Dans l'univers de la certification, c'est une révolution. Les 28 premiers diplômes d'Etat d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) ont été décernés, en juillet dernier, à des candidats qui les ont obtenus intégralement par validation des acquis de l'expérience (VAE) (1). Avant même que les premières formations menant à ce diplôme ne se mettent en place à la rentrée 2002 ! 82 autres salariés ont bénéficié de la reconnaissance de un à dix modules (sur 11), qu'ils pourront compléter, dans les cinq ans, par la formation continue, pour obtenir la totalité du titre.
En l'occurrence, la direction générale de l'action sociale (DGAS) et la branche de l'aide à domicile n'ont pas traîné. Créé le 26 mars 2002 pour remplacer le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile (CAFAD), le nouveau diplôme - de niveau V, premier échelon de la filière rénovée de l'aide à domicile - a été publié d'emblée avec un référentiel professionnel précisant les activités et les compétences attendues de son titulaire. Il était aussi accompagné d'un référentiel de certification, composé de 11 modules. A quoi s'ajoutait un tableau d'équivalences avec d'autres diplômes des secteurs sanitaire, social et des services, offrant à leurs titulaires une validation automatique de certains desdits modules. Tout cela permettait de tirer immédiatement parti des dispositions de la loi de modernisation sociale de janvier 2002 organisant la validation des acquis de l'expérience. La décision d'expérimenter cette nouvelle faculté a été annoncée en mars, par anticipation sur les premiers décrets VAE, sortis fin avril. L'affaire a été rondement mise en place sur le terrain en mai-juin et les premiers DEAVS ont été décernés avant les vacances.
Concrètement, l'expérience a été copilotée par la DGAS et les partenaires sociaux, réunis dans le cadre de la commission paritaire de l'emploi et de la formation professionnelle (CPNE) de l'aide à domicile. Elle s'est déroulée, sous l'égide des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), dans sept régions : Bretagne, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Poitou- Charentes et Rhône-Alpes. Et avec quatre fédérations d'employeurs (2) : l'Unassad (pour 45 salariés), l'Unadmr (44), l'Adessa (13) et la FNAID (10). 65 associations employeurs se sont prêtées au jeu et 112 aides à domicile. 21 centres de formation ont aussi été mis à contribution.
Les candidats - des volontaires, naturellement - devaient être salariés en cours d'emploi et justifier de 3 000 heures d'expérience professionnelle, sur une durée minimale de trois ans. La CPNE avait souhaité des profils variés, par l'âge, l'ancienneté professionnelle, les diplômes antérieurs, ce qui s'est vérifié dans la réalité. L'expérimentation autorisait - et finançait - un accompagnement, individuel ou collectif, de 24 heures :sept heures par l'employeur et 17 par un centre de formation agréé. Il s'agissait d'aider les candidats à constituer leur dossier, à dresser la liste passée et présente de leurs activités, à déterminer leurs compétences et à les évaluer, enfin à préparer l'entretien d'une heure avec le jury. Même s'il pouvait se faire conseiller, c'était au salarié - et à lui seul -de décider du nombre et de la nature des modules qu'il demandait à valider.
Globalement, les résultats sont jugés excellents par les membres de la commission. « Nous partions dans l'inconnu et n'avions osé en espérer autant », précise Catherine Lapouge, secrétaire fédérale de la CFDT Santé-sociaux et vice-présidente de la commission paritaire. La satisfaction s'appuie d'abord sur le bilan quantitatif : 75 % de succès par rapport aux modules demandés et 61 % par rapport à l'ensemble des diplômes. « C'est très bien pour des candidats dont la plupart éprouvent des difficultés avec l'écrit, ont du mal à mettre en mots leurs activités, craignent le passage devant un jury, son côté “examen” », souligne Chantal Meyer, directrice adjointe de l'Unadmr et présidente de la CPNE. « Cependant, les candidats n'ont pas été choisis au hasard, nuance Estelle Maillard, conseillère en formation à l'Adessa. Les employeurs qui les ont informés et encouragés à se présenter les ont forcément choisis pour leur motivation et leurs chances de décrocher au moins quelques modules... » Pour autant, « la différence entre les modules demandés et validés montre que les jurys ont procédé à leur propre évaluation et qu'ils n'ont pas “bradé” le diplôme », insiste Chantal Meyer.
Sans surprise, les modules plus « techniques », comme ceux ayant trait à l'hygiène et à la santé, à l'alimentation ou à l'entretien du linge et de la maison, ont été les plus demandés et les plus validés (à 88 % en moyenne). Les modules relevant des méthodologies d'intervention, qui ne pouvaient faire l'objet d'aucune validation automatique et qui correspondent à de nouveaux champs de compétences, ont été moins souvent validés (69 %). « Mais le module le plus discriminant, pour lequel le taux de validation n'atteint que 60 % de la demande, est celui qui traite de la connaissance des publics, remarque Chantal Meyer. Nos salariés n'ont souvent affaire qu'à une seule catégorie d'usagers, par exemple les personnes âgées. Il faut que nous en tirions les conséquences en matière de formation, mais aussi de gestion des emplois, si nous voulons que le maximum d'aides à domicile accèdent au diplôme. »
Plus surprenant peut-être : le taux de réussite n'est pas, ou très peu, corrélé avec le niveau scolaire initial. Il l'est, par contre, avec les qualifications antérieures ayant un rapport direct avec l'aide à domicile. Ainsi, les candidats de niveau bac ont, en moyenne, un résultat supérieur de deux points à celui des titulaires du BEPC, mais leur performance est inférieure de 15 points à celle des lauréats d'un BEP sanitaire et social.
Au plan qualitatif aussi, les conclusions de la CPNE sont très favorables, tant pour la méthodologie employée que pour l'impact sur les salariés et la profession. Le document de 83 pages approuvé le 17 octobre détaille les constatations faites. D'abord, lors d'une tournée des sept régions, accomplie en juin par des délégations paritaires parties à la rencontre des DRASS et des centres de formation. Puis, à partir des questionnaires remplis, expérience faite et chacun de son côté, par les salariés, les employeurs, les centres de formation et les DRASS. La CPNE en tire les conclusions avec une série de préconisations pratiques pour la suite des événements.
Premier problème soulevé : celui des délais. Toutes les parties les ont trouvés trop courts. « Ils ont créé un véritable stress dans certaines DRASS ainsi que dans quelques centres de formation », sourit Estelle Maillard. Aux candidats aussi, il faut laisser le temps de la réflexion. « L'accompagnement doit être étalé sur au moins trois mois, afin de permettre aux salariés de bien s'imprégner du dossier, avec le recul nécessaire », indique Sylviane Spique, de la fédération des organismes sociaux CGT.
Autre question souvent abordée : la nature du dossier, son volume (une cinquantaine de pages), sa complexité, le vocabulaire utilisé, l'impression d'une certaine répétition entre les parties visant à décrire les activités et les compétences. « Finalement, il y a peu de modifications à lui apporter, juge Marie-Noëlle Corvol, chargée de mission à l'Unassad. L'expérience a prouvé que c'est un bon support. Il peut, certes, paraître un peu rébarbatif au départ, mais les salariés ont démontré qu'avec un bon accompagnement, ils pouvaient le maîtriser. Il y aura sans doute quelques mots à expliquer, mais l'obtention d'un diplôme professionnel suppose de maîtriser le vocabulaire de la profession. Personne ne veut délivrer un diplôme au rabais, ou à deux vitesses. »
La composition et la mission des jurys ont aussi suscité beaucoup d'interrogations. Les DRASS ayant choisi - c'est normal - d'y convier des personnes sans lien avec les candidats, quelques examinateurs n'ont semblé connaître ni le métier d'auxiliaire de vie sociale, ni le référentiel du diplôme... Plus souvent, les jurys ont posé des questions sensées et pragmatiques. Comment juge-t-on de compétences à travers des écrits et un entretien, sans mise en pratique ? Si le candidat n'a d'expérience professionnelle qu'avec les personnes âgées, peut-il évoquer son expérience familiale personnelle et si oui, comment et jusqu'où la prendre en compte ? Comment procéder en une heure s'il y a 11 modules à valider ?Faut-il tous les passer en revue ? Au contraire, s'il n'y en a que deux, comment ne pas tomber dans un interrogatoire serré portant plus sur des connaissances que sur des pratiques ? « Les membres du jury sont parfois restés dans une logique d'examen de fin de formation,
plus que dans une dynamique de valorisation des acquis », critiquent certains témoins. Quelques candidats se sont même senti « déstabilisés » par des questions trop théoriques. « Malgré tout, les difficultés semblent avoir été surmontées et les résultats d'un jury à l'autre paraissent assez homogènes », note Estelle Maillard. « Il faudra sans doute diffuser un minimum de méthodologie pour préparer les jurys à leur tâche et adapter leurs pratiques à la VAE », ajoute Marie-Noëlle Corvol. Il faudra aussi donner des consignes afin que les examinateurs disposent d'un temps suffisant pour travailler sur les dossiers avant l'entretien et qu'ils puissent ainsi mieux cibler, cas par cas, les sujets qu'ils voudront vérifier ou approfondir.
La CPNE se prononce également sur la nature et la durée de l'accompagnement. « Nous demandons que les salariés puissent bénéficier d'un congé VAE de 31 heures au lieu de 24, avec sept heures de suivi de plus par le centre de formation, indique Catherine Lapouge. En tant qu'administrateurs des organismes collecteurs, nous négocierons leur financement. Ce qui n'est, aux termes de la loi, que facultatif doit aussi faire l'objet d'une forte incitation. L'accompagnement est indispensable pour des salariés peu coutumiers de l'écrit. C'est un gage de réussite. Remplir le dossier représente beaucoup de travail. Même avec une durée d'accompagnement plus longue, la plupart de salariés devront encore prendre sur leur temps personnel, il s'agira d'un co-investissement. »
Il faut encore que les centres de formation se placent bien dans une logique d'accompagnement. « C'est un nouveau rôle pour eux, souligne Sylviane Spique. Dans la VAE, c'est le candidat qui est la personne ressource, pas le formateur. Ce dernier doit aider à déclencher la réflexion, à repérer et à nommer les compétences. Il a une fonction d'apport méthodologique, pas d'enseignement ni d'évaluation. » Un cahier des charges devrait accompagner la procédure d'agrément des centres accompagnateurs, indique la CPNE. Quant aux employeurs, ils ont un rôle important en matière d'information des salariés, mais aussi de vérification des pré-requis avant l'entrée dans la démarche de validation. Sauf à laisser leurs aides à domicile « partir au casse-pipe » et revenir plus meurtris que valorisés.
Mais pour les salariés qui se sont lancés à bon escient, quelle satisfaction ! « Les uns ont apprécié que leur employeur ait pensé à eux pour cette expérience, c'était déjà une façon de reconnaître leur travail et leurs compétences, constate Catherine Lapouge. D'autres saluent le soutien des centres de formation qui les ont aidés à prendre conscience de leurs ressources, de l'importance de leur expérience. “Ce que je faisais naturellement est reconnu comme une compétence !”, écrit joliment une candidate. Beaucoup ont pris conscience de leurs acquis mais aussi de leur faculté d'évolution, et y ont gagné plus de confiance en eux. Certains candidats disent également mieux connaître leurs limites ou s'être remis en question à l'occasion de l'épreuve. Pour la plupart, malgré le stress, l'expérience a été positive ou très positive. Pour ma part, je considère d'ailleurs ce travail sur soi et sur ses pratiques professionnelles comme une formation ! Au total, ce bilan ouvre de bonnes perspectives pour la branche, qui a tant besoin de formation, mais qui prouve aussi son potentiel. »
120 salariés se sont engagés dans l'expérimentation de validation des acquis de l'expérience (VAE) pour le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale. Sept ont rapidement abandonné et un candidat n'a pas été pris en compte car déjà titulaire d'un diplôme (plus élevé) de technicien de l'intervention sociale et familiale. 112 candidats, âgés de 23 à 53 ans, ont donc effectivement participé à sa réalisation (110 femmes et 2 hommes). Ils ont demandé chacun la validation de deux à onze modules - neuf en moyenne - avec un taux de réussite de 75%. 9 % des modules ont été validés automatiquement (par équivalence) et 66 % par la VAE.25 % des candidats ont obtenu la totalité du diplôme et 67 % plus de la moitié. 2 % n'ont décroché aucun module.
« Cette expérimentation est décidément très riche d'enseignements pour tous, ajoute Chantal Meyer. Pour les employeurs qui peuvent en tirer des orientations fortes pour la gestion des emplois et des compétences. Pour les centres de formation qui ont des indications très claires sur le type et les modules de formation à mettre en place. La VAE est vraiment un outil fabuleux pour cette branche qui a un tel besoin de reconnaissance. » En tout cas, la preuve est faite qu'il est possible de professionnaliser des aides à domicile en activité. Qu'il n'est pas utile de former des salariés sur des contenus et des pratiques qu'ils possèdent déjà. Que les parcours de qualification peuvent être individualisés et axés sur les seules compétences manquantes. Et qu'il sera possible de réduire les coûts de formation alors même que le passage du CAFAD au DEAVS a allongé la durée maximale des cursus de 370 à 1 060 heures. « Après la VAE, il faut absolument donner au salarié le moyen d'aller jusqu'à la certification, avec les formations complémentaires nécessaires », insiste Sylviane Spique.
Sur tous ces points, la conviction des partenaires sociaux est forte et unanime. De même que sur la possibilité de généraliser la VAE pour ce diplôme . « Sans délai », précisent employeurs et salariés. Sous réserve des quelques modifications suggérées - qui sont faciles à mettre en place rapidement et ne changent rien à l'essentiel du dispositif, insistent-ils - et qui visent avant tout « à harmoniser les pratiques sur l'ensemble du territoire et à garantir un diplôme de valeur nationale », précise Catherine Lapouge. « Nous avons trouvé facilement des volontaires parmi les associations et les salariés, pour un diplôme encore peu connu et une forme d'obtention qui l'est encore moins. Il n'y a pas de raisons que cela ne marche pas avec une extension de l'offre et une diffusion des premiers résultats », juge Estelle Maillard. « Il n'y a pas à hésiter longtemps sur un dispositif intelligent et tellement bien adapté aux besoins de notre secteur », insiste Marie-Noëlle Corvol.
A la DGAS, Sylvie Moreau, sous-directrice de l'animation territoriale et du travail social, est plus prudente. D'abord parce qu'elle attend encore, pour affiner son jugement, quelques bilans dressés par les DRASS qui « remontent tranquillement ». Ensuite, parce qu'elle réserve la primeur de ses appréciations aux partenaires sociaux qu'elle rencontrera le 27 novembre lors d'une réunion de travail dont elle attend beaucoup. « Cette expérimentation est une première nationale et il est très important d'en faire une bonne évaluation », insiste-t-elle. N'empêche : elle se dit déjà très satisfaite de la qualité de la collaboration qui a prévalu entre les pouvoirs publics et la branche sur ce sujet. Et ajoute que « tous ont bien travaillé ». Par contre, elle s'interroge sur la faisabilité et les risques d'une généralisation trop rapide. Les services de l'Etat comme la branche pourront-ils faire face s'il y a 1 000,5 000,20 000 demandes ? En auront-ils les moyens humains et financiers ? Faut-il ouvrir la VAE aux personnes qui ne sont plus dans l'emploi ? aux bénévoles ? aux femmes qui ont simplement gardé leurs parents à domicile ? à tous les types d'employeurs ? sur l'ensemble du territoire ?Faut-il dire oui à tout, tout de suite, d'un coup ? ou bien desserrer progressivement les vannes ? Mais c'est déjà trop en dire... Sylvie Moreau attend d'abord le « debriefing commun » et la discussion.
« La priorité, ce sont évidemment les salariés, tranche Chantal Meyer, et c'est l'ADMR, qui valorise par ailleurs le rôle des bénévoles, qui le dit ! » « S'il existe une condition à la généralisation de la VAE, c'est la diffusion d'une très bonne information dans les réseaux, auprès des employeurs et des salariés, juge pour sa part Marie-Noëlle Corvol. Tout le monde n'a pas encore assimilé les exigences du DEAVS, ni la mécanique de la VAE. Il ne faut pas susciter de faux espoirs. Les désillusions suivraient à proportion. Cette information sérieuse permettra également d'éviter l'engorgement de la demande... »
Ah si ! Il existe une autre condition, massive, évidente, « incontournable » :l'adoption rapide de la convention collective unique de branche et de ses grilles de qualifications et de salaires. Car, pourquoi les salariés iraient-ils faire valider leurs acquis et se former sur leurs manques, si cela ne débouchait pas aussi sur de nouveaux échelons et une reconnaissance sonnante et trébuchante ? A quoi leur servirait un beau parchemin s'il ne valait pas trois kopecks ? C'est pourtant le cas, dans l'état actuel de certaines conventions où, par exemple, la prise en compte des diplômés CAFAD est contingentée. A ce jour, il n'est pas sûr que les 28 premiers titulaires du DEAVS en aient tous tiré autre chose qu'une légitime fierté et les félicitations du jury. Et que certains ne soient pas encore et toujours au SMIC. Un scandale qui ne peut, évidemment, perdurer.
Marie-Jo Maerel
(1) Sur le nouveau diplôme et ses référentiels professionnel et de certification, voir ASH n° 2257 du 5-04-02. Sur la validation des acquis de l'expérience, voir ASH n° 2262-2263 du 17-05-02 et n° 2264 du 24-05-02.
(2) L'Union nationale des associations de soins et services à domicile (Unassad), l'Union nationale ADMR (Unadmr), le réseau des associations d'aide à domicile (Adessa) et la Fédération nationale d'aide et d'intervention à domicile (FNAID).