Accusations réciproques de racisme entre habitants et postiers, bus « caillassés », agressions de pompiers en cours d'intervention : les services publics des quartiers d'habitat social sont devenus un espace privilégié d'affrontements. Usagers « captifs » de leurs lieux de vie et agents de terrain ayant à gérer les conséquences de l'écart entre service attendu et service rendu sans pouvoir remédier aux éventuelles inadaptations de ce dernier : de part et d'autre, la souffrance et l'impuissance font le lit des rancœurs et bouffées de violence, indicateurs quotidiens d'un malaise partagé, expliquent les auteurs, Suzanne Rosenberg et Marion Carrel. C'est précisément pourquoi elles estiment indispensable d'associer ceux qui vivent et/ou travaillent dans ces quartiers difficiles, pour qu'ils parviennent à se comprendre et à trouver ensem- ble des solutions permettant de mieux faire fonctionner les institutions.
Concrètement, la démarche de « qualification mutuelle » qu'elles ont expérimentée et qu'elles exposent dans cet ouvrage, consiste à reconnaître et mutualiser les savoir-faire complémentaires des différents acteurs impliqués dans un même espace de vie :compétences politiques des décideurs et élus, techniques des professionnels, sociales des habitants. Si les premiers sont d'accord pour engager le travail autour d'un thème précis - par exemple l'amélioration des relations entre transporteurs et usagers -, un groupe de 12 à 18 personnes est constitué. Piloté par deux co-animateurs extérieurs et composé paritairement d'habitants (indemnisés pour ce faire) et d'agents des services publics locaux (sociétés de transport, mairie et police, dans l'exemple cité), il se réunit une douzaine de jours- par sessions de deux ou trois journées consécutives - sur environ six mois. Le but est de permettre aux usagers de comprendre le fonctionnement d'un service public et à ses protagonistes d'adapter leurs prestations. En rupture avec des réformes conçues au sommet, par des experts qui ne s'alimentent pas des points de vue des agents recevant directement le mécontentement ou les suggestions des utilisateurs, cette « alliance d'intérêts bien compris » repose sur la conviction que les diagnostics et solutions peuvent être coproduits entre acteurs locaux.
Néanmoins, en dépit des résultats positifs dont attestent les expériences relatées, les limites de ce mode de participation des habitants ne sont pas mésestimées par les auteurs. L'efficacité de la démarche, soulignent-elles, est en particulier étroitement suspendue au bon vouloir des responsables de la collectivité locale qui peuvent très bien décider de stopper les initiatives proposées. Il n'en reste pas moins, plaident Suzanne Rosenberg et Marion Carrel, qu'organiser des espaces de régulation collective de la vie en société, comme le font les groupes de qualification mutuelle, constitue un outil fort de démocratisation de l'action publique.
Face à l'insécurité sociale. Désarmorcer les conflits entre usagers et agents des services publics -Suzanne Rosenberg et Marion Carrel - Ed. La Découverte - 17 € .