Tout commence au milieu des années 80. Observant les distributions de pommes de terre à l'attention des populations les plus démunies via les circuits traditionnels de la banque alimentaire, des élus de la Roche-sur-Yon prennent conscience que les bénéficiaires de ces surplus n'ont pas accès à un certain nombre de produits élémentaires. Le centre communal d'action sociale (CCAS) (1) décide alors d'apporter son soutien financier à la banque alimentaire pour élargir l'offre à une quinzaine de produits supplémentaires, tels que le chocolat, le café et les produits d'hygiène ou d'entretien. Ce sera le véritable point de départ d'une réflexion générale sur l'alimentation et la nutrition et sur la façon de coordonner une politique innovante et cohérente dans ce domaine. « Dans les années 1983- 1984, beaucoup d'habitants ont eu un choc en s'apercevant que des personnes en ville n'avaient pas de quoi se nourrir correctement et en voyant qu'on revenait à des pratiques qui rappelaient les tickets de distribution ou les soupes populaires. On s'est dit qu'on pouvait faire de l'aide alimentaire un instrument de mobilisation des usagers à partir de ce qu'ils savent, de leurs compétences », se souvient Elisabeth Avrit, responsable de l'association Graine d'ID.
Appuyée sur le partenariat très local des maisons de quartier, l'organisation de la distribution alimentaire évolue alors vers une meilleure prise en compte des besoins des usagers. « Nous avons décidé de déléguer aux groupes de bénévoles implantés dans les maisons de quartier la responsabilité d'organiser leurs commandes de produits alimentaires en fonction des besoins spécifiques locaux. Il est évident par exemple qu'un quartier où vit une population en majorité d'origine nord-africaine a des traditions alimentaires qui suppose une gestion particulière de l'approvisionnement », précise Clément Briaud, directeur général du centre communal d'action sociale. A l'initiative de ce même centre, un groupe de réflexion, rassemblant une vingtaine d'organismes et associations (2) se réunit dès 1996 au sein de la mission accueil de jour et met au point une charte de l'aide alimentaire. Affirmant notamment que « chacun, quelle que soit sa situation, est porteur de compétences, capacités, richesse, savoir-faire et dynamisme » et que « la mise en valeur de ces potentialités est un moteur important pour l'insertion », elle constitue l'acte fondateur de la politique de nutrition et d'alimentation menée jusqu'à présent dans la ville.
Quelques grandes directions sont donc tracées par les partenaires du groupe de réflexion. Il s'agit d'éditer des plaquettes municipales d'information, pour rendre l'ensemble des actions proposées plus lisibles (règles de fonctionnement, horaires), puis d'améliorer l'accueil des publics en organisant des formations pour les bénévoles. Pour sortir d'une simple démarche caritative, les partenaires décident en même temps de multiplier les actions favorisant le renforcement du lien social. En 1998, sont ainsi lancées les opérations des « Barbecues de l'été », qui permettent d'impliquer les personnes isolées et précaires autour de la préparation de repas collectifs organisés dans trois quartiers de la Roche-sur-Yon. La même année apparaissent les « tables ouvertes », nées à l'occasion d'une action de développement social des quartiers. L'opération s'est poursuivie ensuite et des repas collectifs, ponctués d'animations, sont préparés chaque semaine au sein des maisons de quartier dans une optique d'échanges et de convivialité pour une population souvent composée de personnes seules.
Au-delà de la seule aide alimentaire, la participation active des usagers à ces actions et l'emploi de plusieurs personnes en contrat emploi-solidarité (pour les tables ouvertes) visent à engager une dynamique d'insertion. Cette logique d'insertion apparaît très nettement dans la création au même moment d'une épicerie solidaire par l'association Graine d'ID. Ses responsables veulent donner la possibilité aux personnes démunies de choisir et d'accéder gratuitement aux produits de cette épicerie en échange de leur participation, trois demi-journées par semaine, à son fonctionnement (culture et récolte dans un jardin familial de légumes et fruits destinés à l'épicerie, cuisine, etc.) ou d'en être simplement des clients en achetant ces produits à petits prix. « Il était important de permettre à ceux qui le désirent de devenir des membres actifs de cette épicerie. En acquérant des denrées alimentaires qui sont aussi le produit de leur travail, les personnes n'ont plus affaire à des dons, souvent ressentis comme humiliants. Elles peuvent en outre retrouver une activité régulière, un lien avec le groupe, ce qui contribue à l'insertion professionnelle », explique Elisabeth Avrit. Parallèlement à cette démarche d'insertion en direction des membres actifs, cette initiative a permis de créer cinq contrats emploi consolidé ou emploi-solidarité.
Toujours sous l'impulsion de la ville, la politique d'aide alimentaire prend un nouveau tournant au milieu des années 90. Profitant de l'engagement de la mission solidarité-santé dans cette démarche, le partenariat s'élargit à de nouveaux acteurs institutionnels, tels que les établissements scolaires, la caisse d'allocations familiales (CAF) ou le Comité vendéen d'éducation pour la santé. C'est l'occasion pour les élus et certains de leurs partenaires de mettre en place des dispositifs innovants dans le domaine de la nutrition et de la santé, à l'instar de la « cuisinette ».
Créé en 1999, ce petit meuble mobile équipé d'une plaque chauffante et d'un évier, permet aux conseillères en économie sociale et familiale de la CAF de prodiguer leurs conseils sur les lieux même de l'aide alimentaire. « La préparation de recettes simples et économiques à partir des produits distribués a pour objectif de donner envie aux personnes démunies de cuisiner elles-mêmes. C'est un éveil aux saveurs, aux odeurs qui peut également inciter ces publics à prolonger cette expérience dans d'autres endroits, comme les tables ouvertes ou les cours des conseillères », poursuit Elisabeth Avrit.
Cette intégration de la dimension nutritionnelle s'accompagne également d'une ouverture vers de nouveaux publics, comme en témoigne l'organisation, depuis 1999, des petits déjeuners pédagogiques. Deux fois par an, et durant une semaine, élèves, parents et enseignants de 11 écoles de zones d'éducation prioritaire rencontrent des professionnels de la santé dans les écoles, lors de petits déjeuners pour aborder l'aspect de la santé dans l'alimentation. Cette opération va au-delà du simple volet éducatif pour aborder les problématiques scolaires. « En associant les parents à cette action, cela permettait de diffuser le message d'éducation à la nutrition jusqu'à la maison, de renforcer le lien avec l'école et de lutter contre l'échec scolaire. C'est important dans la mesure où l'on voit, par exemple, des élèves qui arrivent le matin sans avoir pris de petit déjeuner parce que leurs parents ne travaillent pas et donc ne se lèvent pas », explique Philippe Gaboriau, chargé de mission du contrat de ville.
Un des points forts de cette politique d'aide alimentaire réside dans sa perpétuelle remise en question. Cette volonté d'interroger l'efficacité des dispositifs mis en place se concrétise par le lancement en 2000 d'une étude sur « L'approvisionnement et les pratiques alimentaires des ménages à petit budget ». « L'aide alimentaire repose encore beaucoup sur la notion d'assistance. On souhaitait aller plus loin et voir, par exemple, comment on pourrait remplacer la distribution alimentaire par des chèques personnalisés », explique Claude Perret, maire-adjoint responsable des affaires sociales.
Les conclusions de cette étude pointent les difficultés rencontrées par les personnes disposant de faibles revenus et leurs attentes en matière d'aide et d'approvisionnement alimentaire. Familles monoparentales confrontées aux problèmes des gardes d'enfants et d'accessibilité à des centres commerciaux situés en périphérie, « travailleurs pauvres » n'ayant ni le temps, ni l'envie de recourir à des dispositifs de distribution alimentaire ressentis comme trop « stigmatisants », mé- connaissance des actions existant en dehors de leur quartier, rejet de l'assistance et positionnement de ce public en tant que consommateur ayant des exigences en termes de qualité des produits... les enseignements de cette enquête présentée en dé- cembre dernier alimentent aujourd'hui les réflexions des partenaires sur les nouvelles orientations souhaitables de leur politique.
Peu compréhensibles pour les usagers et éloignés de l'idée d'accompagnement et d'implication des publics, les distributions de chèques solidarité ont ainsi été supprimées cette année et de nouvelles pistes de travail sont explorées, comme la sollicitation des acteurs de la grande distribution afin de développer des emplois de services (livraison, etc.) ou le soutien aux emplois de proximité afin de faciliter l'accès des ménages à petit budget aux commerces. Plus généralement, c'est toute la question de l'élargissement du partenariat qui est posée, estime Claude Perret : « On est trop timorés en matière d'économie solidaire. On devrait pouvoir, dans le cadre du contrat de ville, étudier les problématiques de transport pour voir notamment comment améliorer, pour certains quartiers, la desserte des endroits où se trouvent les commerces ou encore interpeller les promoteurs immobiliers pour réfléchir aux implantations des zones d'habitat, à la vie quotidienne des habitants dans ces zones. »
L'enquête sur « l'approvisionnement et les pratiques alimentaires des ménages à petit budget », menée à l'initiative du centre communal d'action sociale de la Roche-sur-Yon, du Comité vendéen d'éducation pour la santé et de la caisse d'allocations familiales de la Vendée, a permis d'interroger 3 786 ménages disposant d'un revenu mensuel inférieur à 3 800 F (579,31 €). Parmi ceux-ci, près de la moitié (43,4 %, dont 23 % des actifs) vivent en dessous du seuil de pauvreté, et constituent donc ce que les sociologues appellent des « travailleurs pauvres ». Les personnes seules représentent près de 70 % du public interrogé, la moitié d'entre elles ne disposent pas de véhicule et sont donc peu autonomes et l'ensemble de ces ménages consacre le quart de leur revenu à l'alimentation, contre 18 % pour l'ensemble des ménages français.
L'information pourrait, elle aussi, être repensée et s'orienter vers de nouveaux outils, comme la télévision locale, sans doute plus adaptée à un public qui maîtrise souvent mal l'écrit. Les partenaires cherchent enfin des moyens d'impliquer davantage les usagers dans le fonctionnement des dispositifs. Pourquoi ne pas leur donner le choix de passer d'un simple statut d'usager à celui d'adhérent, de façon à ce qu'ils puissent être intégrés à l'organisation et à l'évaluation des dispositifs ?, s'interrogent certains responsables. Une façon, parmi d'autres, de permettre à chacun de « trouver sa place de citoyen dans la ville », conclut Claude Perret.
Henri Cormier
(1) CCAS : 10, rue Deville - 85000 La Roche-sur-Yon - Tél. 02 51 47 48 57.
(2) Aujourd'hui, le partenariat regroupe une vingtaine d'associations et d'acteurs institutionnels, s'occupant de l'organisation (CCAS, CAF, maisons de quartier, Mutualité de Vendée, etc.), de l'approvisionnement (banque alimentaire, Graine d'ID, etc.) ou de l'animation (agents locaux de médiation sociale, Secours catholique, mission locale, APAJH, etc.).