« A la racine de sa pratique, l'Aadef Médiation a toujours mis la centralité de l'enfant. Mais l'expérience de 12 années nous a montré que, pour accéder à l'enfant, nous devons passer par la reconnaissance des parents, des deux parents.
Les situations qui arrivent en droit de visite se caractérisent par un blocage ou au moins une absence de dialogue des parents et, en même temps, par une incapacité de la loi à trancher ou par l'inapplicabilité de sa décision. Ces deux facteurs produisent quasi inévitablement un “brouillage” plus ou moins complet des fonctions parentales et filiales. La plupart du temps, les parents ne peuvent pas accepter la nouvelle situation triangulaire de séparation.
Notre rôle n'est pas d'éliminer les causes de cette incapacité, ni même de les traiter. Simplement, mais essentiellement, nous voulons écouter ce que les parties veulent bien livrer, lorsqu'elles estiment que c'est là un préalable à l'explication de leur présence dans ce lieu, car n'oublions pas que ce que nous appelons un lieu neutre apparaît le plus souvent comme un lieu “orienté” aussi bien pour les enfants que pour les parents, un lieu qui fait sens. Cette écoute professionnelle empathique vise à montrer aux consultants (1) que la séparation est aussi un rapport à construire. C'est sans doute cette réflexion qui nous a amenés à envisager les liens que devaient entretenir le droit de visite et la médiation familiale.
Le droit de visite apparaît donc d'abord, pour les parents mais aussi pour les enfants, comme un lieu d'application de la justice. Comment peut-on aménager alors cet espace particulier entre dit de justice et parole de famille ? En construisant sa neutralité à travers une reprise de responsabilités des parents et des enfants. Au départ simple condition de possibilité de la visite, le lieu doit évoluer vers un espace de rencontre, de passage d'une non-maîtrise à une maîtrise, par l'intermédiaire du tiers. Car le droit de visite est aussi un lieu transitoire dans le temps et dans l'espace.
Au sens propre, il nous faut parvenir à créer un lieu médiatique. Il ne s'agit pas d'instituer une situation durable, mais de faire transiter des personnes vers une situation nouvelle où l'espace “public” de droit de visite ne sera plus utilisé.
Finalement, la neutralité du lieu construite cède vite la place à son rôle de médium. Avant le droit de visite, n'existe que la loi. Après le droit de visite doit pouvoir exister un espace familial (privé) qui n'a plus besoin du rappel de la loi (publique). Du droit de visite assisté, imposé, on doit passer au droit de visite privé, qui respecte la loi. Mais qui découle de bien autre chose : de la création d'un nouveau rapport, de la création d'une nouvelle famille, famille séparée dont la norme est essentiellement dite dans le dialogue nouveau entre chacun des parents et l'enfant. On est passé du couple en crise au couple en conflit, puis de l'extinction du couple à la création d'un nouvel espace familial où se sont construites trois autonomies, trois singularités, celles des parents et de l'enfant.
En ce sens, le droit de visite est aussi un lieu d'autonomisation par rapport à la loi, au dit de justice. C'est le lieu pour le “dit familial”, pour la reprise de parole. Mais c'est aussi le lieu possible d'autonomisation par rapport à l'autre.
Ce processus invite à un ajustement de chacun dans sa nouvelle place. En ce sens nous ne pouvons pas être des auxiliaires de justice, mais des partenaires pour les consultants afin qu'ils dépassent le dit de justice “sauf meilleur accord des parties” sur laquelle nous proposons aux parents de s'appuyer pour “reprendre la main”.
Dans la pratique du droit de visite, l'Aadef Médiation emprunte, on le voit bien, à la médiation familiale certaines étapes, certains principes, certains outils. Pour caractériser cette capacité de la médiation familiale à prêter son efficacité à d'autres pratiques, il me semble possible de dégager trois mots clés qui sont les trois moments importants du droit de visite : individualisation, responsabilisation et autonomisation.
L'Aadef Médiation ayant opté, comme en médiation familiale, pour un suivi individualisé de chaque situation, le médiateur est responsable de sa stratégie par rapport aux consultants dans le cadre d'une triple référence à la direction (garante de la qualité des prestations et du respect de la déontologie), au superviseur et à l'équipe des médiateurs : il ne s'agit pas de traiter les droits de visite par lots, mais bien de s'adresser à des familles spécifiques, chacune avec son problème spécifique.
Comment croire qu'une décision de justice fondée sur une étude qui, par nécessité, n'a duré que quelques heures du temps du juge, puisse rendre compte de la complexité et de la diversité fantastique d'histoire, de culture, d'origine sociale, de religion, de tradition, etc., auxquelles la réalité des familles confronte les professionnels ? Partant de cet intérêt personnalisé, le parti pris d'une écoute des enfants et des parents, d'une sollicitation au dialogue entre eux est presque aussi naturel qu'en médiation familiale. Déjà, lors des entretiens de préparation, et comme cela se pratique en séance d'information pour la médiation familiale, le médiateur précise les objectifs ordonnés à la lumière des règles de fonctionnement et des principes déontologiques que l'Aadef Médiation propose. Il demande l'accord des parties sur ce cadre : un engagement réciproque entre les parties s'établit donc.
En même temps, se dessine ainsi une prise en charge des objectifs par les consultants, objectifs pouvant être redéfinis en fonction de l'avancement du droit de visite ou des difficultés rencontrées. Le paiement symbolique (symbolique doublement : parce qu'il est modique et parce qu'il faut payer, et nous retrouvons là encore un des principes propres à la médiation familiale), nous permet de créer un rythme institutionnel de six mois, favorable à ces redéfinitions et à un réengagement (et comme pour une médiation familiale, à la limitation dans le temps de notre intervention). Cette écoute et cet engagement sur les objectifs, qui responsabilisent directement chaque parent, peuvent permettre une réévaluation des possibilités de dialogue avec l'autre parent par rapport à l'enfant.
Mais l'intervention du médiateur est nécessaire pour proposer d'ouvrir ou d'élargir le cadre. Cette responsabilisation individualisée peut permettre l'ajustement de chacun sur sa propre place, son autonomisation, et nous voyons ici encore que ce sont là des méthodes communes à la médiation familiale et au droit de visite tel que nous le pratiquons. Double processus puisqu'il s'agit aussi de dépasser le dit de justice.
Voilà pourquoi l'Aadef Médiation a institué, pour les droits de visite, le même principe de confidentialité des entretiens et du contenu que pour la médiation familiale. Ainsi, l'Aadef Médiation s'écarte du cycle de l'assistance aux familles pour se rapprocher d'un cycle objectif “réalisation-but” pris en charge par les familles. En travaillant sur le consentement autour de projets par étapes, l'Aadef Médiation tente d'autonomiser (ou de réautonomiser) chaque membre de la famille séparée ce qui est également un des objectifs fondamentaux en médiation familiale.
Peut-on parler “d'inspiration par la médiation familiale”, doit-on dire “emprunts à la médiation familiale” ? Le facteur de continuité représenté par le fait que ce sont des médiateurs qui suivent les droits de visite est certes central. Mais il s'agit bien d'une décision, d'une volonté réfléchie, cette décision fut prise aussi à partir du sens que l'Aadef Médiation a voulu donner à sa place par rapport à la justice et aux autres institutions qui orientent les familles vers elle.
L'individu se construit dans un rapport social complet et pas seulement dans son rapport à une seule autre personne. C'est notamment le cas dans le rapport parental. Créer ce lieu “pur” ce serait justement créer un lieu idéal qui pourrait, certes, instituer une relation, mais une relation qui n'aurait alors que peu de choses à voir avec la relation qui devra se créer dans la société. Il y a toujours quelque chose d'extérieur qui est imposé à une relation entre deux individus et ce n'est pas seulement une imposition institutionnelle. C'est une imposition sociale. Les familles séparées doivent pouvoir s'autonomiser du lieu de visite lui- même. En faire un lieu institutionnel, un appendice de la justice, c'est, à notre avis, réitérer, peu ou prou, l'obligation, le dit de justice et éterniser l'assistance. C'est sur le refus de cette “ éternité ” que l'association fonde son action.
Le droit de visite “médiatisé”, c'est une progression qui va d'un droit de visite totalement assisté (public) à un droit de visite de moins en moins assisté et rapidement si possible, non assisté (privé). Il s'agit de recréer un accord minimal sur le fait que les parents ont tous les deux le droit de voir leur enfant et que l'enfant a le droit de les voir et l'un et l'autre. C'est dire, en poussant au bout cette idée, qu'il s'agit bien de recréer un nouveau rapport tripartite, mais un rapport tripartite de séparation !
D'un côté, ces lieux répondent à une demande institutionnelle ; mais, de l'autre côté, ils répondent à une demande des parties. C'est dans cette contradiction qu'ils doivent agir. L'avenir des lieux d'exercice pour les droits de visite difficiles ou conflictuels me semble lié au maintien de cette contradiction, où la médiation familiale a bien à voir. Connaître cette contradiction et y réfléchir, c'est à la fois se donner les moyens d'intervenir dans un processus de ressocialisation du rapport de séparation et garantir une non confusion entre la médiation familiale et le droit de visite. »
Françoise Viéville-Terrioux Directrice de l'Aadef Médiation enfance-famille : 4, rue Paul-Eluard - 93000 Bobigny -Tél. 01 48 30 21 21.
(1) Nous appelons consultants les personnes qui viennent en droit de visite ou en médiation.