Les grandes lignes du projet de loi Fillon
Présenté par François Fillon comme un texte « équilibré » visant à « permettre le plein emploi et à favoriser la relance du dialogue social », le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, adopté par le conseil des ministres du 18 septembre, se décline en trois volets. Le premier procède à une harmonisation par le haut des différents niveaux de SMIC issus de la loi Aubry II sur la réduction du temps de travail. Le deuxième tend à assouplir la mise en œuvre des 35 heures, en particulier par le biais des heures supplémentaires, du compte épargne-temps et des conventions de forfaits en jours pour les cadres. L'objectif affiché étant de « répondre aux besoins des entreprises et aux aspirations des salariés ». Enfin, le dernier volet instaure de façon progressive, à compter du 1er juillet 2003, un nouvel allégement de cotisations sociales patronales sur les bas et moyens salaires, censé compenser les effets de la hausse du SMIC sur les trois prochaines années et déconnecté de la durée du travail applicable dans l'entreprise. Selon le ministre des Affaires sociales, cette mesure marque le premier pas d'une réforme globale du dispositif d'allégements de charges.
Débattu à l'Assemblée nationale à partir du 2 octobre, ce texte promet de vifs débats parlementaires. Bien que consultées préalablement, les organisations syndicales et patronales sont en effet très critiques, chacune pour des raisons différentes. Si le patronat s'accommode des aménagements apportés à la loi sur la réduction du temps de travail, les syndicats, eux, considèrent qu'il s'agit d'une véritable remise en cause des 35 heures, notamment pour les salariés des petites entreprises. Inversement, le scénario retenu par le gouvernement pour la convergence des SMIC satisfait les représentants des salariés mais déçoit le Medef qui qualifie cette solution de « coup de massue pour l'emploi ». D'autant que, d'après l'organisation patronale, le nouvel allégement de charges compensera de façon insuffisante la hausse du coût du travail ainsi induite. A noter que les caisses de sécurité sociale, saisies de ce projet de réduction de cotisations sociales, ont toutes émis un avis défavorable.
Par ailleurs, François Fillon a pris le prétexte de la réforme des 35 heures pour introduire dans le texte une disposition visant à régler le contentieux des heures supplémentaires dans les établissements médico-sociaux relevant de la convention collective du 15 mars 1966 (voir encadré).
Pour éviter que les salariés payés au SMIC ne voient leur rémunération diminuer lors de leur passage aux 35 heures, la loi Aubry II du 19 janvier 2000 sur la réduction du temps de travail (RTT) a mis en place à leur profit une garantie mensuelle de rémunération (GMR), par le biais d'un complément différentiel de salaire. Le mécanisme est le suivant : le salarié passé de 39 à 35 heures perçoit, par mois, un salaire égal à 151,67 fois le SMIC horaire et un complément différentiel de salaire, le tout formant la garantie mensuelle de rémunération revalorisée chaque 1er juillet. Le montant de cette dernière étant fixé au moment de la réduction du temps de travail, il existe aujourd'hui autant de garanties mensuelles de rémunération qu'il y a eu d'années au cours desquelles les entreprises ont réduit leur temps de travail. A l'heure actuelle, coexistent ainsi 5 niveaux de garantie mensuelle auxquels s'ajoutent les rémunérations minimales calculées sur la base de 151,67 (35 heures hebdomadaires) ou 169 SMIC horaires (1).
D'où des inégalités de traitement entre salariés auxquelles, selon la loi Aubry II, le gouvernement doit mettre fin au plus tard le 1er juillet 2005. La méthode retenue par ce dernier, soufflée par le Conseil économique et social (3), consiste à faire converger sur un même niveau, d'une part, les garanties existantes (GMR1 à GMR5) et, d'autre part, le SMIC mensuel calculé sur la base de 151,67 heures.
La première étape du scénario envisagé est d'arrêter le cycle de création, chaque année, de nouvelles garanties mensuelles. La dernière devant être la cinquième (GMR5), fixée en juillet 2002.
A partir de là, un double mouvement de convergence devrait être opéré, avec, en point de mire, le 1er juillet 2005.
Pendant les 3 années qui nous séparent de cette date, le premier mouvement de convergence devrait concerner ainsi les garanties mensuelles qui, tout en augmentant en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation, feraient chaque année l'objet d'une revalorisation ( « coups de pouce » )afin de permettre leur alignement, à la date fixée, sur la garantie mensuelle la plus haute, c'est-à-dire celle de juillet 2002 (GMR5). Celle-ci évoluerait également, chaque année pendant cette période de 3 ans, en fonction de l'indice des prix, et verrait donc préserver son pouvoir d'achat.
Le second mouvement de convergence graduelle conduirait à une hausse de 11,4 % du SMIC horaire. Un pourcentage qui représente le différentiel qui le sépare, en valeur réelle, de la dernière garantie mensuelle (voir tableau ci-dessus). Elle se ferait par rattrapages successifs incluant tant l'évolution de prix que les « coups de pouce » nécessaires sur la période 2003- 2005. Les règles mécaniques d'augmentation du SMIC - inflation plus la moitié de l'évolution du pouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier - seraient donc temporairement supprimées.
Les taux de revalorisation du SMIC et des garanties 1 à 4 seront fixés par arrêté.
En résumé, l'objectif est qu'en juillet 2005 au plus tard, les quatre premières garanties de rémunération et 151,7 fois le SMIC horaire correspondent au niveau de la GMR5.
Le ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité a annoncé, le 17 septembre, sur TF1, que suite à « une demande quasi unanime », il entendait « proposer au Parlement dans quelques semaines de suspendre les articles » du volet licenciement de la loi de modernisation sociale « qui réellement posent problème ». Ce sont, a-t-il précisé, les dispositions « qui, en ajoutant les délais aux délais, poussent les entreprises à déposer le bilan plutôt qu'à s'adapter par un plan social intelligent ».
Dans un souci de lisibilité et pour accompagner l'harmonisation des SMIC, le projet de loi procède à la fusion progressive, à compter du 1er juillet 2003, de deux mesures d'allégements de charges : la réduction dégressive sur les bas salaires, dite ristourne Juppé, et l'allégement de cotisations sociales Aubry II lié à la mise en œuvre des 35 heures.
Le dispositif définitif devrait s'appliquer au 1er juillet 2005. La fusion s'effectuerait, en effet, en trois étapes :1er juillet 2003, 1er juillet 2004 et 1er juillet 2005. Pendant cette période transitoire, les modalités de calcul sont aménagées et diffèrent selon que l'entreprise bénéficie de l'allégement 35 heures ou de la ristourne Juppé. A noter : tirant les conséquences de la création de cette nouvelle réduction de cotisations sociales, le projet de loi abroge l'article 19 de la loi Aubry II qui définit notamment les conditions d'accès de l'allégement mis en place par cette même loi. Toutefois, il conserve leurs effets aux accords d'entreprise négociés, en application de cette même disposition, selon des modalités dérogatoires (conclusion avec un salarié mandaté ou un délégué du personnel), afin d'éviter toute interrogation sur leur pérennité.
Le nouvel allégement, déconnecté de l'application de la durée légale du travail dans l'entreprise, porterait sur les cotisations patronales de sécurité sociale dues au titre de la rémunération mensuelle brute.
Son calcul s'effectuerait en fonction du salaire horaire (salaire mensuel versé divisé par le nombre d'heures rémunérées). Un décret devrait préciser les modalités particulières de calcul en cas de suspension du contrat de travail avec maintien total ou partiel de la rémunération (congés payés, congés maladie...), ainsi que pour les salariés non rémunérés en fonction d'un horaire de travail (cadres en forfaits jours, représentants de commerce...).
Son montant maximal devrait être égal à 26 % du salaire mensuel au niveau du SMIC, puis dégressif pour s'annuler pour un salaire égal à 1,7 SMIC.
De manière générale, son champ d'application devrait recouvrir l'ensemble des employeurs soumis à l'obligation d'assurance chômage, ainsi que les salariés d'entreprises publiques, d'établissements publics industriels et commerciaux, de collectivités territoriales ou de sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire.
Le bénéfice du nouvel allégement ne devrait être cumulable avec aucune autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales ou l'application de taux spécifiques, d'assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations, à l'exception notamment de l'aide incitative « Aubry I » et de l'allégement « de Robien ». Dans ce cas, l'allégement serait minoré d'un montant forfaitaire et le cumul serait limité aux cotisations dues pour chaque salarié concerné.
Deux situations sont à distinguer : d'une part, les entreprises restées organisées sur une base supérieure à 35 heures par semaine et appliquant la ristourne Juppé et, d'autre part, celles ayant mis en œuvre la réduction du temps de travail et bénéficiant de l'allégement Aubry II.
Entre le 1er juillet 2003 et le 30 juin 2005, le nouvel allégement de charges devrait être calculé, non pas par rapport au SMIC horaire, mais par référence à la garantie mensuelle de rémunération applicable pour un passage aux 35 heures intervenu entre le 1er juillet 1999 et le 30 juin 2000 (GMR2) (4).
Plus précisément, l'allégement serait maximal (26 % du salaire) pour un salaire horaire égal à la GMR2 horaire, c'est-à-dire la GMR2 divisé par 151,67 heures. Il décroîtrait ensuite pour s'annuler à 1,7 fois cette GMR2. La convergence des différentes garanties mensuelles de rémunération (voir I ci-dessus) assurera l'équivalence, à partir du 1er juillet 2005, de ce mode de calcul transitoire à la formule définitive, explique le ministère. A cette date, l'allégement maximal devrait donc être de 26 % au niveau du SMIC qui sera alors unifié.
Des dispositions spécifiques s'appliqueraient aux entreprises créées postérieurement au 1er janvier 2000.
Pour les entreprises bénéficiant de la réduction dégressive sur les bas salaires, le niveau maximal d'exonération devrait être égal à :
20,8 % du SMIC au 1er juillet 2003 ;
23,4 % au 1er juillet 2004 ;
enfin, à 26 % au 1erjuillet 2005.
Aux mêmes dates, la limite des salaires ouvrant droit à l'allégement serait égal au SMIC respectivement majoré de 50 %, 60 % et 70 %.
Le projet de loi tend à unifier et simplifier le régime des 8 premières heures supplémentaires. En effet, depuis la loi Aubry II du 19 janvier 2000, les 4 premières (35 à 39 heures) font l'objet d'une bonification attribuée en repos (10 % puis 25 %), sauf si un accord collectif prévoit une bonification en argent. Pour les 4 heures suivantes (40 à 43 heures), c'est le principe de la majoration salariale qui a été retenu. Le texte supprime cette distinction : pour les 8 premières heures, c'est la majoration de salaire qui primerait à défaut d'accord prévoyant une contrepartie en repos.
En outre, un accord de branche étendu pourrait fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, sans que celui-ci puisse être inférieur à 10 %. A défaut, les taux légaux s'appliqueraient. Pour mémoire, rappelons que, actuellement, le taux de la bonification des 4 premières heures supplémentaires est fixé à 25 % pour les entreprises de plus de 20 salariés et à 10 % pour celles de 20 salariés et moins. Les heures effectuées au-delà de 39 heures donnent lieu, quant à elles, à une majoration de salaire de 25 % pour celles comprises entre la 40e et la 43e heure incluses et de 50 % pour les suivantes.
A noter également que le taux de majoration des 4 premières heures supplémentaires applicable aux entreprises de 20 salariés et moins, qui doit en principe passer de 10 % à 25 % au 1erjanvier 2003, devrait être maintenu à 10 %jusqu'au 31 décembre 2005.
Actuellement, le contingent annuel d'heures supplémentaires au-delà duquel l'autorisation de l'inspection du travail est requise est fixé, par décret, à 130 heures, sachant qu'il peut être réduit ou augmenté par une convention ou un accord collectif étendu. Toutefois, c'est le contingent réglementaire qui s'applique pour la détermination des droits à repos compensateur obligatoire - à distinguer du repos compensateur de remplacement qui permet de remplacer tout ou partie du paiement des heures supplémentaires et de leurs majorations par un repos équivalent - et ce, quel que soit le niveau du contingent conventionnel éventuellement fixé.
Toujours dans un objectif de simplification, le projet de loi instaure un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur obligatoire, et défini par les partenaires sociaux au niveau de la branche. Néanmoins, à titre subsidiaire, c'est-à-dire en l'absence d'accord, un contingent réglementaire subsisterait. Selon les informations fournies par François Fillon, un décret devrait, dans l'attente des résultats des négociations, le fixer à 180 heures pendant 18 mois (5). Au terme de cette période, il serait réexaminé, compte tenu des besoins de chaque secteur et après avis de la Commission nationale de la négociation collective et du Conseil économique et social.
Par ailleurs, par souci de cohérence avec le seuil retenu pour la mise en œuvre de la réduction de la durée légale du travail, le seuil de déclenchement du repos compensateur obligatoire serait porté de 10 à 20 salariés.
Selon le gouvernement, le mode de calcul du temps de travail en cas de modulation ou de réduction du temps de travail sous forme de jours de repos obéit actuellement à une double règle complexe : l'horaire annuel ne doit en effet dépasser ni 35 heures en moyenne par semaine travaillée, ni 1 600 heures sur l'année (6). Et, en raison des jours fériés qui peuvent, selon les années, tomber un jour de repos, ces deux références ne coïncident pas toujours. Ce qui aboutit souvent à une durée du travail annuel inférieure à 1 600 heures, niveau pourtant retenu par la majorité des accords collectifs. Aussi, le projet de loi prévoit-il que seul le plafond de 1 600 heures sera désormais fixé par la loi, les partenaires sociaux dans les branches ou les entreprises pouvant toujours décider des plafonds inférieurs.
Afin de diversifier les modes d'utilisation du compte épargne-temps et de rendre son utilisation plus facile, le texte ouvre la possibilité de l'alimenter avec des éléments monétaires (primes, rémunération d'heures supplémentaires) sans qu'il soit besoin de les convertir en temps comme c'est le cas actuellement. Et les salariés pourraient obtenir la liquidation de l'ensemble des droits acquis sur leur compte en repos mais aussi en argent.
L'article 5 du projet de loi marque un coup d'arrêt à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le paiement des heures effectuées entre la 35e et la 39e heure dans les établissements et services pour personnes inadaptées relevant de la convention collective du 15 mars 1966. Et vient ainsi au secours des employeurs.
Pour mémoire, dans un arrêt du 4 juin 2002 (7) , les juges suprêmes ont considéré que, en application de l'accord-cadre sur les 35 heures du 12 mars 1999, les salariés qui ont continué à travailler après le 1er janvier 2000 (ou 2002) sans avoir bénéficié de la réduction du temps de travail, ont droit tout à la fois au complément différentiel de salaire prévu par l'accord pour maintenir les salaires et au paiement des heures accomplies au-delà de 35 heures, en tant qu'heures supplémentaires, majorées de la bonification applicable. Et ce, même si la mise en place effective des 35 heures a été retardée du fait de la procédure d'agrément ministériel à laquelle sont soumis les accords collectifs dans ce secteur.
Pour « protéger l'équilibre financier des établissements en cause » et « supprimer la rupture d'égalité affectant les rémunérations des salariés » , le texte prévoit que, sous réserve des instances en cours au 18 septembre 2002, le complément différentiel de salaire ne s'appliquera qu'à compter de la date de l'agrément de l'accord collectif permettant le passage effectif aux 35 heures (8).
Selon le ministère des Affaires sociales, « cette intervention du législateur est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ». Selon lui, « l'application de cette jurisprudence, dont les conséquences n'avaient nullement pu être envisagées par les négociateurs des accords, risque d'induire des inégalités de traitement importantes au sein du secteur, voire au sein d'une même association gestionnaire d'établissements, entre les salariés relevant de la convention collective de 1966 et ceux relevant d'autres conventions ayant explicitement subordonné le versement du complément différentiel à la conclusion et à l'agrément d'accords locaux » . En outre, la qualité du service rendu aux usagers, qui appartiennent aux populations les plus fragiles, pourrait être remise en cause par cette « charge imprévue et très lourde » imposée aux établissements.
Le projet de loi redéfinit la catégorie des cadres dits intégrés. Il s'agirait de ceux « dont la nature des fonctions les conduit à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, sans que nécessairement leurs horaires propres s'identifient exactement ou en permanence à celui-ci ».
En outre, le texte assouplit les conditions de recours aux conventions de forfaits annuels en supprimant la référence à l'impossibilité de prédéterminer la durée du travail du fait des fonctions ou des responsabilités exercées. Ainsi, les cadres concernés par ce type de forfait seraient ceux « dont la nature des fonctions implique seulement une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ».
O. S. - S.V.
(1) Le SMIC horaire demeure en effet applicable aux salariés exclus du bénéfice de la garantie de rémunération mensuelle, ainsi qu'à ceux restés à 39 heures.
(2) Hors majoration pour heures supplémentaires.
(3) Voir ASH n° 2271 du 12-07-02.
(4) Depuis le 1er juillet 2002, le montant de la GMR2 est égal à 1 114,3 €.
(5) Pour mémoire, pour faciliter et accompagner le passage aux 35 heures des entreprises de 20 salariés et moins, un décret a déjà fixé le contingent d'heures supplémentaires, à titre transitoire, à 180 heures en 2002 et à 170 heures en 2003 pour la plupart des salariés (voir ASH n° 2233 du 19-10-01).
(6) Voir ASH n° 2158 du 17-03-00.
(7) Voir ASH n° 2267 du 14-06-02.
(8) Rappelons que, pour les salariés qui n'ont pas encore engagé d'action contentieuse, la direction générale de l'action sociale invitait les employeurs, dans une récente circulaire, à négocier les conditions de compensation du non-paiement des heures effectuées et à rechercher des solutions compatibles avec leurs capacités financières - Voir ASH n° 2273 du 23-08-02.