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PREMIèRE VICTOIRE… EN ATTENDANT MIEUX

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La mobilisation a, en partie, payé. Le 11 octobre, alors que plusieurs milliers d'administrateurs, de salariés et d'usagers d'associations de lutte contre l'exclusion manifestaient sur le Champ-de-Mars, à Paris, à l'initiative de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, le gouvernement est revenu sur la réduction du taux de prise en charge des contrats emploi- solidarité des chantiers et ateliers d'insertion.

« CHRS : Comment Héberger sans Ressources Sérieuses ? », « Attaquons la pauvreté, pas les pauvres », « 1998 : lutte contre l'exclusion, 2003 :lutte contre l'insertion »... Sur les banderoles et les pancartes, le 11 octobre, au Champ-de- Mars, à Paris, toute l'amertume des associations intervenant auprès des personnes en difficulté ou en situation d'exclusion. Plusieurs milliers - 4 000 ?5 000 ? - d'administrateurs, de salariés et d'usagers, étaient présents à cette manifestation, répondant au mot d'ordre de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)   (1) repris par une trentaine d'associations et la plupart des confédérations syndicales (2). Dans les jours précédents, différents rassemblements avaient eu lieu en province : 200 personnes à Strasbourg le 1er octobre, 500 à Marseille le 8, plus de 500 à Toulouse le 9,250 à Angers le 10...

Certains, parmi les participants, se souvenaient d'une manifestation nationale en 1994, contre la faiblesse des budgets des centres d'hébergement et de réinsertion sociale  (CHRS). A l'époque, seules 400 personnes s'étaient déplacées. Mais aujourd'hui, l'exaspération atteint des sommets face au manque de reconnaissance et au quotidien de plus en plus difficile à gérer : « Des coupes sombres dans les budgets d'une année sur l'autre, la non-prise en compte - ou très partiellement - par les financements publics de l'institution des 35 heures et des contraintes et des coûts de la loi rénovant l'action sociale, les versements tardifs ou les non-reconductions de subventions, des actions “politique de la ville” devant s'interrompre faute de crédits, 2  par jour et par personne pour l'alimentation dans le budget d'un CHRS  », liste la FNARS. Les témoignages n'ont pas manqué le 11 octobre. Ici, une association restée sans subvention pendant cinq mois a eu le téléphone et l'électricité coupés et a dû licencier des personnes en contrat emploi-solidarité. Là, une autre est en redressement judiciaire car les banques ne la soutiennent plus, lassées d'attendre le versement des subsides publics. Ailleurs, un CHRS accueillant 20 résidents disposait en 2001 de 923 F pour sa consommation annuelle d'eau, « l'équivalent de 6,5 litres d'eau par jour et par personne, c'est-à-dire même pas la possibilité pour chacun de tirer la chasse une fois dans la jour- née ». Et, dans de nombreux endroits, la détresse de devoir laisser des femmes et des enfants à la rue, faute de moyens, faute de solution. Les usagers ont renchéri : « Il ne faut pas marginaliser les associations car, sans elles, les gens en difficulté ne peuvent se relever », a expliqué un résident de CHRS, tandis qu'un jeune homme venu de la région lyonnaise, « ayant vécu huit ans à la rue, en mangeant dans les poubelles et en dormant sur les trottoirs », déplorait qu' « il n'y [ait] pas assez de places dans les foyers et pas assez d'argent pour eux ».

Il y a longtemps que la FNARS tire la sonnette d'alarme sur l'insuffisance des places de CHRS créées chaque année : 500 (un chiffre confirmé en 2003), alors qu'il en faudrait selon elle 15 000. Longtemps, aussi, qu'elle dénonce la faiblesse du financement de ces structures. Le budget 2003 « accorde “généreusement” 1 % d'augmentation malgré l'inflation de 2 %, malgré les retards accumulés depuis plusieurs années », note-t-elle encore cette année. Il faudrait, selon la fédération, 50 millions d'euros pour rattraper le retard sur les budgets (financer les 35 heures, les avenants salariaux des conventions collectives...) et encore 100 millions pour accompagner dignement les publics qui, à l'heure actuelle, ne sont pas, ou mal, pris en charge (demandeurs d'asile, familles expulsées...) et assurer les missions confiées aux CHRS par la loi de lutte contre les exclusions, par exemple la veille sociale.

La coupe, déjà pleine, a cependant débordé avec la diminution, annoncée dans une circulaire du 5 septembre signée par le ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, François Fillon, du nombre de contrats emploi-solidarité (CES) et de contrats emploi consolidé (CEC) et de la participation de l'Etat pour les CES. Ainsi, avec cette instruction - applicable à compter du 1er octobre et venant donc amputer en cours d'année le budget des associations... -, de 90 ou 95 %, la prise en charge des CES pour les jeunes participant au programme TRACE passait, par exemple, à 65 %, et celle des CES pour les demandeurs d'emploi depuis plus de trois ans, les travailleurs handicapés, les allocataires du revenu minimum d'insertion sans emploi depuis plus de un an ou encore les bénéficiaires de l'allocation de parent isolé sans emploi, à 85 % (3).

Sur ce point, la mobilisation de ces derniers jours - en une semaine, des délégations de la FNARS ont rencontré notamment Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, Gilles de Robien, ministre du Logement, des conseillers de Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la Ville, et de François Fillon - a payé. Le jour même de la manifestation nationale, le ministère des Affaires sociales faisait savoir que, « répondant à la situation particulière du monde associatif, en particulier des chantiers d'insertion qui accueillent des personnes en grande difficulté, et afin de permettre aux jeunes engagés dans le programme TRACE de pouvoir achever leur parcours », François Fillon, en accord avec le ministre délégué au Budget, avait décidé d' « accorder une dérogation pour que l'Etat finance les CES concernés à un taux allant de 90 à 95 % ». Une circulaire rectificative devait être signée le 16 octobre, valable jusqu'à l'été 2003. Le gouvernement a en effet demandé aux associations de réfléchir, d'ici à la fin de l'année, à un autre mode de financement plus stable pour les chantiers et ateliers d'insertion. Cette victoire n'est évidemment pas à mettre au seul compte de la FNARS. Depuis septembre, les réseaux de l'insertion, des élus locaux et des parlementaires faisaient pression. Et Dominique Versini « n'y est certainement pas pour rien », selon le directeur général de la fédération, Jean-Paul Péneau (4). Lors de ses rencontres avec le collectif Alerte, le 8 octobre, et la FNARS, le 9, « elle a été convaincue que la circulaire de septembre, qui ne relevait pas de sa compétence, aurait des répercussions sur son champ d'action, les personnes en difficulté », analyse- t-il. Reste que sur le nombre des CES et CEC, les inquiétudes demeurent entières. On en comptait 300 000 au budget 2002 et seulement 110 000 au budget 2003, soit 30 000 CEC et 80 000 CES, auxquels s'ajoutent 80 000 autres CES reportés de 2002 sur 2003. « Il faut faire en sorte que cette enveloppe réduite soit orientée plus particulièrement vers les associations travaillant avec des publics très éloignés de l'emploi. Or les petites associations ne font pas le poids par rapport aux hôpitaux ou aux communes », s'alarme Didier Piard, chargé de mission à la FNARS.

Dans d'autres domaines, cependant, les associations de lutte contre l'exclusion ont reçu des signaux encourageants. Ainsi, deux jours avant la manifestation nationale, Dominique Versini a annoncé en conseil des ministres l'envoi, déjà effectué, d'une « instruction exceptionnelle » aux services déconcentrés de l'Etat pour « accélérer fortement le rythme de versement des subventions » à ces associations, ainsi que la signature prochaine d'une circulaire par le Premier ministre pour « améliorer durablement les modalités générales de leur financement dans le cadre de conventions pluriannuelles ». Voilà qui permettrait d'éviter, par exemple, la situation ubuesque de cette structure rouennaise qui a touché début 2002 le premier acompte de 2001, et toujours pas le reste... Deux bonnes nouvelles, donc... pourvu qu'elles soient suivies d'effets. « Il faudra en obtenir l'application réelle sur le terrain, et cela n'est pas évident vu l'échec des circulaires des Premiers ministres précédents », commente la FNARS. Laquelle voudrait aller plus loin, « changer radicalement les pratiques actuelles qui épuisent les trésoreries et les énergies associatives », « instaurer une pénalité de retard pour tout règlement effectué au-delà de l'échéance » de façon à rembourser les agios, et « généraliser[...] le paiement mensuel des financements du secteur social ». Peut-être les résultats de l'audit de l'ensemble du dispositif d'urgence et d'hébergement par les Inspections générales des affaires sociales et des finances, qui devrait être achevé en février, apporteront-ils de l'eau à son moulin... La fédération compte en tout cas sur lui pour éclairer le gouvernement sur le niveau réel des besoins.

Les 3 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires mobilisées pour l'hiver également annoncées le 9 octobre par la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, en revanche, ne trouvent par grâce à ses yeux. « Il n'y a pas un centime budgété pour ces places. On fait encore une fois appel à la bonne volonté des administrations et des associations pour installer des matelas dans des gymnases..., regrette Jean-Paul Péneau. Nous voulons un changement de logique. Il nous faut convaincre qu'une politique globale et des outils permanents de qualité sont seuls efficaces pour l'insertion, contre les exclusions. »

La loi de lutte contre les exclusions en 1998 avait, dans ce sens, rappelle Jean-Marie Rabo, président de la FNARS, « suscité un fabuleux espoir », conforté par la mise en place de la couverture maladie universelle. « Mais fin 2000, début 2001, nous avons senti comme un désengagement de l'Etat... » Et la période électorale, début 2002, n'a pas corrigé ce sentiment. De l'exclusion et des exclus, il ne fut guère question durant la campagne, axée sur les questions de sécurité. Très présents parmi les préoccupations des manifestants, la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure et le projet de loi complémentaire en préparation (5), avec son lot attendu de mesures visant les personnes prostituées, les squatters, les gens du voyage (6)... sont venus entériner le changement de climat.

L'horizon, cependant, pourrait s'éclaircir dans les mois qui viennent. La FNARS a obtenu un accord de principe pour la réécriture du décret de juillet 2001 sur les CHRS, très en deçà de la loi contre les exclusions (7). En outre, les éléments dont dispose la fédération sur le futur contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), promis par le candidat Jacques Chirac et qui devrait être présenté dans les semaines qui viennent, « vont dans le bon sens », selon Jean-Paul Péneau : « La formule retenue devrait être celle d'un mécanisme global d'insertion, permettant de faire appel aux autres dispositifs, comme TRACE, ouvert sur le volontariat dans les associations et donnant des possibilités de formation  ». Reste l'inconnue des garanties de ressources. Le prochain plan de lutte contre l'exclusion, que doit présenter Dominique Versini à la fin de l'année, constitue une autre échéance capitale. Sur ce sujet, la FNARS a une idée très précise. Parmi les « dix demandes prioritaires » qu'elle a formulées à l'occasion du 11 octobre, figure une loi de programmation budgétaire prévoyant les crédits nécessaires sur trois ou cinq ans, « comme pour la justice, l'armée et la police ». Elle devrait permettre, entre autres, « l'évolution des minima sociaux et des prestations sociales et familiales », « le développement et la diversification des modes d'accueil, de prise en charge et d'accompagnement des personnes et familles en détresse ou à la rue » et « la création d'une aide aux initiatives nouvelles pour compenser l'arrêt du programme emplois-jeunes ».

Notes

(1)  FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.

(2)  Parmi les soutiens : la Conférence permanente des coordinations associatives, l'Uniopss, l'Unasea, l'Unapei, l'APF, la Fédération Coorace, le Comité national de liaison des régies de quartier, le Réseau national des acteurs de l'insertion et de la formation (chantiers école), le Réseau Cocagne, la Fédération hospitalière de France, le Cnaemo, la FAPIL, la Cimade, Médecins du Monde, France terre d'asile, l'Union nationale des associations de lutte contre le sida, l'Association nationale des intervenants en toxicomanie, la CFDT, la CFTC, la CGT...

(3)  Voir ASH n° 2277 du 20-09-02 du 4-10-02.

(4)  Voir l'entretien accordé par Jean-Paul Péneau au site des ASH : www.ash.tm.fr, rubrique « Interview ».

(5)  Voir ASH n° 2279 du 4-10-02.

(6)  Le rétablissement du délit de mendicité, qui figurait dans les premières moutures du projet de loi de Nicolas Sarkozy, a quant à lui été supprimé de la version soumise, début octobre, au Conseil d'Etat. Voir ce numéro.

(7)  Voir ASH n° 2222 du 6-07-01 et n° 2227 du 7-09-01.

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