Actualités sociales hebdomadaires : La pénurie de professionnels qualifiés dans le travail social s'aggrave. Comment jugez-vous la situation de l'emploi dans le secteur ? Sylviane Léger : Le diagnostic est totalement partagé : une pyramide des âges qui promet des départs à la retraite massifs pendant au moins une dizaine d'années, l'impact de la mise en œuvre des 35 heures, qu'il est difficile de quantifier, et troisième facteur, les besoins induits par les nouvelles politiques, à commencer par la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Cela appelle des recrutements importants dans le secteur social et médico-social. C'est une préoccupation très lourde pour tous, en particulier pour les employeurs.
Prenons l'exemple de l'APA : on ne peut pas dire que l'on va solvabiliser potentiellement 800 000 personnes pour leur permettre de compenser les effets de leur perte d'autonomie et ne pas mettre en face les services adéquats. Si l'on ne prend pas la situation à bras le corps, on pourrait se retrouver confrontés à des cas très délicats, où des bénéficiaires de l'allocation se verraient réclamer des indus par un conseil général, faute d'avoir pu trouver sur le marché des personnes pour l'utiliser. C'est certainement un cas limite mais c'est un risque que je mesure. Tout cela pour vous dire que le niveau de conscience des pouvoirs publics sur la situation de l'emploi est élevé.
A l'image de ce qui a été réalisé pour l'Education nationale, la fonction publique hospitalière et, plus récemment, l'administration pénitentiaire, est-il possible de lancer une grande campagne nationale de recrutement pour le secteur social et médico-social ?
- Nous ne sommes pas dans la même problématique. Notre secteur est, par définition, décentralisé, avec une multitude d'employeurs qui essayent, individuellement, de s'adapter à de nouvelles réalités. Autant il peut y avoir un partage de diagnostic et une volonté commune d'agir chacun dans son champ de compétences, autant je vois mal un grand plan de recrutement à la manière de l'Education nationale ou de la Justice. Cela me semble exclu dans le secteur. En revanche, nous prévoyons de lancer une campagne de promotion des métiers de l'aide à domicile.
En quoi le schéma national des formations sociales 2001-2005 peut-il aider à résoudre cette crise du recrutement ?
- Le schéma national des formations sociales était un préalable indispensable et se révèle un outil précieux pour conduire, encadrer et éclairer une politique publi- que. Je suis convaincue que ce schéma national, décliné en schémas régionaux - qui nous sont tous remontés, à deux exceptions près -, a permis d'objectiver les besoins et de se mettre en situation d'y répondre. Un souci partagé par tous, qui a donné lieu à une impulsion au niveau de l'administration centrale, relayée par les niveaux locaux. C'est en partie grâce à ce travail que nous avons pu obtenir la création de 3 000 places supplémentaires dans les centres de formation dès septembre 2002. Et, dans le budget 2003, une de nos priorités était de maintenir le flux. Nous y sommes parvenus. Si bien qu'à la rentrée 2003, 3 000 nouveaux étudiants viendront prendre la place de ceux qui ont bénéficié de la première vague.
Dans ce cadre, quel peut être l'apport des schémas régionaux ?
- Les schémas régionaux ont chacun leur propre personnalité, fruit d'une élaboration concertée avec tous les partenaires locaux. Selon les régions, ils affichent des priorités différentes. Ainsi, le Nord et la Bretagne ont mis l'accent sur l'aide à domicile.
L'exemple de la Bretagne est extrêmement intéressant. Dans cette région, très prochainement, une charte va être signée entre tous les partenaires concernés par les emplois de service à domicile. Ceux-ci s'engagent à alimenter, pendant cinq ans, un fonds commun. Près de 1,3 million d'euros va ainsi être collecté pour qualifier 1 000 personnes par an, via le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS). Au total, 5 000 personnes formées en cinq ans, sur la région ! Les partenaires vont construire, ensemble, une ingénierie pédagogique régionale, qui tiendra compte, bien évidemment, des derniers textes en vigueur et des rapprochements en cours avec l'ANPE, afin que tous les parcours professionnels soient intégrés et puissent aboutir à une qualification. Cette logique exemplaire symbolise parfaitement ce qui est notre objectif.
C'est bon de pouvoir s'appuyer sur des exemples comme celui-là pour illustrer les résultats que nous avons essayés d'obtenir en envoyant, le 19 février dernier, une circulaire commune DGEFP-DGAS (1), aux deux réseaux de services déconcentrés et aux services publics locaux de l'emploi, pour faire émerger des viviers d'emplois, participer à la mise en place et à l'organisation de formations et de validations de l'expérience nécessaires pour les nouveaux embauchés et contribuer à la qualification des salariés déjà en fonction.
Quels espoirs fondez-vous sur la validation des acquis de l'expérience (2) en termes d'emplois ?
- En soi, la validation des acquis de l'expérience (VAE) ne constitue pas une solution à l'emploi. Elle n'est pas génératrice de professionnels supplémentaires. Mais la VAE est particulièrement importante dans un secteur comme le nôtre qui compte beaucoup de faisant fonction. Elle va permettre d'améliorer la qualification des personnes en place. Et, quand on a un souci d'accroître l'emploi et les recrutements, il est important de pouvoir agir, à la fois, sur la formation initiale et sur la formation en cours d'emploi. En effet, si on ne travaille pas à la qualification des personnes recrutées sans diplôme, c'est le taux de qualification de l'ensemble du secteur qui baisse.
Par ailleurs, la VAE permet d'envisager de s'inscrire dans de véritables filières professionnelles. C'est un facteur de promotion professionnelle important, qui va renforcer l'attractivité globale des métiers du secteur social.
Quel est le calendrier de la mise en œuvre de la validation des acquis de l'expérience pour les professions sociales ?
- Mettre en œuvre efficacement la validation des acquis de l'expérience exige, au préalable, l'élaboration d'un référentiel précis pour chaque métier. Nous sommes en train de construire ces outils.
Pour les éducateurs spécialisés, le référentiel a été finalisé en juillet. L'Etat doit maintenant créer les instruments qu'il mettra à la disposition des candidats, pour valoriser leurs compétences, et des jurys, pour les aider à apprécier ces mêmes compétences. Une expérimentation de la VAE pour les éducateurs spécialisés pourrait intervenir courant 2003.
Par ailleurs, nous avons d'ores et déjà mis en place la première expérience de validation des acquis de l'expérience sur le DEAVS, dans sept régions. Les premiers candidats ont ainsi acquis une partie de leur diplôme en juin et juillet. Une évaluation de cette expérimentation est en cours. Techniquement, rien n'interdit une généralisation assez rapide du dispositif.
Nous préparons parallèlement le référentiel pour le diplôme d'assistant de service social, qui pourrait être mis en place en 2004. Enfin, un autre diplôme devrait être ouvert à l'expérimentation en 2003, celui d'éducateur technique spécialisé.
Quels autres leviers pouvez-vous activer pour tenter de remédier à cette crise du recrutement ?
- L'apprentissage. La première promotion, une cinquantaine de moniteurs- éducateurs diplômés par la voie de l'apprentissage, est sortie en juin 2002. En accord avec la branche professionnelle, nous avons renouvelé l'expérience en septembre. La branche conduit actuellement une évaluation du dispositif et, de notre côté, nous allons prochainement interroger les directions régionales des affaires sanitaires et sociales pour savoir s'il existe des distorsions entre les régions sur l'aspect pédagogique de la formation par apprentissage.
Pour l'instant, l'apprentissage est fi- nancé sur les fonds de la formation professionnelle. Mais, si l'expérience s'avère concluante, rien n'interdit d'imaginer qu'à l'avenir des régions s'y investissent. Par ce biais, on peut probablement intéresser les régions au secteur social. N'oublions pas qu'elles ont une compétence de droit commun en matière d'apprentissage des jeunes. Dans le cadre de la génération des contrats de plan Etat-régions 2000- 2006, elles ont montré peu d'appétence pour le domaine de la formation des travailleurs sociaux. Mais cela pourrait changer.
La commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale (3), qui vient d'être créée, sera-t-elle aussi un outil pour mieux prévoir et anticiper les évolutions futures du marché de l'emploi ?
- La gestion prévisionnelle, c'est notre travail. Mais cela ne relève pas des compétences de la commission professionnelle consultative. Cette instance va aider à faire vivre et partager à la branche certains objectifs, notamment ceux de la validation des acquis de l'expérience et ceux relatifs au contenu des métiers. Cela dit, tout est possible. Plus on travaille en partenariat avec la branche, en particulier dans une instance comme celle-là, plus on pourra voir remonter des analyses qui nous aident à jouer notre rôle en matière de gestion prévisionnelle. Cela ne peut être que favorable, même si ce n'est pas la mission première de la commission.
En matière de prospective, il ne faut pas oublier que les schémas national et régionaux des formations sociales ont une durée de vie de cinq ans, jusqu'en 2005. Pour produire une deuxième génération de schémas en 2006, les travaux devront débuter dès 2004. Et là, nous sommes certains d'être confrontés à la nécessité d'étudier le problème suffisamment en amont.
Au-delà des problèmes de recrutement, on constate un important turn-over des professionnels dans le secteur. Comment aider les employeurs à les fidéliser ?
- Dans un secteur qui souffre de pénurie de professionnels qualifiés, le turn-over est très difficile à éviter. Néanmoins, plus on avancera dans la définition des métiers, dans la clarification des filières, plus les conventions collectives classifieront les métiers en relation cohérente avec les niveaux de diplômes et de qualifications plus on donnera de visibilité aux personnes qui entrent dans la carrière, avec l'espoir d'y progresser. C'est notre responsabilité de veiller à apporter cette visibilité.
Au final, excluez-vous totalement le spectre d'une déqualification générale du secteur débouchant sur un travail social sans travailleurs sociaux qualifiés ?
- Nous n'avons pas l'habitude d'agiter les spectres. Nous avons pris la mesure du problème et le maximum de dispositions pour éviter le risque d'abaissement général du niveau de qualification. Le travail social n'est pas en danger dans son être et dans son avenir.
Propos recueillis par Jean-Yves Guéguen
(1) Voir ASH n° 2256 du 29-03-02.
(2) Voir ASH n° 2262-2263 du 17-05-02.
(3) Voir ASH n° 2278 du 27-09-02.