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« L'initiative locale doit être favorisée »

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La réforme de la décentralisation doit permettre une meilleure prise en compte des expériences et savoir-faire locaux, estime Patrick Kanner, président de l'Unccas (1). Rencontre lors du congrès de l'Union qui s'achève aujourd'hui à Bordeaux.

Actualités sociales hebdomadaires : Votre congrès (2) s'inscrit à un tournant de l'histoire de l'union qui s'est dotée, le 25 janvier 2001, de statuts rénovés afin « d'avoir une union nationale plus forte et plus représentative auprès des pouvoirs publics nationaux, régionaux et départementaux » . A quoi correspond cette restructuration ?

Patrick Kanner : L'objectif est d'avoir une organisation plus fédérative permettant une expression locale plus forte de nos adhérents, un peu sur le modèle de l'Association des maires de France. Les nouveaux statuts invitent les 88 délégations départementales et régionales de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) à se transformer en unions départementales et régionales sous forme associative, ce qui leur donnera la personnalité juridique. Une quinzaine de sections départementales ont déjà franchi le pas.

Les unions pourront, par exemple, négocier des subventions avec les conseils généraux. Le statut associatif devrait également les rendre incontournables dans certaines instances comme le comité départemental d'insertion, le schéma départemental des gens du voyage, le plan départemental pour le logement des personnes défavorisées... Cette autonomie leur permettra d'être considérés comme de réels partenaires de la mise en œuvre des politiques publiques.

N'y a-t-il pas un risque d'affaiblir votre action au niveau national ?

- C'est évident. Mais j'ai la faiblesse de penser que le fait de donner plus de pouvoir au niveau local va, au contraire, nous amener plus d'adhérents et créer des synergies locales. De plus, le lien ne sera pas rompu pour autant avec le niveau national : nous aurons une convention annuelle de toutes les unions et leurs présidents continueront à siéger dans nos instances nationales. De plus, nous avons créé une délégation chargée d'animer le réseau, confiée à Guy Laurent, adjoint au maire de Colomiers (Haute-Garonne).

Votre réorganisation intervient au mo- ment où les collectivités territoriales sont invitées, dans le cadre des assises régionales des libertés locales, à présenter des propositions pour relancer la décentralisation (3). Comptez-vous y participer ?

- Nous y serons, bien sûr, représentés. Premier point, nous croyons à la subsidiarité. Cela signifie que l'Etat doit fixer le cadre général de la solidarité nationale et qu'en même temps l'initiative locale doit être favorisée. Certes, par des transferts de compétence, mais, dans mon esprit, ils doivent s'accompagner de transferts de moyens. Sinon, ce seront de simples vases communicants fiscaux, intolérables au regard des contraintes des collectivités territoriales et de l'égalité des justiciables face à l'impôt : tout le monde reconnaît que l'impôt local est le prélèvement le plus injuste.

Le deuxième point renvoie à la question du territoire pertinent de l'action sociale. Certes le département - je suis conseiller général - est un très bon outil pour créer les conditions d'une équité dans la mise en œuvre des politiques nationales. Mais en même temps, plus j'avance dans mon métier, plus je m'aperçois qu'il y a des initiatives formidables prises au niveau des communes. C'est pourquoi je souhaite que les assises régionales n'aboutissent pas à une démarche technocratique descendante comme a pu être vécu le mouvement de décentralisation. J'espère qu'elles donneront lieu à une recomposition sociale du paysage en prenant comme relais l'expérience locale.

Ce qui signifie en termes d'organisation ?

- Tout le débat est de savoir s'il y a un modèle unique de décentralisation ou si l'on peut accepter, dans le cadre du principe de subsidiarité, que des collectivités soient mieux placées que d'autres, parfois, pour mettre en œuvre des politiques de proximité. Il est possible que ce soit le département à un moment donné, la commune à un autre. Je pense aux grandes agglomérations : le maire et ses services sont davantage reconnus que les services départementaux.

Les lois de décentralisation ne prévoient-elles pas déjà la possibilité pour les départements de confier aux communes certaines de leurs missions ?

UNE BANQUE DES SAVOIR-FAIRE LOCAUX

Le 16 octobre, jour de l'ouverture du congrès, Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la pauvreté, devait inaugurer la banque d'expériences de l'action sociale locale. Financée en partenariat avec la direction générale de l'action sociale et consultable sur www.unccas.org, elle vise à favoriser le partage des initiatives intéressantes impliquant des centres communaux d'action sociale  (CCAS). Dans ce cadre, l'Unccas lance un appel à expériences à destination des CCAS et de leurs partenaires. Synthèse des projets à adresser à l'Unccas- Banque d'expériences de l'action sociale locale : 6, rue Faidherbe - BP 568 - 59208 Tourcoing cedex -Tél. 03 20 28 07 50.

- Oui, mais les conventionnements entre les départements et les communes restent exceptionnels. L'Ille-et-Vilaine a montré la voie avec la ville de Rennes : le service social départemental a été entièrement confié en gestion à la municipalité par convention. S'il y a une réflexion stratégique sur la décentralisation, ces conventionnements doivent être encouragés dans un cadre renforcé.

Au risque de fragiliser le partage de compétences ?

- Il faut réafficher les blocs de compétences. Les collectivités locales doivent être porteuses d'attributions définies par la loi, et, si possible, sans cogestion. En effet, les copilotages entre l'Etat et le département se résument souvent à beaucoup d'énergie dépensée et, parfois, à la gestion contrainte de l'une ou de l'autre collectivité. Il faut qu'il y ait un responsable identifié pour un bloc de compétences identifié. Mais cela ne doit pas l'empêcher de dire : je gère en régie cette mission qui m'est dévolue par la loi ou je la confie à un partenaire associatif ou communal, mieux placé. Avec un souci permanent : quelle est la valeur ajoutée la plus forte pour l'usager ? Le citoyen va- t-il y gagner en termes d'organisation administrative ? Certaines familles peuvent, aujourd'hui, être accompagnées par trois ou quatre travailleurs sociaux spécialisés, en fonction des problématiques : logement, santé... alors que la notion de guichet unique reste à inventer.

En s'en remettant aux arrangements locaux, ne risque-t-on pas de créer un système très aléatoire pour les usagers ?

- Ce sera aléatoire et fonction du dialogue local. C'est le principe même de la subsidiarité. Cela ne me choque pas parce que ce sera le résultat d'une négociation et pas seulement celui de la loi ou du décret. C'est au niveau du territoire qu'on peut engager la meilleure réponse pour le citoyen.

Avez-vous des revendications en matière de décentralisation de l'action sociale ?

- J'entends dire que la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI) pourrait être complètement décentralisée au niveau départemental. Si l'argent arrive avec, pourquoi pas ? Notre congrès doit permettre de prendre le pouls de notre réseau. Ses conclusions serviront à l'Unccas pour présenter ses propositions en matière de décentralisation. Mais ce congrès est aussi celui de l'état de l'union : l'occasion pour les nouveaux élus locaux- une population plus jeune et plus féminine - de confronter leurs réflexions stratégiques sur la politique sociale locale.

Vous avez à maintes reprises plaidé pour développer l'intercommunalité...

- Il y a eu des carottes fiscales pour la développer dans différents domaines. Mais je regrette que tous ces encouragements n'incorporent pas la dimension sociale. Dans le secteur rural, en particulier, l'intercommunalité est la seule réponse pour traiter, dans de bonnes conditions, les problèmes sociaux. Je milite donc pour que le centre communal et intercommunal d'action sociale (CIAS) soit vraiment reconnu comme un partenaire pertinent par les élus. Pour cela, il faut encourager ces derniers à créer cet outil. Quand on a voulu instaurer les centres locaux d'information et de coordination dans le secteur de la gérontologie, on a dégagé des moyens financiers ! Pourquoi ne pas envisager que lorsque les communes décident de travailler en intercommunalité, elles puissent bénéficier aussi d'aides financières ?

Dans un contexte réglementaire de plus en plus contraignant, comment les CCAS peuvent-ils mettre en œuvre une action sociale de qualité ?

- C'est la grande question : faut-il moins ou plus d'Etat ? Il faut un Etat chef d'orchestre. La réglementation doit poser les règles minimales mais non brider la capacité d'innovation locale. On a beaucoup sédimenté les dispositifs ces dernières années, sans regarder si ceux qui existaient posaient problème. Par exemple, les commissions d'action sociale d'urgence : fallait-il un outil spécifique de coordination des aides facultatives alors qu'on aurait pu mandater les CCAS pour ce travail ?

Quels sont vos chantiers prioritaires ?

- Le premier concerne l'insertion par l'emploi. Après la disparition programmée du dispositif emploi-jeunes, je ne vous cache pas mes inquiétudes sur les menaces de désengagement financier de l'Etat qui pèsent sur les contrats emploi- solidarité et emploi consolidé (4), où les CCAS et les communes se sont pleinement inscrits. Dans le Nord, des milliers de postes sont en jeu. Je ne voudrais pas qu'on laisse penser que, d'un coup de baguette magique, le million d'allocataires du RMI en France, et souvent les familles qui les entourent, puissent, du jour au lendemain, trouver un emploi ! Nous avons encore, malgré une baisse sensible du chômage depuis plusieurs années et surtout, avec les difficultés de croissance actuelles, des personnes en grande difficulté. La main tendue par des dispositifs locaux est essentielle.

Et votre deuxième priorité ?

- Elle concerne l'allocation personnalisée d'autonomie  (APA). On est manifestement en train de sous-évaluer le travail nécessaire à la mise en œuvre du plan d'aide au maintien à domicile des bénéficiaires. Il ne s'agit pas de remettre en cause le niveau départemental, même si l'Unccas a toujours réclamé la création d'un cinquième risque. Nous regrettons simplement que la loi n'ait pas suffisamment encouragé les départements à s'appuyer sur notre réseau. Les CCAS peuvent avoir une place dans l'instruction de la demande et l'élaboration potentielle du plan d'aide. Ils ont toujours été très proches des problématiques gérontologiques et disposent d'un savoir-faire qui est, peut-être, sous-utilisé dans la mise en œuvre de l'APA.

Vous défendez aussi la participation des usagers. Comment aller plus loin que les vœux pieux en la matière ?

- Déjà, cette notion existe dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, c'est un point fort. Ensuite, depuis la loi contre les exclusions, un membre des associations représentant les personnes les plus en difficulté siège dans les conseils d'administration des CCAS. Maintenant, il s'agit d'organiser la parole de l'usager. Ce n'est pas parce qu'on laisse la place à une table à un allocataire du RMI qu'il peut s'exprimer !

Nous allons donc confier une mission sur le thème comment faire vivre la démocratie participative dans les CCAS ? à Hervé Carré, adjoint au maire d'Angers. Cette municipalité a voté la création d'un comité d'usagers du CCAS de 90 personnes où siègent 60 usagers :des femmes, des jeunes, des allocataires du RMI... Celui-ci fait des propositions sur les politiques sociales locales. C'est la première expérience structurée en la matière. Nous la soutenons avec l'idée d'en faire peut-être un modèle pour notre réseau en sachant l'adapter aux réalités locales.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Fondée en 1926, l'Unccas fédère 3 300 CCAS et CIAS. Elle représente :

 plus de 90 % des communes de plus de 10 000 habitants ;

 70 % de celles de 5 000 à 10 000 habitants ;

 les communes de moins de 5 000 habitants (1 735 CCAS) . Elle dispose depuis cet automne, en plus de son siège de Tourcoing, de bureaux parisiens. Unccas : 119, rue du Faubourg-du-Temple - 75010 Paris - Tél. 01 53 19 85 50.

Notes

(1)  Patrick Kanner est également vice-président du conseil général du Nord et adjoint au maire de Lille.

(2)  Du 16 au 18 octobre à Bordeaux - « Lien social : les CCAS en action ».

(3)  Sur la réforme de la décentralisation, voir ce numéro.

(4)  Car, malgré la décision du gouvernement de revenir sur la réduction de leur taux de prise en charge, toutes les inquiétudes ne sont pas levées. Voir ce numéro.

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