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Les mineurs isolés étrangers, un public « hors norme »

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Si l'arrivée des mineurs isolés étrangers en France suscite depuis quelques années débat, polémiques et initiatives gouvernementales, on connaît finalement peu de choses sur cette population, mal repérée et mal protégée. D'où l'intérêt de l'enquête - quantitative et surtout qualitative -que vient de remettre Angélina Etiemble à la direction de la population et des migrations (1).

D'abord les données fournies par la police de l'air et des frontières, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides  (OFPRA) sont très disparates. Et au niveau de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) et de l'aide sociale à l'enfance  (ASE), le recensement reste à réaliser, estime la sociologue. Sachant que, selon une évaluation établie en 2001 par la direction de la PJJ, 2 700 et 1 800 mineurs étaient connus respectivement des parquets et des directions départementales de la PJJ, sur lesquels 1 350 avaient été confiés à l'ASE.

D'après l'enquête qu'elle a elle-même menée auprès des services de l'ASE de différents départements (hors DOM- TOM), la sociologue estime à 1 980 les mineurs isolés ayant fait l'objet d'une demande d'admission en 2001. Chif- fre qui a triplé par rapport à 1999. 53 % de cette population est concentrée en Ile-de-France.75 nationalités ont été accueillies à l'aide sociale à l'enfance. La Roumanie, la Chine, le Maroc, l'Albanie et le Congo sont les cinq premiers pays d'origine. Quant à l'âge des mineurs, il se situe autour de 15-16 ans pour près de 40 % d'entre eux ; les trois quarts ont 15 ans et plus avec une forte proportion de garçons (huit pour deux filles en moyenne). « Tous les mineurs isolés étrangers ne sont pas demandeurs d'asile », rappelle la sociologue, observant que toutes les nationalités représentées à l'ASE, notamment les ressortissants roumains et marocains, ne figurent pas dans les données de l'OFPRA.

Angélina Etiemble a tenté également de cerner les motivations au départ pour dresser une typologie de ces jeunes. A côté des mineurs « exilés » qui quittent les régions ravagées par la guerre et les conflits ethniques, d'autres « mandatés » sont incités à s'expatrier par leurs proches pour échapper à la misère : à charge pour eux d'envoyer de l'argent à la famille restée au pays, de prendre la relève du père « travailleur immigré » en France ou simplement de « réussir » ses études et d'avoir un métier. Il y a aussi les « exploités » aux mains des trafiquants de toutes sortes, pris dans des réseaux de prostitution, de pédophilie, ou travailleurs clandestins ; certains sont même amenés en France par des adultes afin de devenir leurs employés de maison corvéables à merci. Enfin, aux « fugueurs » qui quittent leur famille ou leur orphelinat en raison de conflits ou de maltraitances, s'ajoutent les « errants » qui vivaient déjà dans la rue dans leur pays et décident de tenter leur chance ailleurs. Autant de profils qui souvent se superposent et qu'a repérés la sociologue.

Une population mal protégée

Selon les modalités et les lieux de leur arrivée en France, ces mineurs vont être l'objet d'orientations différentes. Dans une première phase, où interviennent l'aide sociale à l'enfance, la PJJ et le secteur associatif, le mineur « étranger » est identifié, même provisoirement, comme mineur « isolé ». Il peut l'être dès la sortie de la zone d'attente, après quelques jours ou quelques mois d'errance, à la suite d'une arrestation pour vol ou après avoir été « trouvé » dans un atelier clandestin.

Si la situation d'isolement de ce mineur devrait conduire à un placement à l'ASE et induire toute une série de procédures judiciaires et administratives, les interprétations et les pratiques varient fortement d'un département et d'une institution à l'autre. Sa protection se heurte à « des obstacles et freins récurrents », observe Angélina Etiemble. C'est d'abord « l'examen osseux » pratiqué dans la zone d'attente pour savoir si l'âge déclaré est bien réel. Unanimement critiqué, il est toujours en usage et donne lieu à des désaccords entre les acteurs de l'accueil d'urgence. A Paris, par exem- ple, le secteur associatif déplore que l'ASE demande systématiquement cet examen dont l'issue est souvent négative pour le mineur. Le service met en avant, de son côté, qu'il ne peut accueillir les « faux mineurs » et s'inquiète du flot toujours plus important de cette population dans ses locaux. Une autre catégorie est aujourd'hui évoquée par les acteurs : les « mineurs contestés ». Exclus du dispositif de protection de l'enfance mais n'ayant aucune preuve de leur majorité (le résultat de l'examen osseux ne leur est pas transmis), ils ne pourront pas non plus être reconnus comme demandeurs d'asile majeurs. «  “L'examen osseux” nous semble utilisé pour “trier” une population- selon une expression souvent entendue - de plus en plus nombreuse alors que les moyens d'accueil sont très insuffisants  », observe la sociologue.

Autre obstacle : l'application hésitante du principe de « l'enfance en danger ». Selon les sites et les modalités d'arrivée sur le territoire, les circuits judiciaires diffèrent : de l'ASE au judiciaire ; du parquet et/ou du juge des enfants à l'ASE. Certains services d'aide sociale attendent une ordonnance de placement, d'autres prennent en urgence le mineur en prévenant le procureur de la République. Des juges des enfants et même des procureurs estiment parfois que ces mineurs ne relèvent pas de leur compétence mais de celle du juge des tutelles, dans la mesure où le problème est celui de l'absence de représentation légale. Cette interprétation restrictive de « l'enfance en danger » se retrouve quand il est question d'héberger en urgence ces jeunes dans des structures qui, en principe, accueillent des enfants maltraités ou battus, souligne la sociologue.

Le dispositif d'urgence inadapté

Reste que bon nombre d'acteurs estiment que le dispositif d'urgence est inadapté en termes d'accompagnement éducatif à cette population. Interrogés, les services sociaux préféreraient que l'accueil soit réalisé dans des structures spécifiques avant que les services de l'ASE, si l'enfant reste en France, ne prennent le relais. L'ouverture du lieu d'accueil et d'orientation de Taverny (Val-d'Oise) paraît aller dans ce sens, note la sociologue. Mais cette initiative, destinée aux mineurs sortant de la zone d'attente de Roissy, semble toutefois limitée. Dans les autres cas, les jeunes sont placés dans un foyer d'urgence, une famille d'accueil ou hébergés dans un hôtel social et suivis par des éducateurs référents de l'ASE.

Il est évident que la prise en charge de ces mineurs, bouscule les services de l'ASE : le projet d'insertion est sans cesse remis en cause par le problème des « papiers ». Cette question se pose avec acuité quand les jeunes ont plus de 16 ans et qu'ils ne peuvent ni être scolarisés, ni intégrer une formation professionnelle (sans titre de séjour et en l'absence d'autorisation de travail). Les « papiers » demeurent d'ailleurs la principale difficulté dans la prise en charge par les services sociaux, relève la sociologue. « Certains, forts de l'idée que ces mineurs deviendront à la sortie du dispositif de protection de l'enfance des “irréguliers” estiment qu'il ne sert à rien d'entreprendre quoi que ce soit et de les entretenir dans l'illusion. D'autres tendent à les acheminer vers la demande de nationalité française quand ils semblent ne pouvoir accéder au statut de réfugié », indique la sociologue.

Parmi les autres difficultés, l'étude évoque la tutelle d'Etat -  « pourtant déterminante dans la procédure de demande d'asile »  - qui n'est pas toujours demandée et/ou acceptée ou encore la complexité et la longueur des délais de traitement de la candidature au statut de réfugié. Quant à la procédure d'acquisition de la nationalité française pour les mineurs accueillis à l'ASE (2), qui de l'avis général serait «  plus facile  » à obtenir que l'asile, elle est sujette à polémique. Certains s'interrogent sur son bien-fondé quand elle ne vient que pallier les insuffisances du droit d'asile ou l'absence d'un titre de séjour.

Les mineurs isolés étrangers sont donc un public hétérogène et « hors norme » pour les services de l'ASE ou certains magistrats de la jeunesse. Et d'aucuns sont réticents à les considérer comme relevant de « l'enfance en danger ». Néanmoins une « expérience » de leur prise en charge s'élabore, estime la sociologue, fondée sur un constat général des acteurs : la difficulté à instaurer un rapport de confiance avec ces jeunes. Reste que s'ils évoquent souvent une méfiance à leur égard, les intervenants interrogés perçoivent moins leur propre méfiance, relève Angélina Etiemble. Qui souligne que le mensonge est souvent utilisé comme un mode explicatif des comportements de mineurs (fugue, échec scolaire)  : des résultats scolaires « brillants » valident ainsi la réalité de leur histoire et légitiment leur présence en France. « Comme pour les adultes, la représentation dominante du “vrai réfugié” (c'est- à-dire du vrai demandeur d'asile) est celle de l'intellectuel appartenant à un milieu social élevé, poussé à l'exil par son engagement politique et les persécutions dont lui-même ou son groupe social, ethnique, est victime comme si les “pauvres”, eux, ne pouvaient migrer que pour des raisons économiques. »

Pour ces mineurs, qui sont loin d'avoir l'image d' « enfants comme les autres », la dimension « enfance » s'estompe parfois ou se dilue dans la dimension « immigration », constate Angélina Etiemble. La spécificité de ce public a encore du mal à être pensée hors des catégories traditionnelles « de la migration (migrants économiques versus réfugiés politiques) ou de l'enfance en danger (enfance maltraitée versus enfance délinquante)  ».

I.S.

Notes

(1)  Les mineurs isolés étrangers en France - Evolution quantitative de la population accueillie à l'aide sociale à l'enfance. Les termes de l'accueil et de la prise en charge.

(2)  L'article 21.12 du code civil autorise le mineur confié à l'ASE à demander la nationalité française avant sa majorité. Il ne prévoit aucune condition préalable - ni de durée de présence en France ou de placement à l'ASE, ni « d'assimilation ». Sont seulement requis les justificatifs d'état civil et l'ordonnance de placement ou de tutelle.

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