Attaqués par un brûlot intitulé L'enquête interdite. Handicapés : le scandale humain et financier (1), les gestionnaires des centres d'aide par le travail réagissent vivement. L'auteur, Pascal Gobry, s'en prend beaucoup plus largement au principe même de l'intervention publique et associative pour avancer des solutions ultra-libérales. « Voilà une situation rentable, parfois une sinécure : se dire parent d'un handicapé ». Directement mise en cause par ce propos et beaucoup d'autres égrenés tout au long du livre de Pascal Gobry, l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei) a été la première à réagir sur « cet ouvrage [qui] met gravement en cause sa probité et celle des associations qu'elle fédère sur le fondement d'informations largement erronées et approximatives, de raccourcis simplificateurs ou encore de cas d'espèce hâtivement généralisés ». Ajoutant, contrairement à ce qu'insinue l'auteur, que ses associations « sont gérées par des parents bénévoles », « souvent père, mère, frère ou sœur d'une personne handicapée », l'Unapei tient « la tonalité générale de cet opuscule pour offensante » à leur égard. Elle a d'ailleurs décidé de porter l'affaire devant les tribunaux et de poursuivre Pascal Gobry pour diffamation.
A l'auteur qui s'en prend surtout au fonctionnement des centres d'aides par le travail (CAT), qualifiés d' « usines ségrégatives » où les handicapés sont retenus à vie et traités « pire qu'au Bangladesh », l'Unapei répond que les CAT constituent « un instrument d'insertion sociale et professionnelle irremplaçable pour les 100 000 personnes parfois lourdement handicapées qui y travaillent et pour lesquelles toute progression vers le milieu ordinaire est souvent illusoire, l'alternative étant le plus souvent un maintien des personnes concernées au domicile de leur famille ».
Même rappel de la part de l'Association nationale des directeurs et cadres de centres d'aide par le travail (Andicat), qui regroupe 550 dirigeants de CAT sur 800, et qui indique que 90 % des employés des CAT sont des handicapés mentaux et que « pour 20 à 30 % d'entre eux, les CAT servent d'alternative à l'hospitalisation psychiatrique ou à d'autres structures de santé mentale ». Soutenir que les responsables du milieu protégé freinent « l'intégration professionnelle en milieu ordinaire équivaut non seulement à méconnaître les besoins des populations concernées mais aussi les exigences de l'environnement économique qui laissent peu de place aux publics défavorisés et handicapés », ajoute-t-elle.
L'Unapei indique également « que c'est en vertu du caractère d'établissement médico-social des CAT que les travailleurs handicapés n'ont pas le statut de salarié et qu'ils ne sauraient en aucun cas être licenciés ». Quant à « la part de financements publics perçue par les CAT et contrôlée par l'administration », elle ne constitue « que la compensation financière des surcoûts liés à l'emploi de personnes ne présentant qu'une aptitude potentielle à travailler ». L'Andicat précise que « le coût annuel moyen d'une place est de 10 000 € pour l'Etat, bien loin du coût d'un chômeur ou de beaucoup de subventions accordées aux entreprises pour le maintien ou la création d'emplois ».
A l'opposé, L'adapt salue le livre de Pascal Gobry, qui « dénonce les conditions de travail des handicapés dans les CAT, notamment leur rémunération, l'absence de droits à la représentation et les incohérences du système d'orientation ».
Pour le Collectif des démocrates handicapés (CDH), « si des critiques du fonctionnement du monde associatif sont nécessaires, il ne faut pas oublier que sans les associations, la situation des personnes handicapées serait encore plus désastreuse ». Pour lui, qui met surtout en cause « le désengagement » et le « mutisme » du monde politique, l'ouvrage « est une occasion formidable d'ouvrir enfin le débat sur la place des personnes handicapées dans la vie de la cité ».
« Mais peut-on être lu » ou entendu à propos d'un tel sujet « si l'on ne tient pas des propos venimeux ? », s'interroge l'Andicat, qui rappelle qu'elle a demandé aux pouvoirs publics d'établir un état des lieux quantitatif et qualitatif des CAT et qu'elle appelle de ses vœux « un statut juridique des employés handicapés plus adéquat ainsi qu'une élévation de leurs ressources pour améliorer leur intégration dans la vie sociale ». Un directeur de CAT, Jean-Paul Galeyrand, réaffirme aussi (2) que la spécificité et la mission sociale des CAT « ne leur donnent pas le droit de pratiquer des salaires inéquitables ». Pour lui, « il est préférable d'avoir le courage de traiter de nos imperfections plutôt que d'être confrontés » à « l'opprobre » d'affirmations rapides et « tapageuses ». « Le statu quo n'est plus possible » dans les CAT, estime aussi la CFDT, qui rappelle néanmoins que « beaucoup attendent encore de pouvoir y entrer ». Choquée par « les amalgames » et « le discrédit » jeté « sur des lieux d'accueil dont l'activité est complexe et fragile », l'organisation syndicale « souhaite que la situation statutaire des “ouvriers de CAT” soit modernisée, en constituant des références aux conventions collectives, en permettant de donner de véritables responsabilités de délégués, en organisant mieux leur accès à la formation professionnelle et à la mobilité ».
Mais bien au-delà des seuls CAT, Pascal Gobry s'en prend à l'ensemble du système public et associatif de prise en charge des handicapés. En attaquant avant tout son coût. Et sans craindre les contradictions quand il déplore, par exemple, que les titulaires de l'allocation aux adultes handicapés soient juste au-dessus du seuil d'attribution de la couverture maladie universelle, et trouve par ailleurs les aides et allocations trop élevées puisqu'elles incitent de nombreux « faux handicapés » à les demander et découragent les vrais handicapés de travailler...
Mais le problème réel réside, à ses yeux, dans les « torrents de subventions », avouées ou, le plus souvent, « occultes », dont « l'Etat incompétent » inonde les associations à qui il laisse la prise en charge des handicapés. Ces associations gestionnaires honnies sont accusées de tous les maux. Elles veulent avant tout remplir leurs établissements sans égard pour l'intérêt des enfants ou des adultes concernés. Elles pratiquent une « concurrence déloyale à grande échelle » aux petites entreprises. Elles sont encore coupables d'affairisme, notamment lorsqu'elles se constituent un patrimoine en dégageant des bénéfices ou en remboursant des emprunts grâce aux prix de journée consentis par la sécurité sociale (un reproche que l'on n'a jamais vu formuler à l'encontre des cliniques privées...).
La solution ? Pascal Gobry la connaît : « Privatiser l'aide aux personnes handicapées, élargir considérablement » les exemptions fiscales pour les dons des entreprises et des particuliers, et les diriger vers des fondations « indépendantes », « constituées sans autorisation ». Comme aux Etats-Unis, « l'argent privé doit pren- dre la place de l'argent public ». L'auteur ne se donne pas la peine d'expliquer comment ce nouveau système parviendrait à changer le regard de la société qui, selon lui, préfère exclure les handicapés pour des raisons esthétiques. Il ne dit pas, non plus, par quel miracle il persuaderait les entreprises, si rétives aujourd'hui (et sans les aides amplement dénoncées par ailleurs), d' « embaucher des quasimodos ».
On le voit, cet ouvrage brasse de vrais problèmes- bien connus comme les faiblesses des commissions d'orientation et le surchômage des handicapés, ou plus rarement évoqués comme le mode de financement paradoxal des CAT -, de bonnes recommandations - comme la nécessaire transparence des comptes - avec des amalgames injurieux, des généralisations abusives- les dérapages comme ceux de l'Yonne étant répétés à satiété et érigés en exemples mêmes du fonctionnement courant des associations - et des thèses discutables avancées comme des vérités premières et des solutions miracles. Il n'a même pas le mérite d'être un bon pamphlet - il faudrait qu'il soit plus sérieusement étayé et ne se contente pas de compiler des études connues, des informations datées ou des scandales déjà sur la place publique et confirmés par des rapports de l'inspection générale des affaires sociales... Bref, on voit mal comment il pourrait faire avancer les causes qu'il prétend servir. A moins que son seul but n'ait été l'effet de scandale, le battage médiatique et le gros tirage qui va avec ?
M.-J. M.
(1) Ed. Le Cherche midi - Novembre 2002 - 18 €.
(2) Voir ASH n° 2211 du 20-04-01.