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Depuis dix ans, Aubervilliers sert de laboratoire à la validation des acquis

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La cinquième promotion du dispositif expérimental de formation à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) va effectuer sa rentrée fin octobre. Depuis bientôt dix ans, la formule permet à des intervenants socio-éducatifs de quartiers sensibles d'accéder, hors des modes de sélection classiques, au diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé  (DEES). Et constitue un laboratoire de la démarche de validation des acquis.

Le dispositif expérimental de formation  (DEF) va bientôt souffler ses dix bougies. Mis en place en septembre 1993 par le Centre de formation aux professions éducatives et sociales (CFPES) - centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active  (CEMEA) Ile-de-France d'Aubervilliers (1), il propose à des intervenants socio-éducatifs travaillant dans des quartiers sensibles une voie d'accès à une formation diplômante d'éducateur spécialisé, en quatre années, hors des voies classiques d'entrée aux écoles de travail social.

Le dispositif enrichit la formation initiale

Motivé déjà à sa création par la difficulté des employeurs à trouver des personnels qualifiés dans la prévention spécialisée, le dispositif présente l'avantage d'offrir une possibilité d'ascension sociale à des candidats, suffisamment motivés et expérimentés pour prétendre à un titre professionnel reconnu, mais n'ayant pas le niveau requis ou ne voulant pas se présenter aux épreuves de sélection d'entrée.

Autre intérêt avancé par ses promoteurs : la formule vient combler les lacunes de la formation initiale concernant le travail de rue. « Les formations de moniteur- éducateur et d'éducateur sont très axées sur l'internat et les questions liées au handicap. Il n'y a pas d'unité de formation propre à la prévention spécialisée », explique Annick Prigent, responsable pédagogique du DEF. Or,  la prévention spécialisée nécessite des techniques de travail et des éléments de connaissances théoriques qui lui sont propres. « Les éducateurs de rue sont de plus en plus confrontés à des jeunes qui pètent les plombs, sans pour autant relever de l'hygiène mentale. Des jeunes qui restent ou reviennent sur leur quartier sans suivi psychologique et avec lesquels ils sont les seuls à maintenir un lien », poursuit Annick Prigent, précisant que les notions de psychologie nécessaires pour l'accompagnement de ces publics sont différentes de celles requises en internat.

Enfin, ces postes nécessitent une connaissance approfondie des acteurs de la politique de la ville au niveau local et une bonne maîtrise du travail en partenariat qu'apporte insuffisamment le cursus classique. « Pourtant, le personnel éducatif est sous la pression des politiques locales. La sécurité est actuellement au centre des préoccupations, et sur le terrain les éducateurs doivent travailler en tenant compte de ce facteur pour répondre aux attentes des populations et des acteurs politiques », rappelle la responsable.

La formation comporte un cycle spécifique de deux ans (950 heures) qui se conclut par l'obtention du diplôme expérimental de formation d'intervenants sociaux- option travail éducatif et communautaire en milieu urbain (DEFIS- TECMU). Lequel permet ensuite de réintégrer en deuxième année (au même titre que les moniteurs-éducateurs) le cursus d'éducateur spécialisé.

Depuis la première promotion en 1993, 80 personnes ont été formées. Si la majorité travaille dans des centres sociaux, des clubs de prévention spécialisée, d'autres sont embauchés par des Maisons des jeunes et de la culture ou des régies de quartier.

Pour être sélectionnés, les candidats doivent répondre à plusieurs critères. En premier lieu, être employés sur un même poste socio-éducatif en milieu ouvert auprès de populations en difficulté depuis au moins deux ans. Ensuite, justifier de trois ans d'expérience dans ce champ, et avoir l'accord de leur employeur. Enfin, l'équipe éducative ou l'association doit s'engager à devenir partenaire du dispositif. Concrètement, l'un de ses membres doit être désigné pour participer au conseil de formation (voir encadré au recto).

« Toute la pédagogie du dispositif expérimental de formation repose sur le partenariat entre le centre de formation, l'employeur et le stagiaire », insiste Monique Besse, directrice du CFPES- CEMEA Ile-de-France. Le conseil de formation assure la liaison constante entre les différents pôles de la formation. « Nous tenons à entretenir un contact étroit avec le terrain où travaillent les stagiaires pour coller à leurs réalités de travail. Il y a une grande différence entre la réalité locale de Mantes-la-Jolie et de Montfermeil par exemple. Il n'y a pas le même bâti, la même population, ce ne sont pas les mêmes structures, les mêmes tissus associatifs, la même politique locale... »

DEUX INSTANCES DE SUIVI

Fondé sur la validation des acquis au moment de l'entrée en formation, la valorisation des acquis durant la formation, la mutualisation des expériences et la formation en alternance, le dispositif expérimental de formation  (DEF) est suivi par deux instances :

  un groupe recherche évaluation   (GRE) composé d'experts intéressés par le projet et du noyau permanent de l'équipe de formation, assurant le suivi, l'évaluation du dispositif, la recherche, et élaborant des propositions au ministère ;

  un conseil de formation qui regroupe les référents des stagiaires désignés par les associations ou organismes employeurs, la direction du centre de formation et les formateurs. Le DEF est financé par l'Etat (direction générale de l'action sociale, direction régionale des affaires sanitaires et sociales), avec une participation financière des associations partenaires employeurs des stagiaires et un auto-financement du CFPES-CEMEA Ile-de-France. Il a également reçu des subventions de la délégation interministérielle à la ville. Le coût global de la formation d'un stagiaire (jusqu'à l'obtention du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé) est à peu près équivalent à celui d'un éducateur spécialisé du cursus habituel.

Partir du terrain

Le cycle de formation de deux ans repose sur trois principes : l'alternance entre le terrain et l'école, la théorie élaborée à partir de la pratique et la dynamique instaurée au sein du groupe de stagiaires. Le cursus comporte un stage ambulatoire, où partant d'une problématique individuelle, l'étudiant va accompagner l'usager dans toutes ses démarches, et aller voir l'ensemble des protagonistes. « Si l'on prend la situation d'un jeune qui fait une bouffée délirante, le stagiaire va rencontrer les assistantes sociales de polyvalence de secteur, le personnel soignant du centre médico-pédagogique et de l'hôpital psychiatrique... », illustre Annick Prigent.

Contrairement aux formations classiques, l'étudiant n'effectue aucun stage sur d'autres services que son lieu de travail, cela principalement en raison d'un problème de temps. Quant aux séquences de formation, elles sont toujours précédées d'une enquête thématique de terrain. « C'est une forme de recherche empirique où l'on part d'un thème, par exemple la prévention de la violence. Les étudiants vont devoir analyser un acte de vandalisme collectif, comprendre les faits qui ont contribué à favoriser cette situation et les identifier. Par la suite, on recoupe collectivement l'ensemble des données pour réaliser un travail sociologique de compréhension », explique Annick Prigent. Les connaissances sociologiques, psychologiques, et de droit, sont introduites à partir du produit des données repérées sur le terrain.

« L'étude des problèmes socio-collectifs, de situations sociales individuelles et la recherche de moyens pour contourner ces pathologies permettent aux étudiants d'acquérir l'ensemble des bases théoriques nécessaires pour poursuivre en DEES », estime Jacques Ladsous, vice-président du Conseil supérieur du travail social, membre du groupe recher- che évaluation. Les enseignements et recherches, menés lors des deux premières années conduisant au DEFIS-TECMU, font l'objet par les étudiants d'exposés oraux, de notes écrites et de dossiers, repris et valorisés lors de la présentation d'un colloque de fin de cycle, voire pour la première fois en juin dernier, d'une pièce de théâtre.

Résultat ? Le dispositif expérimental de formation compte déjà quatre promotions à son actif, dont l'âge moyen à l'entrée se situe autour de 33 ans. A l'issue de la troisième session, 15 des 19 stagiaires ont obtenu le diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé  (DEES) et quatre le présenteront en 2003 (ayant eu une réussite partielle aux épreuves de juin). Ils étaient 16 sur 18 dans ce cas à la promotion précédente et 17 sur 20 à la première. Preuve de la pertinence d'un dispositif qui, selon Jacques Ladsous, parvient à « tirer le savoir des gens à travers ce qu'ils font, pour ensuite adapter les connaissances théoriques à leurs besoins réels. Ce n'est pas une formation transposée mais une formation calquée sur leurs conditions de travail. »

L'intérêt de la formule, surtout dans le contexte actuel de pénurie de professionnels qualifiés, apparaît donc avec évidence. Nul doute qu'après bientôt dix ans d'existence, le dispositif, qui a fait l'objet d'une évaluation en juin 2000, a défriché de façon positive le système de validation des acquis encouragé par la loi de modernisation sociale. Le principe fondateur de la démarche repose d'ailleurs sur une distinction subtile entre « la validation des acquis au moment de l'entrée en formation » et « la valorisation des acquis durant la formation ».

« Plusieurs promotions de DEF seraient nécessaires pour répondre à la demande de personnel qualifié dans le secteur. C'est pourquoi en qualité d'employeurs nous nous battons pour que le cursus entre dans le droit commun », défend Paul Ginot. Qui, comme l'ensemble des promoteurs de la formule, aimeraient la voir sortir de son statut expérimental et être développée ailleurs. Le dispositif s'était déjà vu conforté par le précédent gouvernement. Lors de son déplacement, en mars, au centre de formation, Elisabeth Guigou, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, avait annoncé la signature d'une convention triennale d'objectifs et une hausse importante de la subvention annuelle portée à 80 000  € (2). Promesse que les responsables espèrent bien voir honorées par le gouvernement Raffarin. En outre, il était question, dans le cadre du schéma régional des formations sociales, qui a inscrit l'expérience au titre de ses actions prioritaires, d'élargir l'expérience à un deuxième centre de formation en Ile-de- France. Même si les crédits n'ont pas pu être débloqués pour 2002-2003...

Reste qu'un éventuel essaimage de la formule pose des questions de fond. Cette formation doit-elle permettre la reconnaissance d'un nouveau diplôme comme le DEFIS-TECMU (aujourd'hui simple formation maison) et d'un nouveau métier ? Mais au risque d'un émiettement des diplômes ? Ou son débouché naturel doit-il être l'accès au DEES ? Si ce débat est au cœur même de la création du dispositif, il apparaît aux yeux de la majorité des membres du groupe de pilotage que la meilleure garantie reste malgré tout que les étudiants intègrent des promotions d'éducateurs.

A cela se greffe le problème de l'hétérogénéité des parcours scolaires, professionnels et personnels des étudiants au sein des promotions. « La différence de niveaux entre les élèves qui ont le Bac et ceux qui ont quitté l'école précocement nécessite une grande souplesse et de la disponibilité de la part des enseignants », précise Annick Prigent, même si ce facteur contribue aussi à la richesse de cette formation.

Cédric Morin

Notes

(1)  CFPES-CEMEA d'Ile-de-France : 62, avenue de la République - 93306 Aubervilliers cedex - Tel. 01 48 11 27 90.

(2)  Voir ASH n° 2257 du 5-04-02.

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