque Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, lance un programme expérimental d'aide à la création de « pensions de fa-mille »   (1). Les ministères du Logement et des Affaires sociales sélectionnent 18 projets autour d'une « nouvelle famille de logements [...] axée sur la convivialité et l'intégration des locataires dans leur environnement social ». Le dispositif ouvre droit à l'aide personnalisée au logement et au financement d'un couple d'hôtes par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales  (DDASS).

En janvier 2000, quand est réalisée par Opsis une évaluation de ce programme expérimental, dix de ces pensions de famille « labellisées » existent en France. A chaque structure sa personnalité, note l'étude, puisque « chaque pension a mis en place ses propres modes de fonctionnement et d'intervention auprès, et en fonction, des personnes logées ». Ainsi, à la Roche-sur-Yon (Vendée), la municipalité a créé une pension de famille en site éclaté :30 logements répartis dans cinq quartiers de la ville, avec trois hôtes animateurs. L'objectif est de lutter contre l'exclusion et l'isolement des personnes en proposant des logements plus adaptés qu'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale  (CHRS), un foyer ou un établissement médicalisé. Cette structure destinée « à des personnes seules et disposant de revenus faibles, qui pourraient bénéficier d'un logement social mais ont des difficultés à assumer la solitude pour des raisons personnelles et/ou sociales », est conçue comme un tremplin vers l'accès au logement classique.

Diversité des formes, des appellations, relative hétérogénéité des publics accueillis : outre les dix structures « labellisées », différentes expériences sont soutenues par la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés. Celle-ci a créé un cercle des pensions de famille, un groupe de réflexion fortement engagé dans le développement de ces lieux de vie. « Ce sont des lieux familiaux, conviviaux, de petite taille, articulés autour de la présence régulière d'hôtes et en lien avec le monde extérieur », résume Frédérique Mozer, chargée de mission Habitat-Logement à la fondation.

De petits collectifs, bien intégrés dans la ville, offrant à la fois un logement indépendant et au moins un espace commun pour les rencontres ou les repas, animés par un ou des hôtes chargés de développer une relation de convivialité et de proximité, tels sont les points communs à ces structures. L'accent y est mis sur le rôle de l'hôte : animation, lien avec des équipes de bénévoles, relais avec les référents sociaux ou médicaux intervenant en cas de besoin, incitation à la participation des résidents au projet.

Quel intérêt ces derniers trouvent-ils à cette formule ? L'évaluation Opsis ap- porte des éléments de réponse. D'abord, un logement autonome, mais surtout un logement sans limitation de durée face à une exclusion psychologique, mentale, économique. « Nous ne sommes pas stressés par une rentabilité, insiste Frédérique Mozer. Le pari est d'offrir à des gens très abîmés, la possibilité de prendre le temps de se poser et de se projeter. » Et pour la fondation, « le seul fait de ne pas imposer d'échéance de sortie suffit parfois à permettre aux personnes de rebondir dans des délais plus brefs que la limite de deux ans des résidences sociales classiques ». Cette possibilité de prendre le temps est appréciée par les personnes hébergées comme par les intervenants sociaux qui travaillent avec ces structures. Le dispositif semble donc bien adapté à des populations qui ont éclusé et épuisé tous les dispositifs. Parmi ses atouts, sa souplesse de fonctionnement, qui favorise une évolution et une adaptation permanente, et permet de prendre le temps d'établir une relation quotidienne et forte.

Répondre à des besoins non couverts

Alors un dispositif de plus ? « Sans doute, mais pour un public qui n'avait rien jusqu'à présent », répond Alain Nouvelot, responsable d'un groupe de travail sur les pensions de famille dans l'Isère, et gérant d'un hôtel social à Grenoble. Pour la plupart des intervenants, l'atout majeur est d'offrir une réponse à des besoins non couverts. « Ce n'est ni un produit de remplacement, ni un CHRS au rabais, comme certains nous le disaient, affirme Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale. C'est un des outils de la panoplie du logement très social, un produit différent qui ne relève pas de l'aide sociale. Un concept satisfaisant si on le ramène bien à ce qu'il est : une résidence sociale à durée non limitée avec une vie sociale un peu renforcée. »

Les pensions de famille ont toutefois leurs limites. Contrairement à ce que préconisait le groupe de travail qui a présidé au lancement du programme expérimental de 1997, il n'y a pas en leur sein de réelle mixité sociale. Son animateur, Philippe Almy, également directeur de l'Association pour favoriser l'insertion par le logement, reconnaît « que la mixité des publics y est assez limitée et les problématiques sociales souvent assez proches ».

Mais leur talon d'Achille reste la question des moyens. Nombreux sont ceux qui soulignent la difficulté à monter un financement et à le maintenir de façon durable. En avril 2002, un projet de circulaire du secrétariat d'Etat au logement et du ministère de l'Emploi et de la Solidarité prévoyait un financement DDASS de 8  € par jour et par place, pour le poste d'hôte notamment. Mais, pour cause de changement de gouvernement, elle n'a jamais été publiée. Par ailleurs, selon l'étude Opsis, « ce mode de calcul pourrait avoir pour effet d'inciter à la création de structures de taille importante, ce qui ne constituerait pas un atout ». Cette circulaire est « imminente », selon l'entourage de Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, qui veut donner un nouveau souffle aux pensions de famille (2). « S'il n'y a pas de financement clair de la part de la puissance publique pour offrir un droit commun au logement pour ces populations, toutes ces initiatives qui avaient commencé à rendre des services sont réinterrogées, estime Frédérique Mozer. Un engagement financier fort donnerait une garantie de qualité en permettant le maintien de structures de petite taille. »   (3).

La vigilance est d'autant plus grande que certains, comme Alain Nouvelot, redoutent que l'on en fasse « des CHRS à moindre coût ». « On peut, estime-t-il, être tenté de faire une structure beaucoup plus légère financièrement que les CHRS ou, autre grande tentation, de cacher la misère, de créer des établissements qui regroupent des gens qu'on ne verra plus. »

Se voir cataloguer comme établissement de travail social coûtant moins cher que d'autres est une crainte des promoteurs. « Nous tenons à affirmer que les pensions de famille sont des lieux d'habitat, et ne sont en aucun cas dans le champ de l'action sociale - même si nous sentons bien que c'est un lieu entre deux », se défend Pierre Mercier, de l'association lyonnaise Habitat et humanisme (4). Les deux pensions de famille qu'elle soutient dissocient bien la fonction habitat de la fonction accompagnement. Cette déconnexion entre logement et intervention sociale et l'absence de travailleurs sociaux à l'intérieur des lieux constituent une ligne d'action. Il s'agit en effet de rompre avec une vision en termes de parcours d'insertion pour ces publics en situation d'errance, d'isolement social ou relationnel. « On ne se situe pas dans une chaîne pseudo- ascensionnelle d'accès au logement qui irait de l'hébergement d'urgence à l'accès à la propriété. Il s'agit simplement de rechercher un habitat adapté à la situation des personnes, et, pour nous, d'affirmer un droit au logement adapté pour tous. » Même si, reconnaît Pierre Mercier, il serait illusoire de vouloir tout traiter par le biais de l'habitat.

Mais quand l'habitat de droit commun classique ne suffit pas, il faut produire un mode d'habitat adapté : la pension de famille devient alors un lieu de réflexion sur le logement et la ville, en même temps qu'un lieu de critique des institutions et du travail social. « Or il est positif d'avoir ce regard critique, ces réponses alternatives à l'institution, estime François Boursier, conseiller technique à l'Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss) Rhône-Alpes. Reste qu'il ne suffit pas de prendre acte du fait que certaines personnes ne sont pas réinsérables : il serait facile de les mettre à l'écart. » Selon lui, le travail social aurait beaucoup à apprendre de ce type de projets pour, face à certains publics, sortir d'une logique d'insertion à tout prix, pour faire vivre simplement le lien social.

Sandrine Pageau

LA « MAISON HEUREUSE »

Sur le fronton de cette grande maison en meulière de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), le cadran solaire porte une épigraphe : « Hora felicitatis sum »   (5) . Elle a inspiré le nom de la « Maison heureuse », pension de famille pour personnes fragilisées par un handicap mental ou psychique. Dans ce vaste pavillon ancien augmenté récemment d'un bâtiment neuf, vivent 30 personnes, 18 hommes et 12 femmes, âgés de 22 à 60 ans. Trois types de logements leur sont proposés : des chambres avec sanitaires privés, des studettes avec coin kitchenette, des studios avec accès indépendant et cuisine. Ainsi, chacun habite un logement indépendant adapté à ses besoins et à sa problématique, qu'il s'agisse de souffrance psychique, de handicap mental ou parfois physique. La structure est née d'un constat de l'association « Les Amis de l'atelier »   (6) , porteuse du projet. Celle-ci animait alors, dans ce même bâtiment, un foyer d'hébergement pour 24 personnes handicapées travaillant en centre d'aide par le travail. « Au fil des années, a émergé le besoin d'un autre type d'hébergement, explique Claude Hege, son directeur. L'appel à projets de 1997, qui évoquait un logement durable et privatif, favorisant la convivialité, a été lancé au moment où nous souhaitions faire évoluer notre accueil. Nous nous sommes lancés. » Chacun, pour un loyer de 70 à 200  € selon ses ressources, a désormais son propre logement, dans un environnement rassurant. Un accompagnement socio-éducatif, financé par le conseil général, est assuré au quotidien pour ceux qui vivent en studette ou en chambre. « Il est lié à la spécificité du public, qui aspire à être indépendant, mais a besoin d'un accompagnement sur place, pas dans un bureau déconnecté de la réalité de l'endroit où il vit », insiste Claude Hege. Pour les six locataires des studios, plus autonomes, la présence est beaucoup moins forte et un partenariat fonctionne avec le service d'accompagnement de Châtenay-Malabry. Mais chaque mercredi soir, ils dînent avec la maîtresse de maison. Le couple d'hôtes (7) assure en effet l'animation, l'accueil, mais aussi l'organisation pratique de la vie de la maison. Ils se rendent disponibles pour faire des courses, préparer un repas, animer des activités, monter une étagère ou discuter autour d'un café.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2020 du 26-04-97.

(2)  Voir ASH n° 2281 du 18-10-02.

(3)  Selon un premier bilan tiré en décembre 2000 par le cabinet Fors recherche sociale, à la demande de la Fondation Abbé-Pierre, de l'expérience de huit pensions de famille, leur petite taille était l'une des conditions de leur réussite. Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.

(4)  Habitat et humanisme Rhône : 9, rue Mathieu-Varille - 69007 Lyon - Tél. 04 72 71 16 00.

(5)   « Voici l'heure d'être heureux ».

(6)  Les Amis de l'atelier : 17, rue de l'Egalité - 92290 Châtenay-Malabry - Tél. 01 46 29 59 00 - Site : www.lesamisdelatelier.org.

(7)  La rémunération de ces deux postes est prise en charge par une subvention annuelle de la DDASS. Le ministère de l'Equipement et la région Ile-de-France ont financé la création de la structure.

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