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Un bilan mitigé des juridictions d'aide sociale par le Conseil d'Etat

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Les juridictions d'aide sociale sont-elles en mesure de répondre aux attentes des justiciables âgés ou en situation de détresse ou de précarité, notamment financière ? C'est ce qu'a cherché à cerner un rapport d'inspection du Conseil d'Etat qui a porté, pendant le premier semestre 2002, essentiellement sur la commission centrale d'aide sociale et subsidiairement sur les commissions départementales. Résultat : un bilan mitigé. Le rapport - que les ASH ont pu se procurer - relève ainsi, à propos des commissions départementales de l'aide sociale (CDAS), que « si la situation globale de ces instances est moins dégradée que l'on pouvait s'y attendre, leurs résultats relativement positifs sont obtenus au prix d'une quasi-méconnaissance du fonctionnement juridictionnel ».

Une « juridiction originale confrontée à de nouveaux défis »

Le rapport égrène ainsi les difficultés rencontrées par ces juridictions avec, comme premier écueil, l'extension de leur champ de compétences et, surtout, une augmentation des dossiers, notamment à la suite de la mise en place de prestations nouvelles (prestation spécifique dépendance, couverture maladie universelle et, maintenant, allocation personnalisée d'autonomie...). Aussi, pour y faire face, outre l'augmentation du nombre de séances de jugement, le document préconise « fût-ce à titre expérimental, sur quelques départements », d'instituer, pour la couverture maladie universelle - principale cause de la montée des dossiers -, un recours administratif préalable par une commission ad hoc constituée auprès des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Ce recours, sur le modèle de celui existant contre les décisions de refus de visas, aurait alors un caractère obligatoire et conserverait le délai de recours contentieux (1). Dans le même esprit, les auteurs proposent la mise en place, auprès de la commission centrale d'aide sociale (CCAS), d'une procédure d'avis pour les questions nouvelles susceptibles de donner lieu à un contentieux abondant.

Une autre critique tient à l'absence d'un schéma organisationnel d'ensemble élaboré par l'administration centrale ou, à défaut, par la commission centrale d'aide sociale, portant sur l'organisation et le mode de fonctionnement des commissions départementales de l'aide sociale, chaque département semblant définir son organisation propre. Ce qui fait craindre aux rapporteurs une disparité des situations et constituent, selon eux, un vide juridique. Aussi appellent-ils, entre autres, la direction générale de l'action sociale à prendre, par voie de circulaire, une instruction générale sur le fonctionnement de ces juridictions.

Autre souci mis en avant par le rapport : tout en reconnaissant que les CDAS remplissent un rôle social non négligeable, il constate que « ni dans leur composition, ni dans l'instruction contradictoire des dossiers, ni dans les modalités de jugement et de notification, les commissions départementales ne se conçoivent comme des juridictions  ». En cause, notamment, l'impartialité de leurs décisions. En effet, ceux qui jouent le rôle de rapporteurs des décisions devant la commission appartiennent le plus souvent au service administratif qui a instruit la décision. Ainsi, la juridiction bénéficie du service des agents de la DDASS pour les dossiers concernant les aides d'Etat et des agents du département pour les dossiers ayant trait aux aides financées par lui. Dans ce cadre, même «  si les dérives n'ont pas été constatées, elles restent néanmoins possibles  ». Sur le plan procédural, le rapport note «  l'absence d'une véritable procédure contradictoire écrite avant le passage en audience de l'affaire  ». Dès lors, les auteurs ne semblent pas «  absolument convaincus qu'une telle procédure satisfasse, même en l'absence de toute disposition textuelle particulière, aux principes généraux du droit de la défense devant une juridiction administrative ». En fait, les commissions départementales de l'aide sociale concourent « à solenniser des décisions administratives touchant au droit des personnes, elles permettent de rendre objectifs les critères de ces décisions, elles rendent collégiales ces mêmes décisions  » plus qu'elles ne constituent des juridictions. Aussi le rapport se veut-il pragmatique : «  s'il peut être admis que tous les dossiers ne fassent pas l'objet d'une procédure contradictoire écrite, il serait en revanche nécessaire de le prévoir dès lors que le dossier pose une question de droit susceptible de donner lieu à appel  ». Quant à la commission centrale d'aide sociale, elle encourt la même critique à un degré moindre. Il est donc proposé de compléter les dispositions réglementaires existantes sur la question de publicité des audiences, sur le caractère contradictoire de la procédure et sur la motivation des décisions. Toutefois, plutôt que de modifier les textes propres à chaque juridiction spécialisée, le rapport estime plus opportun de placer de telles règles dans un chapitre commun à toutes les juridictions administratives spécialisées au sein du code de justice administrative. Au-delà, il suggère, pour renforcer la qualité des décisions, un suivi des annulations en cassation par le Conseil d'Etat des décisions de la commission centrale.

« Jeter les bases d'une réflexion sur l'avenir de la juridiction »

Pour finir, le rapport entame une réflexion sur l'avenir de cette juridiction. Pour lui, « il est indispensable de maintenir la juridiction dans la sphère des administrations sociales, les mieux à même d'apprécier les caractères propres aux situations abordées  ». Il ajoute que «  la juridiction de l'aide sociale parce qu'elle appuie ses solutions sur une matière profondément humaine a tout à gagner au dialogue entre magistrats et personnalités qualifiées dans le domaine social ». Autrement dit, il lui semble nécessaire de maintenir cette juridiction dans sa spécificité. Pour autant, il lui apparaît essentiel de réfléchir à sa réforme. C'est pourquoi, il expose plusieurs possibilités d'évolution, sans prendre parti. Premier scénario : supprimer le double degré de juridiction,  les commissions départementales de l'aide sociale fonctionnant surtout comme des instances de recours administratif, utiles quand il s'agit de l'examen de situations individuelles mais «  à peu près inopérantes  » lorsqu'il importe de trancher des questions de droit. En conséquence, les commissions départementales pourraient, dans cette hypothèse, être maintenues comme instances de filtrage mais seraient « déjuridictionnalisées ». Elles auraient alors pour attribution d'examiner de façon obligatoire tous les recours dirigés contre les décisions d'aide sociale du département comme de l'Etat, ce qui aurait pour avantage de légitimer les procédures suivies qui n'ont pas réellement de caractère juridictionnel. La commission centrale d'aide sociale deviendrait, de son côté, une juridiction de premier et dernier ressort, à l'instar de la commission de recours des réfugiés.

Au contraire, une autre piste conduit à maintenir le double degré de juridiction, souvent considéré comme une garantie supplémentaire pour les requérants. Elle pourrait également répondre à la probable technicisation du droit de l'aide sociale, et à l'opportunité de maintenir, au niveau local, le jugement en premier ressort de décisions dont le financement incombe majoritairement aux collectivités locales et, en particulier, aux départements. Les CDAS pourraient alors soit devenir des tribunaux départementaux de l'aide sociale, ce qui est le scénario le plus proche de la situation actuelle, soit être transformées en des tribunaux régionaux de l'aide sociale.

Autant de réflexions nécessaires, selon le Conseil d'Etat, pour tenir compte des exigences de la convention européenne des droits de l'Homme en matière de procès équitable.

Sophie André

Notes

(1)  Voir ASH n° 2189 du 17-11-00.

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