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LE COUP PORTé AU SECTEUR ASSOCIATIF

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Les mesures annoncées sur les contrats aidés et les emplois-jeunes sont vécues par les associations comme un abandon des publics, lourd de conséquences pour les structures qui les accompagnent.

Logique. Le gouvernement Raffarin n'a jamais caché sa volonté de donner la priorité à l'emploi dans le secteur marchand et d'en appeler aux chefs d'entreprise pour résorber le chômage. En ce sens, le désengagement de l'Etat dans le programme emplois-jeunes et les contrats emploi-solidarité et emploi consolidé (CES et CEC)   (1) n'a rien de surprenant. Mais ce choix politique ignore les tensions du marché du travail qui font que des jeunes à l'issue de leur formation ne trouvent pas d'emploi ou que certains publics en grande fragilité ne peuvent y accéder directement. Il prive du même coup les associations sociales et médico-sociales d'outils majeurs pour remettre sur les rails les personnes à la marge. De plus, outre l'abandon de toute une frange de la population, ces coupes budgétaires aggravent encore l'insécurité financière de nombreuses structures, menacées pour certaines dans leur survie. La situation est jugée si grave que la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA) - qui regroupe 16 grands réseaux - a indiqué qu'elle serait particulièrement attentive, lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, « afin que le monde associatif - “instrument unique et irremplaçable de notre cohésion et de notre progrès social”, selon le président de la République -, ne soit pas sacrifié sur l'autel de la nécessaire réforme de l'Etat et de la compétitivité des entreprises ».

Menaces sur les chantiers d'insertion

« Une catastrophe », juge Bruno Garcia, délégué de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale  (FNARS) Alsace. « On peut se demander si ce n'est pas le secteur mixte de l'insertion par l'activité économique qui est visé », s'alarme Jacques Dughera, secrétaire général du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. « Quantité d'appels de responsables inquiets nous arrivent au siège », indique- t-on à la FNARS. La réduction annoncée des CES et des CEC et la baisse de la participation de l'Etat (ainsi que le paiement par les employeurs des cotisations patronales de sécurité sociale) fait l'effet d'un véritable couperet. A tel point que les principaux réseaux concernés (2) avaient, dès la circulaire du 5 septembre, lancé un appel à mobilisation à leurs élus. Et les lettres se multiplieraient en direction des parlementaires.

Principale cible : les 2 200 chantiers et ateliers d'insertion (dont 80 % mis en place par le secteur associatif) dont 1 600 sont pérennes. Mis en œuvre par des associations autonomes, des régies de quartier, des associations intermédiaires, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale ou des organismes de formation, ils ont accueilli près de 50 000 personnes en CES ou CEC en 2001. « Ce n'est pas que nous défendons à tout prix le statut CES qui maintient la personne sur un demi-SMIC, sans rémunération de sa formation et des frais engagés, se défend Jacqueline Saint-Yves, vice-présidente de la fédération Coorace. Mais ce contrat de travail a sa valeur quand il est employé à la seule fin de progression des personnes. Il permet l'amorce de parcours d'insertion pour des publics durablement éloignés de l'emploi et qui ont besoin d'un collectif de travail structuré avec un encadrement technique et social. » Pour elle, la baisse du taux de participation de l'Etat a des conséquences immédiates : l'association AIRE environnement à Lion-sur-Mer  (Calvados) - qu'elle préside -risque de devoir fermer le chantier d'insertion qui accueille 14 jeunes du dispositif TRACE. Quant au deuxième chantier qui reçoit des bénéficiaires du RMI de 40 ans, « il va falloir trouver des solutions ». Selon les responsables, une piste serait d'être autorisés à dépasser le plafond des 30 % de ressources provenant de la vente de biens et services et d'augmenter la facturation aux collectivités locales. Mais accepteront-elles de se substituer à l'Etat ? Le 11 octobre, une réunion est prévue avec les maires qui travaillent avec l'association. En outre, des rendez-vous ont été demandés aux préfets de région et de département avec la FNARS, les régies de quartier et les chantiers-école.

Mêmes incertitudes en Alsace sur l'avenir des 38 chantiers d'insertion conventionnés, qui représentent 670 postes d'insertion et un flux annuel de 1 500 personnes. Les comptes sont simples : « On estime entre 600 000 et 650 000le coût supplémentaire  », s'alarme Bruno Garcia. Si dans le Bas-Rhin, le conseil général a décidé de prendre en charge le différentiel pour les titulaires du RMI, ailleurs les responsables ne savent pas comment ils vont passer le cap. Le 1er octobre, jour d'application de la circulaire, un rassemblement était prévu devant la préfecture de région à l'initiative, notamment, de la FNARS. Laquelle réclame la non-application de la circulaire aux chantiers d'insertion. Ces exemples ne sont pas isolés : dans un autre département, on annonce des fermetures de chantiers-école pour les bénéficiaires du programme TRACE.

« Bon nombre de structures sont déjà en équilibre précaire et risquent de fermer », s'alarme Didier Piard, chargé de mission emploi à la FNARS. Et les autres, ne vont-elles pas être amenées à sélectionner leur public en fonction de la participation de l'Etat ? A préférer par exemple l'embauche de chômeurs de longue durée ou d'allocataires du RMI pris en charge désormais à 85 % plutôt que de jeunes du dispositif TRACE ou de sortants de prison dont le taux est passé à 65 % ? En outre, que vont devenir les 8 000 personnes qui encadrent les chantiers d'insertion ? « Et qui font un travail remarquable », tient à préciser Jacqueline Saint-Yves. A ces questions, s'en ajoute une autre : à qui va profiter la réduction du volume des CES et CEC - même si le gouvernement entretient un certain flou sur le sujet ? Car malgré la volonté affichée de donner la priorité aux publics les plus éloignés de l'emploi, la FNARS redoute les pressions d'élus, du secteur hospitalier ou de l'Education nationale. « Ces orientations frappent lourdement les structures d'insertion par l'économique, renforcent les inégalités territoriales dans la prise en charge des exclusions et augmentent l'effort demandé aux collectivités locales, sans concertation et transfert de ressources correspondant », juge le bureau du Conseil national de l'insertion par l'activité économique, bien décidé à « faire reconsidérer ces décisions ». En outre, ironisent certains, qui assurera demain toutes les activités socialement utiles- nettoyage de plages, de terrains, récupération d'encombrants - effectuées par le biais des contrats aidés ?

Incertitudes sur les emplois-jeunes...

L'autre grand sujet d'inquiétude tient à l'avenir des emplois- jeunes. Si la fin du programme était connue des associations, encore faut-il savoir quelles sont les intentions du gouvernement sur leur pérennisation. L'équipe précédente avait mis en place, en juin 2001, des dispositifs de consolidation (épargne consolidée, conventions pluriannuelles) pour un montant estimé à 3 milliards d'euros sur cinq ans. Lesquels deviennent, dans le projet de loi de finances, des « mécanismes d'aide transitoire », qui seront appréciés au cas par cas, et « dont on ne connaît ni la teneur, ni l'ampleur », s'alarme la CPCA. Laquelle a proposé à chaque association d'écrire à François Fillon pour lui signifier l'utilité des emplois-jeunes dont 100 000 postes ont été créés dans le secteur associatif - premier employeur du dispositif. Il y aurait actuellement 7 000 emplois-jeunes dans les établissements et services de la branche associative sanitaire et sociale, selon Promofaf.

De fait, s'il avait suscité une certaine méfiance lors de son lancement, beaucoup reconnaissent aujourd'hui l'intérêt d'un dispositif qui subordonne l'emploi des jeunes à la création d'activités nouvelles répondant à des besoins émergents et non satisfaits. En rupture avec le traitement social du chômage, il a enclenché parfois une véritable dynamique territoriale autour d'un projet collectif. De plus, non stigmatisant à l'égard d'une catégorie, il a répondu aux difficultés d'insertion de la jeunesse dans son ensemble : 50 % des bénéficiaires ont un niveau supérieur au bac.

Dans ces conditions, la fin brutale des emplois-jeunes serait « une régression », affirme Sébastien Pommier, directeur de l'Uriopss-Roussillon. Région où la forte mobilisation a permis la création de formations d'animateurs de maison de retraite ou de techniciens d'accueil social. Des services entiers ont même été ouverts grâce au dispositif, comme un service d'accompagnement à la vie autonome qui permet à des salariés de centres d'aide par le travail de s'installer en ville. « Les associations ont joué le jeu et toutes les dispositions ont été prises l'an dernier pour permettre la consolidation des activités. Mais si l'on peut penser que les établissements et services qui ont opté pour l'épargne consolidée [qui permet une diminution progressive de l'aide de Etat] n'auront pas trop de difficultés, il y a tout lieu d'être inquiet pour les associations qui ont choisi les conventions pluriannelles, plus aléatoires », s'alarme-t-il. Et surtout, quelle aide pour la consolidation des emplois-jeunes en cours ? « Il y a fort à parier qu'ils meurent de leur belle mort. »

Le flou du gouvernement sur la prolongation des financements après les cinq ans inquiète également la FNARS. Ses adhérents ont largement puisé dans les emplois-jeunes (1 600 salariés depuis le début du programme) pour développer l'accompagnement au logement, la prévention en matière de santé, la médiation en matière de justice... Ce sont souvent des petites structures qui ont choisi les conventions pluriannuelles pour consolider les activités et se trouvent dans une grande incertitude. Sans compter qu'une cinquantaine de salariés de services d'urgence 115 sont des emplois-jeunes. Ce qui pose la question de l'avenir de cette activité, observe Didier Piard, sauf à imaginer que les directions départementales des affaires sanitaires et sociales prennent le relais financier...

Nul doute, par ailleurs, que les emplois-jeunes- ultramajoritaires parmi les auxiliaires de vie scolaire - ont permis le développement de ce nouveau métier. Ils ont contribué aussi à l'évolution des établissements de personnes âgées, secteur particulièrement sous-doté, par la création d'emplois centrés sur l'accompagnement, la vie sociale, la convivialité, l'animation... Autant de fonctions que les directeurs n'envisagent plus d'abandonner tant elles améliorent la réponse à l'usager, mais qui ne pourront demain être répercutées sur le prix de journée. Les conseils généraux accepteront-ils de les financer dans le cadre de la réforme de la tarification ?

Outre l'amélioration de la qualité de service, les emplois- jeunes ont pu apparaître, lorsque le dispositif a été bien accompagné, comme un vivier permettant de former des professionnels dans un contexte de pénurie. A l'Acodège à Dijon, qui gère une vingtaine d'établissements médico-sociaux dans le champ du handicap mental et de la protection de la jeunesse, on a ainsi créé une douzaine d'emplois-jeunes :agent de développement d'insertion par le logement, assistant éducatif culturel, animateur d'expression corporelle... Sept ont ou sont en voie d'obtenir un diplôme de travail social (moniteur-éducateur, ES...) grâce au partenariat avec l'IRTS de Dijon. Et ceux qui ne sont pas en formation, sont en contrat à durée indéterminée. De la même façon, les 15 emplois-jeunes recrutés par l'Association auboise pour la Sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (dix établissements) à Troyes ont bénéficié d'un bilan de compétence et suivi une formation qualifiante (moniteur-éducateur, AMP, ES...) en liaison avec l'IRTS de Reims. Mais si l'Acodège est toujours sans nouvelle de sa demande de pérennisation, la Sauvegarde a eu plus de chance : son dossier a été retenu, même si l'on s'interroge sur les modalités du financement... Alors, le gouvernement va-t-il laisser sur le bord de la route tous les jeunes actuellement en formation et qui ne pourront plus - en cas d'abandon brutal du dispositif - être financés par le biais de la formation continue ? « Sur quels budgets vont-ils être pris en charge ? », s'inquiète-t-on à Promofaf.

On peut, bien sûr, pointer les limites des emplois aidés, leurs effets pervers, leur mauvaise utilisation parfois. Et vouloir créer, à l'image du gouvernement Raffarin, d'énièmes nouveaux dispositifs. Reste que le contrat jeune en entreprise, outre qu'il risque d'écrémer par le haut les publics accueillis en CES et par le bas ceux des emplois-jeunes, ne comporte aucune obligation de formation. Et surtout, il s'inscrit dans une logique purement marchande, en rupture avec la philosophie de dynamique territoriale et de réponse à de nouveaux besoins portée par les emplois-jeunes. Quant au fameux contrat d'insertion dans la vie sociale promis pour 2003, il n'a pour l'instant d'autre existence que... dans les déclarations de François Fillon (3).

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  FNARS, réseau national des acteurs de l'insertion et de la formation, Fédération Coorace, Comité national de liaison des régies de quartier, réseau Cocagne - Voir ASH n° 2276 du 13-09-02.

(3)  Dont une interview parue dans Les Echos du 2 octobre 2002.

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