Le projet du ministère de l'Intérieur, s'il était adopté, pourrait conduire à un Etat autoritaire et à réprimer tous ceux qui ont eu le malheur d'être rejetés au bord de la route [...]. Ce ne sont pas les pauvres qu'il faut combattre, c'est la pauvreté », ont rappelé dans un appel commun, le 21 octobre, deux jours avant la présentation du projet de loi sur la sécurité intérieure en conseil des ministres, une trentaine d'organisations de gauche, associations, partis politiques, syndicats... Pour Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'Homme - à laquelle revient, avec le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, l'initiative de cet appel (1) - ce texte, « qui « criminalise des groupes sociaux entiers, témoigne d'une logique qu'on croyait disparue depuis la fin du XIX e siècle et la fin des “classes dangereuses” ». En outre, il « conduit à baisser les bras dans la lutte contre la pauvreté ». « On privilégie une réponse visible et non une réponse efficace. A tous ces phénomènes sociaux, il y a des causes, auxquelles le gouvernement ne s'attaque pas », estime pour sa part Bruno Marcus, président du Syndicat des avocats de France.
Les pétitionnaires ne méconnaissent pas, souligne Mouloud Aounit, président du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), « une forte attente dans l'opinion en termes de sécurité ». Mais ils soulignent les dangers que ce texte, en s'attaquant aux plus défavorisés, fait courir aux libertés individuelles. Que restera-t-il de celles-ci « quand chacun de nous pourra être arrêté pendant une demi-heure au bord de la route à la discrétion des forces de police ? Accepterons nous d'être, parce que simples suspects, fichés à vie dans des fichiers qui, multipliés à l'infini et croisés, recenseront jus- qu'au moindre détail de notre vie quotidienne ? », interroge l'appel. « Demain chaque Français pourrait être concerné par un projet qui ouvre une voie royale à l'arbitraire », s'alarme le président du MRAP.
En déplacement à Evreux le même jour, le ministre de l'Intérieur s'est, de son côté, félicité que son projet soit jugé positivement par « 80 % des gens qui ont le SMIC », ajoutant que « l'approbation est inversement proportionnelle au statut social des gens »... « Ceux qui ont le travail le plus pénible, ceux qui ont la durée de trajet la plus longue, ceux qui habitent dans les appartements les moins confortables [...]. Ceux-là, il faudrait que de surcroît ils aient peur ? », a-t-il avancé pour défendre son texte, élaboré à partir des « problèmes quotidiens ». Jean-François Copé, le porte parole du gouvernement, a quant à lui, le 22 octobre sur France 2, jugé « indigne » le procès fait au projet et « caricaturales » les critiques formulées par les signataires de l'appel de la veille.
Ceux-ci invitent tous les citoyens à interpeller leurs députés et à organiser débats et manifestations publiques pour signifier leur opposition au texte. D'ores et déjà, une manifestation est prévue devant le Sénat le 5 novembre, au premier jour de son examen, à l'initiative de nombreuses associations intervenant auprès des personnes prostituées (2). Une mobilisation collective inédite depuis les années 70 pour marquer une forte hostilité au projet qui rompt avec le choix fait par la France, il y a plus d'un demi-siècle, de ne pas criminaliser la prostitution mais le proxénétisme. Avec les dispositions inscrites dans le texte, notamment la transformation du racolage, actif ou passif, en délit, passible de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende, les associations redoutent le développement de l'activité clandestine et l'accroissement de la vulnérabilité des personnes prostituées, que la nouvelle loi, votée en l'état, pousserait à prendre davantage de risques en matière de santé (3) et de sécurité.
C. G.
(1) Parmi les signataires : ATTAC, la CGT, le collectif national des droits des femmes, les Francas, la FSU, le GISTI, la LCR, le MRAP le PS, le PC, Peuple et culture, l'UNEF, les Verts... Contact LDH : 138, rue Marcadet - 75018 Paris - Tél. 01 56 55 51 00.
(2) Contact Cabiria : 4, rue Désirée - 69001 Lyon - Tél. 04 78 30 02 65.
(3) Alors que le Conseil national du sida vient de réaffirmer que la politique à l'égard de la prostitution doit accorder la priorité à la réduction des risques. Voir ce numéro.