« On a choisi de vivre à domicile. C'est un choix auquel l'entourage paie un lourd tribut. Les conjoints craquent », témoigne Marie-Christine Agon, psychosociologue et handicapée. « Je partage ma vie depuis 19 ans avec une personne lourdement handicapée. Du fait de l'évolution de la pathologie de mon époux, je ne travaille plus que deux jours par semaine. Et je ne souhaite pas finir ma vie avec le minimum vieillesse ! », lance Martine Lattron-Beauvais, assistante sociale. Comme d'autres, elles ont exprimé leur colère sur la situation inacceptable des personnes lourdement handicapées en France, lors de la création de la « Coordination handicap et autonomie » (1), le 7 novembre, au... Sénat. Tout un symbole en termes de reconnaissance.
Réunissant des individus (handicapés, sociologues (2), professionnels) et soutenu par 11 associations (3), « ce mouvement », selon l'expression de son porte-parole, Marcel Nuss, défend le droit à l'autonomie et le libre choix des personnes lourdement dépendantes. Que celles qui le souhaitent puissent vivre dignement à domicile. Faut-il rappeler que l'allocation compensatrice pour tierce personne ne permet de rémunérer une auxiliaire de vie que trois heures par jour alors que les intéressés ont souvent besoin d'une assistance 24 heures sur 24 ? Et que certaines situations dramatiques se rapprochent, selon les termes mêmes de Marcel Nuss, de la non-assistance à personne en danger ? La coordination se présente donc comme une instance de concertation et une force de proposition pour que ceux qui ne peuvent accomplir seuls les actes de la vie courante aient les aides nécessaires en fonction de leurs besoins.
Cette initiative est née du long combat mené par Marcel Nuss, tétraplégique et trachéotomisé, pour obtenir une enveloppe financière lui permettant de rémunérer du personnel à domicile jour et nuit. Au terme d'un bras de fer avec le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et après avoir menacé (pour la deuxième fois) d'entrer en grève de la faim avec une dizaine d'autres handicapés, il obtient, le 11 mars 2002, de Ségolène Royal et d'Elisabeth Guigou, un programme expérimental d'actions pour les grands dépendants vivant à domicile (4). Et la promesse qu'une centaine de personnes seraient concernées en 2002. Avec le changement de gouvernement, les fonds seront finalement débloqués en septembre pour... 13 han-dicapés, dont Marcel Nuss. Ce dernier devient alors le premier citoyen handicapé en France à embaucher et gérer le personnel dont il a besoin (quatre salariés à temps plein). Une possibilité qu'il voudrait voir aujourd'hui étendue à tous ceux qui le souhaitent.
Le mouvement est en tout cas amorcé. Le nouveau secrétariat d'Etat aux personnes handicapées reprend l'initiative de ses prédécesseurs en lui donnant un cadre plus général. Par le biais de la circulaire du 11 octobre (5), il annonce la mise en place sur des sites (à définir) d'un dispositif expérimental de soutien à domicile. Un signe encourageant pour Marcel Nuss, qui se réjouit de la volonté du gouvernement d'étudier les réponses au cas par cas, en tenant compte des besoins des personnes. Encore faut-il, selon lui, « éduquer » les DDASS dont certaines ont une conception de l'autonomie « assistée ». La coordination, qui était reçue le 6 novembre par Marie-Thérèse Boisseau, a d'ailleurs proposé à cette dernière la création d' « une mission avec un médiateur » qui se rendrait dans les services déconcentrés. Elle doit également lui soumettre un calendrier de rencontres. Le dialogue est donc ouvert. Reste une inquiétude de taille : les moyens que le gouvernement est prêt à allouer pour l'expérimentation et sur lesquels le flou demeure.
Isabelle Sarazin
(1) Contact : Marcel Nuss - 10, rue de Bourgogne - 67150 Erstein - Tél. (fax) 03 88 98 68 12 -
(2) Dont Henri-Jacques Sticker et Nicole Diederich.
(3) APF, Unapei, GIHP, CDH, Handicap international, ALIS, CAS, CRHES, GFPH, Handicap services, Handi'Toit Provence.
(4) Voir ASH n° 2254 du 15-03-02.
(5) Voir ASH n° 2282 du 25-10-02.